Retour sur un deal phosphate contre protection militaire
 
Le Togo s’apprête à lancer, sur son territoire, la plus importante exploitation de phosphate carbonaté d’Afrique sub-saharienne. En passe d’être définitivement attribué, le marché est à priori remporté par un consortium israélo-chinois formé par deux multinationales, Elenito (isréalienne) et Wengfu (chinoise). Ce consortium est porté par le groupe israélien qui, pour l’occasion, s’est allié au chinois, afin de bénéficier de l’expérience de cette dernière dans l’industrie du phosphate. Aux termes d’investigations menées par L’Alternative, le nom du groupe isréalien ressort dans le scandale Panama Papers.
 
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« Les éléphant savent toujours détecter les points d’eau ». Ce proverbe africain repris dans une interview publiée sur le site de l’entreprise minière Elenito, compare donc Jacob (Yaakov) Engel, très puissant homme d’affaire isréalien qui exerce depuis quelques années dans le secteur minier africain, à un vieil éléphant qui, en Afrique, à côté des secteurs clinquants, sait détecter les secteurs d’avenir.
 
Ce juif d’origine croate est à la tête d’un puissant empire industriel qui, depuis quelques années, se déploie en Afrique et qui contrôle par exemple jusqu’à 75% des exploitations d’or et de cuivre en Tanzanie. C’est le même groupe qui dirige le consortium et s’apprête à lancer l’exploitation de plus de 2 milliards de tonnes de phosphate carbonaté du Togo. Dans la course pour l’obtention de la concession minière, le consortium a devancé le groupe emirati Coromandel Phosphates Pvtltd (2e) appartenant au consortium Kalyan resources (propriétaire par ailleurs de l’hôtel Radison Blu 2 février). Le troisième consortium retenu pour le phosphate carbonaté est l’australien Balamara Resources.
 
« Le projet avait deux volets. Le volet exploitation de phosphate qui devait être confié aux Israéliens et une partie de ces phosphates devrait être transformé pour la fabrication des acides et de l’engrais pour la population ou du moins pour l’agriculture. Les négociations se poursuivent, mais c’est dit que si les négociations n’aboutissent pas avec le premier, automatiquement nous prenons le deuxième qui doit être Coromandel Phosphates Pvtltd qui est aujourd’hui Kalyan Resourcess, et le troisième, c’est un groupe australien qui est Balamara Resources. Les négociations pour l’attribution du permis sont en cours avec le premier, c’est une question de temps; mais nous osons croire que ça devait aboutir dans les meilleurs délais », a déclaré, mardi 09 août 2016, Mathias Banimpo Gbengbertane, lors d’un atelier sur la gouvernance minière organisé par la Banque Mondiale à Lomé.
 
Selon les prévisions annoncées sur le site du groupe Elenito, par an le projet devrait permettre l’exportation de 3 millions de tonnes de phosphates et la production (pour le marché local et l’exportation) de 1,5 million de tonnes de fertilisants et de 500.000 tonnes d’acide phosphorique.
 
La société mère d’Elenito est Engelinvest Israel Ltd. Elle appartient à Jacob (Yaakov) Engel. Engelinvest Israel est propriétaire de plusieurs autres sociétés créées avec l’aide du cabinet pananéen Monsack Fonseca. On peut citer, entre autres, Elenilto Investments Ltd dont l’activité est l’exploitation minière en Afrique (qui a comme actionnaires Jacob Engel, Alon Avdani, Amir Nagammy, Itzik Amiel) et Elenilto Africa Ltd (dont l’actionnaire est la première). Jacob Engel est dit proche de l’actuel ministre de la Défense d’Israël, précédemment ministre des Affaires Etrangères, Avigdor Lieberman. Dans le passé, les deux personnages ont été cités dans un dossier de privatisation (manquée) d’une mine en Europe de l’Est.
 
« Lors de la création de ces structures fiscales, les multinationales ou individus ci-visés ont pour soucis d’utiliser une société établie dans un paradis fiscal – appelée société relais – placée entre la société opérationnelle – produisant de l’acier le cas échéant – en Afrique et le siège du groupe ou une société mère, située dans un pays développé, certainement en Inde, aux Royaume-Unis, ou Etats-Unis. Cette structuration permet ainsi aux sociétés relais de transférer les revenus et / ou des coûts tout en réduisant considérablement le paiement d’impôts », a expliqué à L’Alternative, dans un précédent dossier sur l’évasion fiscale, le conseiller principal en matière de politiques fiscales et industries extractives au sein de l’ONG internationale Oxfam, Tatu Ilunga.
 
