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Les économies de par le monde et celles des pays africains en particulier souffrent d’un fléau qui freine l’élan de leur développement socioéconomique. Ce fléau qui se présente sous divers aspects n’épargne pas le Togo et prend le nom de ‘’corruption’’. Une étude réalisée par le Centre de recherche et de sondage d’opinions (CROP) au Togo révèle qu’il prend des proportions inquiétantes. Les résultats des sondages qui ont été conduits du 17 au 29 décembre 2012 pointent un doigt accusateur sur la justice, la police et l’administration fiscale comme étant les secteurs les plus corrompus. Mais au-delà, il sied de toucher du doigt le laisser-aller auquel se livrent les décideurs politiques.
 
La corruption, à première vue, est le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. Elle conduit en général à l’enrichissement personnel du corrompu ou à l’enrichissement de l’organisation corruptrice. Elle peut concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, un syndicaliste ou l’organisation à laquelle ils appartiennent. A travers cette définition, il est indéniable de reconnaître que la corruption est un frein pour le développement de tous les pays dont le Togo vu les scandales financiers qui ont cours dans ce pays. C’est devant ce constat que les responsables de CROP de l’Institut Afrobaromètre se sont livrés à leur enquête.
 

Les résultats d’une enquête

 
Sur les 12 pays africains dont les données Afrobaromètre sont déjà disponibles, les résultats révèlent que seulement 26% des citoyens déclarent que la plupart des juges et magistrats sont corrompus. Ceci révèle une perception un peu plus favorable du système judiciaire dans d’autres pays africains comparés au Togo et au Benin. Au Togo, 44 % des opinions estiment que les juges et magistrats sont tous corrompus contre 32 % qui affirment que c’est plutôt certains d’entre eux seulement qui le sont. La police est également pointée du doigt par l’échantillon.
En ce qui concerne les agents de la police, mis à part le fait qu’environ 2 Togolais sur 10 ne se sont pas prononcés sur la question, les résultats sont assez similaires pour la moyenne des pays où les données sont disponibles. Les Togolais pensent, pour près de 50% d’entre eux, que la plupart des agents de la police sont corrompus.
 
Par contre, 48 % des interviewés pensent que la plupart des agents des impôts sont impliqués dans les affaires de corruption.
 
Au-delà de la perception sur la corruption, Afrobaromètre s’intéresse également au vécu de la corruption. Ainsi, sur une liste de services publics, dans la plupart des cas, plus d’un Togolais sur 10 déclarent avoir au moins une fois eu à payer un pot de vin afin d’obtenir le service en question. Par exemple, sur les 12 derniers mois, 20% de Togolais déclarent avoir payé un pot de vin au moins une fois à un agent de l’état afin d’obtenir un document ou un permis.
 
Lorsqu’on compare avec les autres pays Afrobaromètre où les données sont disponibles, il y a 7% plus de Togolais qui déclarent avoir payé un pot de vin au moins une fois au cours des douze mois qui précèdent l’enquête. Au Bénin par exemple, le chiffre est de 13% contre 20% au Togo.
Une analyse plus poussée de ces résultats révèle que les questions de corruption sont au centre des questions de gouvernance dans la plupart des pays y compris le Togo. L’une des mesures phares au niveau international est l’Indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International. Cependant, tandis que Transparency International focalise son indice de corruption sur l’opinion d’experts et de chefs d’entreprises, Afrobaromètre donne une opportunité d’avoir l’avis des individus sur ce phénomène. Afrobaromètre est un réseau de chercheurs africains indépendants et non partisans, menant une série d’enquêtes comparatives sur les opinions des Africains, et couvrant jusqu’à 36 pays pour sa 5ème série de 2011 à 2013. Il mesure les attitudes du public en matière de démocratie, évalue la qualité de la gouvernance et les performances économiques, ainsi que les opinions de l’électorat sur d’importantes questions politiques dans les pays concernés. La présente enquête a été réalisée auprès d’un échantillon de 1.200 adultes togolais. Les résultats de cette enquête trouvent leur importance dans l’élaboration de politiques publiques.
 

La réalité de la corruption au Togo

 
Les résultats des sondages ne font que corroborer les effets d’un fléau qui résiste à toutes les thérapies. Les sensibilisations, les dénonciations de la presse et de la société civile et autres des cas de corruption sont restés lettres mortes. Le secteur judicaire indexé est révélateur.
En effet, au Togo, la justice qui est le substrat de la démocratie est décriée par les justiciables, autant, les décisions sont rendues à la tête du client. Le droit est rendu au plus disant. En quittant le corps judiciaire pour aller vers la police, c’est une catastrophe. Les policiers sont des laissez-pour-compte, ne disposant même pas encore d’un statut. Les rapports trimestriels de l’Observatoire des pratiques anormales (OPA) n’ont cessé d’épingler les policiers pour leurs rackets occasionnant des pertes de temps et d’argent pour les conducteurs et passagers sur les différentes routes.
 
