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En Octobre dernier, plusieurs organisations de la société civile togolaise ont organisé des universités sociales à Lomé. Cette rencontre a parmi aux participants de revisiter les problèmes socio-politiques auxquels la société togolaise est confrontée depuis plusieurs décennies.
 
A l’annonce d’une rencontre que le gouvernement planifie pour plancher sur la question  de la décentralisation et des élections locales, notre Rédaction a approché le professeur David Dosseh qui est  le Président du Comité d’organisation desdites universités sociales. Il a passé au crible l’utilité des élections locales, sa conception de la communauté internationale et son implication dans  la crise politique togolaise. Lisez plutôt son interview exclusive.
 
CDT : Bonjour  Professeur, Vous avez organisé le mois dernier des universités sociales assorties de recommandations,  que peut – on retenir de ces assises?
 
Prof. D.D : Ce que moi je retiens essentiellement, c’est que manifestement il y avait une très grande soif populaire par rapport à l’évènement. Quand on voit la participation de ceux qui étaient au Centre communautaire de Bè durant 48 heures, quand on voit qu’en dépit de la longueur des discussions,  des gens ont participé, des gens ont posé des questions, des gens ont fait des propositions, on se rend compte que ce peuple a vraiment besoin d’espace citoyen, d’espace interactif, d’espace participatif pour venir exprimer ces problèmes et ensemble discuter des solutions.
 
Parmi  les recommandations, vous avez mis l’accent sur l’organisation des locales, aujourd’hui, le gouvernement semble écouter votre appel, parce qu’il entend organiser une rencontre  sur le sujet le 07 décembre prochain. Croyez-vous à la sincérité des autorités, lorsqu’on sait que plusieurs recommandations de ces genres de rencontre restent encore dans les tiroirs?
 
Vous l’avez dit vous-même, il y a déjà eu des initiatives semblables dans le passé mais malheureusement on n’a jamais eu gain de cause. Et là, organiser encore des rencontres, cela peut laisser dubitatif. Effectivement,  il semble que dans quelques semaines il y aura encore une rencontre pour parler de la décentralisation et pour parler des élections locales. Et pour nous, ce qui est important, c’est de voir déjà qu’au sein de la population,  les gens commencent à  prendre conscience de l’importance de la décentralisation. La semaine dernière,  j’ai participé à un atelier qui a été organisé par une organisation de la société civile et il y avait de nombreuses femmes qui y  ont participé. J’ai vu comment ces femmes ont pris la parole pour marteler qu’il fallait qu’on puisse arriver aux élections locales. C’est ce qui est important pour nous  au sein de la société civile, c’est que le peuple togolais puisse commencer à se réveiller par rapport à cet enjeu national. Et une fois que le peuple aura compris et aura pris conscience de cet enjeu national,  le gouvernement sera obligé de le suivre. Donc si la rencontre du mois prochain organisée par le gouvernement permet d’aller aux élections locales, ce serait une bonne chose ;  mais si cela ne se fait pas comme vous l’avez dit,  il y a eu des rencontres qui ont accouché d’une souris, et si c’est le cas cette fois-ci, peu importe.  Il  arrivera un moment où le peuple demandera que les élections se fassent et ces élections se feront.
 
Si le gouvernement continue de gagner  du temps en organisant des ateliers au lieu de fixer la date des élections locales, comment le peuple peut-il réclamer ses droits ?
 
Je crois qu’il y a plusieurs étapes. La première étape consiste à arriver à une masse critique au sein de la population qui sera informée, qui sera sensibilisée sur la problématique de la décentralisation. Je crois qu’on n’a pas encore atteint ce cap, mais une fois qu’on aura atteint ce cap, je vous assure que vous verrez des réunions se faire, vous verrez des pressions se faire et il peut y avoir des démarches vers l’Assemblée Nationale, il peut y avoir des démarches vers les autorités compétentes. Mais le gouvernement se rendra compte que c’est une nécessité absolue que de répondre à cette sollicitation, que de répondre à cette demande expresse de la population togolaise. Donc je crois nous n’avons pas encore atteint cette masse critique d’information de la population. C’est en train de se faire pas à pas, et ça va arriver au moment venu et nous trouverons certainement le moyen pour inciter le gouvernement à répondre à cette demande.
 
Comment pouvez-vous confirmer ou infirmer l’existence d’une crise sociopolitique au Togo?
 
Oui, je crois que c’est évident. Il existe une crise sociale au Togo. La crise existe depuis des décennies. Je discutais il y quelques jours avec un ami qui me disait qu’il serait peut-être important de reconnaitre les difficultés dans lesquelles on se trouve et qu’on puisse partir sur de nouvelles bases. Et il a l’impression que c’est la politique de l’autruche. On a l’impression qu’il n’y a pas de crise  mais dans tous les secteurs, il y a un problème. Donc je crois qu’à un certain moment donné, il faut qu’on s’arrête et la reconnaitre puis partir de là,  sur de nouvelles bases. Changer les règles du jeu, opter pour des règles peut-être un peu plus démocratiques en terme  d’élections, en terme de gouvernance, en terme de nomination etc. Et si on arrive à installer un peu plus de démocratie dans ces domaines, le pays pourra se relever. Sinon, aujourd’hui la crise dure et perdure depuis des décennies.
 
Professeur, que doit-on comprendre par le terme communauté internationale?
 