« Ces sociétés sont utilisées, dans la grande majorité des cas, à des fins frauduleuses : pour faire de l’évasion fiscale par exemple ou pour dissimuler l’identité du bénéficiaire économique réel voire des opérations frauduleuses. Pour créer une société offshore, on recourt la plupart du temps aux services de comptables, de sociétés spécialisées ou d’avocats établis dans les pays concernés. Dans le cadre de certains montages fiscaux, sont souvent utilisées plusieurs sociétés intermédiaires pour renforcer l’opacité du schéma », lit-on sur le site du confrère français « Le Monde »
 
La mainmise israélienne sur les phosphates togolais
 
Avant même l’arrivée de l’industriel Elenito pour le phosphate carbonaté, le phosphate (dit meuble) togolais était déjà placé sous tutelle israélienne. A la Société Nouvelle des Phosphates du Togo (SNPT), il y a la Direction et le Conseil d’Administration. Mais le décideur est un israélien du nom de Raphael (ou Raphy) Edery. Nul ne sait exactement son titre ou comment il est rétribué. Mais tout le monde répète une phrase : « C’est un ami du président (Faure Gnassingbé) ». Assez suffisant pour que personne ne cherche à savoir davantage sur son contrat avec l’entreprise. Cet ancien haut responsable du Mosad (Service secret israélien) ne « dirige » pas seul la société d’Etat. « Il fait les aller-retour avec un de ses fils de moins de trente ans qu’on appelle Iron et qui officie comme le vrai directeur commercial de la boite », confie une source au sein de l’entreprise. On apprend par ailleurs que le bureau de la SNPT à Paris, d’où est débarqué l’actuel Directeur Général Adjoint avant d’être casé à Hahotoé, est tenu par une intime d’Iron Edery. En dehors de ces trois personnes, la SNPT compte plusieurs autres expatriés tous proches de la famille israélienne.
 
Il faut rappeler que pendant les quatre dernières années, Faure Gnassingbé a effectué deux visites officielles en Israel et la dernière date seulement du début du mois d’août. En 2012 déjà, il avait rencontré lors de son séjour un certain Avigdor Lieberman, ministre des Affaires Etrangères en ce moment, qu’on dit être proche du propriétaire du groupe Elenito. Il n’est pas exclu que le Prince togolais ait rencontré Lieberman durant son dernier séjour au cours duquel le Togo a affiché ouvertement son intention de piloter une sorte d’amitié Afrique-Israël et de baliser la voie à une présence plus dynamique de l’Etat hébreu en Afrique de l’Ouest. Faure Gnassingbé a même proposé aux autorités israéliennes d’organiser un sommet Israël-Afrique à Lomé. « M. Gnassingbé a indiqué que la menace terroriste était un vrai problème pour l’Afrique et pour le Togo. Il a souhaité bénéficier de l’expertise israélienne dans ce secteur », peut-on lire sur le site de propagande du pouvoir de Lomé, republicofotogo.com. Et celui qui gère le portefeuille de la Défense en Israél serait un proche du patron du groupe Elenito, arrivé en tête dans la course pour l’exploitation des plus de deux milliards de tonnes du phosphate carbonaté togolais. Et il n’est pas exclu que le réseau Elenito (qui compte un ancien colonel de l’armée israélienne) et celui des Edery (lui-même ex-haut responsable du service secret israélien) se rejoignent.
 
Le pouvoir de Lomé que les autorités israéliennes qualifient de « très grand ami » ne cache plus son attachement au type de sécurité à l’israélienne. Il faut rappeler que la garde présidentielle rapprochée de Faure Gnassigbé est formée et recyclée en Israël et l’Agence nationale de renseignement (ANR) réputée pour ses méthodes de torture est équipée par l’Israél. Les hommes d’affaires hébreux sont aussi dans les télécommunications au Togo avec d’importants contrats avec Togo Telecom dont une partie est sous-traitée avec des Togolais proches de Faure Gnassingbé. Comme on le voit, l’axe Lomé-Tel Aviv cache beaucoup d’intérêts réciproques que le peuple togolais ignore encore. L’un, visiblement engagé à livrer des contrats juteux et à négocier des entrées en Afrique, et l’autre prêt à fournir des appuis militaires et en matière de renseignements. Un deal pour le renforcement du pouvoir du fils Gnassingbé.
 
Source : Mensah K., L’Alternative No. 550 du 30 Août 2016
 

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