En remontant plus loin, en 2007, la gestion des inondations qui ont affecté le Togo a été émaillée de détournements. La gestion du fonds d’entretien routier a été faite dans une grande opacité. Résultats, près d’une vingtaine de ponts et ponceaux avaient cédé à l’époque. Cela a valu le limogeage de son directeur Ferdinand Tchamsi, mais l’argent détourné n’a jamais été récupéré pour le trésor public togolais. Plusieurs autres scandales financiers ont été signalés, mais sont restés impunis. Les exemples sont légions : Douanes, police, administration publique, sociétés d’Etat, dans le domaine des phosphates et des industries extractives, au Ministère du développement à la base, au Port autonome de Lomé, à la mairie de Lomé avec les multiples projets financés par les partenaires, à la caisse nationale de sécurité sociale, à la Loterie nationale togolaise, à la Direction Générale des impôts, même à la présidence de la République et dans les milieux politiques. Ces différents cas prennent plusieurs formes ; la corruption passive ou active, l’escroquerie, le déni de l’éthique, le népotisme, les paradis fiscaux, la prise illégale de l’intérêt, le recel d’abus de biens sociaux, le trafic d’influence passif ou actif etc. Tout ceci affecte dangereusement l’économie nationale et freine le développement du pays mais des mesures idoines ne sont guère prises pour l’éradiquer.
 

Une lutte non efficace

 
Au Togo, on assiste parfois à des mutations à la tête de certaines institutions sans que des motifs ne soient révélés au grand public. Mais à l’issue des enquêtes, on se rend compte que ce ne sont que des cas de malversations ou de pots de vins qui sous-tendent ces remplacements. Les exemples sont là, à la tête de certaines sociétés d’Etat et régies financières. Le cas le plus frappant est celui de l’institution de régulation des finances de l’Etat, la Cour des comptes. Celle-ci a procédé en Décembre dernier au remplacement de son président Tankpadja Lalle au cours d’une élection qui a ressemblé à un plébiscite pour le remplaçant. Des investigations menées font croire à une sanction infligée au sieur Lalle pour opacité et manque de transparence. Depuis son élection à la tête de cette institution en Octobre 2009, aucun rapport n’a été publié concernant la gestion des finances publiques. Les cas de corruption et de magouilles révélées par la presse n’ont jamais fait l’objet de poursuite. Ainsi, les deniers publics sont pillés avec la bénédiction des autorités sous le regard complice de cette institution de régulation. Ailleurs, les cas de fraudes ou de corruption sont durement sanctionnés et parfois les auteurs sont obligés de réparer le préjudice causé à l’économie nationale. Le cas du ministre Jérôme Cahuzac en France qui a défrayé la chronique il y a quelques semaines, en est une illustration. Tel n’est pas le cas au Togo. Les malversations et fraudes fiscales constituent des manques à gagner pour l’économie togolaise. Les gouvernants, au lieu de mener une lutte âpre contre ces fléaux, se rendent complices d’une manière ou d’une autre. Les effets de ces pratiques sont ressentis sur le trésor public. Et le même gouvernement qui fait preuve de laxisme, est obligé de recourir aux ressources extraordinaires qui ne sont autres choses que des dettes pour combler les déficits budgétaires. Ces dettes deviennent des corvées pour les générations présentes et futures.
 
Il revient aux décideurs politiques de freiner l’élan de ce fléau que constitue la corruption en faisant preuve de rigueur. Pour ce faire, les gouvernants ont l’obligation de mettre tout en œuvre pour éviter la lourdeur administrative qui constitue un élément catalyseur de ce fléau. Des canaux de dénonciation et des cellules de veille devraient être mis en place. La lutte pourrait aussi passer par la sensibilisation. La culture et l’éducation sont également des facteurs qui ne sauraient être mis entre parenthèses dans cette lutte.
 
La corruption n’étant pas une fatalité, les gouvernants doivent s’atteler à une bonne gouvernance. Sinon, les structures étatiques seules ne pourraient incarner cette lutte pour espérer son efficacité. La preuve, le régime a créé la Commission nationale de Lutte contre la corruption et le sabotage économique (CNLCSE) depuis Février 2001. Cette commission s’apparente à un amuseur de galerie ou simplement à un chat dont la présence n’inquiète guère les souris qui continuent leurs besognes. Les organisations de la société civile doivent s’inviter à cette lutte pour la rendre efficace.
 
Jean-Baptiste ATTISSO
 

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