Alors, vous,  vous êtes du corps diplomatique et c’est une question à laquelle vous saurez peut-être donner une meilleure réponse, mais personnellement je fais une distinction entre communauté internationale et opinion internationale. Je me dis que la communauté internationale, c’est parfois  des diplomates qui ont un langage diplomatique et caressent certaines personnes dans le sens du poil et que cette communauté internationale n’a pas toujours la latitude de mettre les points sur les i, de dire des vérités aux gens, d’imposer des règles démocratiques, d’imposer la justice, d’imposer l’équité. Alors que l’opinion internationale, c’est vous et moi. Lorsqu’on voit un dictateur en train d’opprimer son peuple, on peut être touché et en tant que citoyen du monde on a la possibilité d’exprimer cette opinion. Et donc pour moi,  l’opinion internationale est beaucoup plus honnête, beaucoup plus  véridique, alors que la communauté internationale joue parfois au jeu trouble. Mais c’est le jeu diplomatique qui  a ses règles qu’on ne comprend pas mais qu’on est parfois obligé d’accepter.
 
Selon-vous les divers accords  et conventions signés et/ou ratifiés par le Togo envers la communauté internationale peuvent-ils seuls expliquer les interventions de la communauté internationale au Togo ?
 
A mon avis non. Il n’y a pas que les accords, il d’autres intérêts qui entrent  en jeu. Le Togo sur le plan géopolitique occupe une place de choix, sur le plan économique nous allons parler de notre port et cela peut susciter beaucoup d’intérêts auprès de certains pays de la communauté internationale. Il semble qu’il y a des minerais au sous-sol togolais. Le sous-sol serait riche et cela fait qu’effectivement la communauté internationale peut parfois tenir compte de tout cela avant de prendre des décisions, avant de poser des actes. Et comme je vous l’avais  dit tantôt,  c’est ça qui différencie l’opinion internationale de la communauté internationale. La communauté internationale regarde ses intérêts avant d’agir alors que l’opinion internationale est beaucoup plus véridique, voit les intérêts du peuple et réagit en fonction des intérêts du peuple.
 
La communauté internationale au Togo : quels impacts sur la crise? 0u sa non existence?
 
Je ne sais pas ! La crise perdure et on peut donc penser valablement que la communauté internationale n’arrive pas à peser de tout son poids pour permettre sa résolution. Je me souviens depuis les dernières élections législatives,  on nous a dit que le G5 (Note de la rédaction : G5, groupe formé du PNUD, de l’Union européenne, des Etats-Unis, l’Allemagne et la France) a donné une certaine garantie. C’est que juste après les élections législatives, les élections locales allaient suivre. On a eu les élections présidentielles et jusqu’ici on se demande si ce groupe des 5 a un réel pouvoir décisionnel. Quel est l’impact, quel est le poids de la communauté internationale, on ne comprend plus grand-chose à ces jeux. Voilà !
 
Comment pensez-vous aborder ou suivre la question des élections locales  en tant qu’acteur de la société  civile?
 
Il est important qu’on arrive aux élections locales. Il faudra d’abord qu’on accepte le principe de l’organisation des élections locales mais également dans l’organisation, il faut que la société civile puisse peser de tout son poids pour qu’on puisse améliorer les règles du jeu; pour que, si on va à des élections locales, qu’elles puissent se passer dans la transparence totale et revoir les problèmes du fichier électoral etc. En tant que membre de la société civile, nous sommes en train de nous organiser, de discuter avec d’autres amis de la société civile pour voir quelles sont les différentes stratégies que nous pouvons déployer pour que la population puisse être informée et sensibilisée et ensuite pour que les autorités puissent comprendre la nécessité d’organiser enfin les élections locales au Togo mais dans des conditions de transparence irréprochables.
 
Ces locales sont-elles  importantes  pour  la société civile?
 
C’est important, puisque vous savez, ça permet aux citoyens d’être plus proches pour les décisions dans leur  communauté. Quand vous avez un maire élu, si vous avez des conseillers municipaux qui viennent avec un programme, avec un plan d’activités qui touche la communauté, vous avez beaucoup plus de facilité  de suivre cette équipe qui est mise en place par des élections pour voir si les éléments qui ont été inscrits dans le programme ont été respectés. Et d’être plus proches des conseillers municipaux pour discuter et ça leur  permet d’assurer le contrôle citoyen des actions publiques alors qu’avec les délégations spéciales, ce n’est pas du tout le cas. Pour le citoyen, il est vraiment primordial pour permettre le développement de la vie communautaire, pour permettre le contrôle de la gestion des affaires publiques. Ça permet vraiment d’avoir des interlocuteurs fiables avec qui discuter et avec qui évoluer progressivement vers  le développement des communautés.
 
Eu égard aux avantages et inconvénients des précédentes implications de la CEDEAO dans cette crise, pensez-vous que la communauté internationale doit continuer  ces interventions au Togo?  Surtout  pour les élections à venir notamment les locales ?
 
Oui, je crois que c’est quand même toujours important. Même si on estime que la communauté internationale ne joue pas véritablement son rôle,  on ne peut pas la mettre en marge. Faut qu’elle intervienne dans le jeu, c’est un jeu démocratique de discussions et de négociations et la communauté internationale doit jouer son rôle mais la société civile aussi doit jouer le sien. Si chacun se met à jouer sa partition, je crois qu’il est inévitable que nous parvenions à ce que nous voulons.
 
Votre mot de la fin
 
Mon mot de la fin, c’est que moi j’ai foi en mon pays, et que je crois que les choses vont changer qu’on le veuille ou pas. C’est inévitable, c’est la volonté du peuple. Et je crois que nous allons nous lever à nouveau pour exiger d’abord les élections locales, la décentralisation puis  la démocratie. J’ai vraiment foi que l’avenir finira  par nous sourire.
 
Professeur merci pour votre diligence.
 
C’est plutôt moi qui vous remercie.
 
Interview réalisée par David Ricardo et Helmut Pinto
 
Source : [21/11/2016] Corps Diplomatic Togo
 

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