Quelques leaders de la C14 | Photo : DR

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » – Guillaume d’Orange

Si ce n’était pas le destin de tout un peuple qui est en jeu, je continuerais à applaudir la qualité instrumentale de la feuille de route de la CEDEAO. En psychologie on parlera d’un double-pont instauré par les facilitateurs aux fins de tester les qualités intrinsèques de chaque protagoniste et d’évaluer in fine la capacité de chaque camp à présider aux destins du peuple togolais. Ne nous y trompons pas. La CEDEAO apportera sans état d’âme son soutien et son onction au candidat qui triomphera de l’épreuve avec le plus de brio et de succès.
A cet effet, la feuille de route dans sa profonde économie a redistribué les armes gelées de chaque camp : la course échevelée vers les élections pour le pouvoir et la pression de la rue pour la Coalition des 14 partis politiques (C14). Le 31 juillet 2018 peut donc apparaitre comme une nouvelle ligne de départ avec une arrivée fixée au 20 décembre 2018. L’arbitre se prononcera le 22 décembre 2018 lors du prochain sommet de la communauté prévue à Abudja (Nigéria) à cette date.
L’enjeu de la résolution de la crise togolaise s’apparente dès lors à une course dont les acteurs sont enserrés dans un sac avec le choix entre deux destinations tout aussi périlleuses l’une que l’autre. Le vainqueur sera sans aucun doute celui qui aura découvert la tierce destination, la bonne, déjà connue des seuls arbitres, où ils semblent l’attendre.
Tel me semble être le sens profond de la feuille de route et l’explication du comportement erratique et même du silence des instances de la CEDEAO appelées à faciliter la résolution de la crise qui perdure au Togo.
1 – pour le régime de Lomé 2 l’équation est claire : réformer et/ou périr
La CEDEAO a choisi de confier, contre toute attente, la conduite des réformes non à un gouvernement de transition comme souhaité par la C14, mais au régime lui-même, alors même qu’il est de notoriété publique que le pouvoir de Lomé ne peut se résoudre à effectuer des réformes institutionnelles et constitutionnelles sans se saborder ; sans prononcer son arrêt de mort. Lui adresser la responsabilité de la conduite de la réforme n’est autre chose que lui mettre le couteau sous la gorge avec injonction de faire dans un délai contraint de 5 mois les réformes que la résistance de Lomé 2 a différée depuis 2006 et l’Accord Politique Global (APG) intervenu entre les acteurs politiques togolais. Réformer est donc aussi périlleuse pour le pouvoir que ne pas le faire dans le contexte actuel.
Le pouvoir togolais a bien perçu l’enjeu et tente de se sortir du piège en trois temps :
D’une part poursuivre dans un élan désespéré le schéma habituel d’organisation unilatérale d’élections frauduleuses afin de mettre les acteurs devant le fait accompli d’une majorité factice acquise à la faveur d’un fichier électoral vérolé, d’un découpage électoral inique et d’institutions intervenant dans le processus électoral sous contrôle et complètement acquises au pouvoir en place. Le RPT/UNIR sait ne disposer que d’une base électorale très étroite de l’ordre de 5 à 10 %. Son espoir lors de scrutins transparents est quasi inexistant. Les velléités d’une organisation des élections aux forceps et les courses folles de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) aux ordres du régime participent de cette fuite en avant.
D’autre part, Lomé 2 compte sur les « turpitudes » habituelles de l’opposition togolaise, prompte à imploser face aux enjeux électoraux pour emporter encore une fois la mise. Déjà, les discours discordants de certains ténors de la C14 risquent de renforcer ce pari du régime
Enfin, le régime compte tirer parti de l’avantage net d’une ruée électoraliste afin de court-circuiter le comité de suivi de la CEDEAO et de faire apparaitre la C14, récalcitrante à prendre part à la mascarade de la CENI, comme l’auteur du blocage de la réalisation des réformes. La CEDEAO sera ainsi sommée d’avaliser les acquis de la partie la plus active.
2 – Pour la C14 sortir du double piège de la légitimation du régime et/ou apparaître comme blocage à la résolution de la crise
L’équation à laquelle la C14 est confrontée n’est pas plus simple. Là aussi fonctionne bien le double-pont de la feuille de route. Le gouvernement a beau jeu d’inviter les 4 membres restants de l’opposition à prendre leur part à la CENI. La coalition doit résister à la pression attractive du régime afin de la mettre en minorité au sein de la CENI. L’enjeu pour la C14 est d’éviter de légitimer de fait les forfaitures en préparation selon le schéma de 2013 et 2015. Si la C14 cède aux sirènes et aux appels du pied du gouvernement, il y a péril en la demeure. Cela sonnera définitivement la fin de la lutte menée par le peuple. Symétriquement, si elle ne prend pas part aux instances chargées de l’organisation des élections, le régime tentera de la faire apparaitre comme l’élément de blocage des réformes prescrites par la feuille de route. Acculé, Lomé 2 a déjà pris le parti commode de se défausser en comptant cyniquement, comme par le passé, sur les erreurs de la C14. C’est bien tenté.
La C14 gagnerait à prendre la sortie du piège très au sérieux ; quitter une attitude pour le moins attentiste et réactionnaire et être véritablement proactive.
3- l’épilogue
On le voit bien : La C14 en appelle à l’arbitrage de la CEDEAO. Elle semble attendre en condamnant les dérives de la CENI – en violation flagrante des recommandations de la feuille de route. Cela est nécessaire mais pas suffisant. Il devient urgent pour la C14 de reprendre les armes de la pression populaire que la facilitation lui a également rendues. Je dis bien rendues ! Le pouvoir n’hésite pas à utiliser les siennes notamment la poursuite du processus électoral de façon unilatérale. Que n’appelle- t-on pas le peuple à reprendre symétriquement les marches comme réponse appropriée à la provocation du régime ?
La crédibilité de la C14 suppose une réponse immédiate, du tac au tac, avec pour mot d’ordre l’instauration d’une véritable transition en vue de conduire les réformes et le processus électoral. Ceci avec le triple avantage de crédibiliser sa démarche, de pointer la mauvaise foi du régime et son incapacité à conduire des réformes transparentes préconisées par la feuille de route et enfin d’aider véritablement la CEDEAO à aider le peuple togolais.
Il est à parier que la CEDEAO restera dans l’expectative si le statu quo perdurait. Nous savons désormais qu’elle ne condamnera pas directement et frontalement le régime de Lomé 2 sans y être contrainte par la mobilisation populaire du peuple togolais. La communauté internationale n’a cure du plus sage ou du premier de la classe ou du plus respectueux des protagonistes. Elle adoubera simplement celui qui aura trouvé la troisième voie pour sortir de son équation et apparaitre comme le plus à même de conduire le peuple. L’histoire des peuples et des luttes de libération est parfois cruelle. La prime est toujours donnée à la partie la plus audacieuse et la plus imaginative pour trouver les réponses les plus adéquates au moments les plus opportuns. La politique est une science et un art qui ne se déploie qu’en opportunités identifiées et exploitées à l’optimum.
Jean-Baptiste K.