La Cour pénale internationale traverse un sale temps, avec des retraits à la pelle de pays africains. Le bal a été ouvert par le Burundi et sa jurisprudence fait tâche d’huile sur le continent. L’alibi (sic), un soi-disant racisme de la CPI envers les dirigeants africains qui seraient les seuls jugés.
D’autres pays aussi annoncent leur retrait. Avec ces développements, c’est le pouvoir en place au Togo qui doit se frotter les mains, lui qui hésitait déjà depuis des décennies à adhérer au Statut de Rome fondateur de la CPI malgré les relances. Tout fait synonyme de prime à l’impunité…
Des retraits à la pelle
La menace était dans l’air depuis des années, mais c’est le Burundi qui a ouvert les hostilités le 18 octobre 2016. Le président Pierre Nkuruziza signait ce jour le décret de retrait de son pays de la CPI créée en 1998 par l’adoption du Statut de Rome, suite au vote par le Parlement de cette décision à une écrasante majorité de 94 voix pour, deux contre et 14 abstentions. Cette action faisait suite à la publication en septembre par l’Onu, d’un rapport citant des noms de gouvernants dans l’organisation des actes de torture et l’assassinat d’opposants politiques, ce qui avait suscité la colère du pouvoir de Bujumbura.
Après le Burundi, c’est l’Afrique du Sud qui a sauté le pas, en annonçant à son tour son retrait. Cette décision est un véritable choc pour la CPI car Pretoria en était un soutien de taille. La décision de l’Afrique du Sud serait motivée par les pressions exercées sur elle par les responsables de la CPI en vue de l’arrestation, en 2015, du président soudanais Omar el-Béchir relativement aux mandats d’arrêt émis en 2009 et 2010. Le 22 octobre, Sidiki Kaba, le président de l’Assemblée des Etats parties à la Cour, son organe législatif, demandait au Burundi et à l’Afrique du Sud de « reconsidérer leurs positions ».
Cet appel n’a visiblement eu aucun écho, puisqu’un autre pays va enclencher son processus de désengagement le 25 octobre. Il s’agit de la Gambie d’un certain Yahya Jammeh qui n’est plus à présenter. Ce retrait était sensible car la procureure de la CPI est de ce pays. La polémique a même enflé après sur la légitimité de Fatouma Bensouda à continuer à diriger cette Cour avec la nouvelle donne.
Ce n’est visiblement que le début d’un désengagement massif de cette Cour des pays africains. Faut-il le rappeler, en mars 2016, ils étaient 124 États sur les 193 États membres de l’ONU à avoir ratifié le Statut de Rome fondateur de la CPI et 32 États supplémentaires, dont la Russie et les États-Unis, à l’avoir simplement signé. La CPI est une institution permanente chargée de promouvoir le droit international et juger les individus (et non les États) ayant commis des actes de génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes d’agressions.
Le prétexte ( fallacieux) d’acharnement
Pour l’instant ils ne sont que trois pays cités formellement comme ayant annoncé et/ou acté leur retrait de la CPI. Certains ont des raisons de vouloir se retirer car leurs dirigeants sont dans le collimateur de la Haye pour les violations des droits de l’Homme commises. Pierre Nkurunziza du Burundi et Yahya Jammeh de la Gambie sont loin d’être des parangons de vertus. Dans ces pays, tuer relève presque de la routine. Mais loin d’être des actes isolés, ces retraits relèvent d’une décision collégiale prise par les pays africains. L’argument massue, une justice à deux vitesses, un acharnement contre les dirigeants africains.
En effet le 31 janvier 2016, lors du 26e sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, il a été voté un texte portant désengagement des pays africains de cette juridiction, sous la conduite du président tchadien Idriss Deby Itno. Le grief motivateur est que la CPI ne s’en prend qu’aux dirigeants africains. Les plus inspirés dans ce processus sont les présidents soudanais Omar el-Béchir et kényan Uhuru Kenyatta. C’est d’ailleurs ce dernier qui est porteur de la proposition de texte avalisée par ses pairs. Faut-il le rappeler, le président du Kenya et son Vice, William Ruto ont entre-temps fait l’objet des poursuites de la CPI avant que cette dernière ne revienne sur sa décision. L’autre dirigeant très impliqué dans ce processus n’est autre que Béchir, qui était l’objet d’un mandat d’arrêt en 2015 en Afrique du Sud et avait dû son salut au refus de Pretoria de le livrer à la CPI, conformément à la requête formulée. Hasard de l’actualité, cette décision de l’UA intervenait au moment où s’ouvrait à la Haye, pour la première fois, le procès d’un ancien chef d’Etat africain, Laurent Gbagbo accusé de quatre chefs de crimes contre l’humanité pendant la crise postélectorale qui a coûté la vie à plus de 3000 personnes en Côte d’Ivoire.
Ouganda, République démocratique du Congo, Centrafrique, Darfour (Soudan), Kenya, Libye et Côte d’Ivoire, voilà en effet des pays africains où des enquêtes ont été ouvertes par la CPI et où elle a mis en accusation des personnes. Mais l’argument de racisme est difficilement recevable. La question simple que l’on devrait se poser est de savoir si les faits reprochés aux dirigeants africains en question sont fondés ou pas. Il se fait malheureusement que c’est par l’affirmative que l’on devrait répondre. C’est ici que le prétexte d’acharnement invoqué parait fallacieux. L’alternative suggérée, c’est la création d’une Cour africaine pour juger de tels actes. Mais l’audace de ces genres de structures africaines à poser des actes forts a toujours fait défaut, le cas du jugement d’Hisseine Habre est illustratif. Il a fallu le culot des dirigeants sénégalais pour que cela soit effectif. C’est un secret de Polichinelle que ces structures continentales sont malheureusement financées par l’Occident que l’on accuse du bout des lèvres de partialité dans la poursuite des dossiers à la CPI jusque dans leur fonctionnement.
Le pouvoir de Lomé se frotte les mains
Le Togo n’est partie ni des 124 États sur les 193 membres de l’ONU à avoir ratifié le Statut de Rome fondateur de la CPI, ni des 32 à l’avoir simplement signé. Et pourtant ce ne sont pas les interpellations qui ont manqué ! Chaque année pratiquement, les autorités de Lomé, parmi lesquelles le chef de l’Etat sont interpellées, à travers des courriers, par les responsables de la Coalition pour la CPI (CCPI), à franchir le pas et adhérer formellement au Statut de Rome.
2007, 2011, 2012, 2013…à plusieurs reprises, notre pays a été souvent interpellé et la cible de la campagne mensuelle entreprise par cette structure pour convaincre les Etats réfractaires à signer ce texte fondateur de la Cour. Les gouvernants ont été parfois cajolés afin de poser l’acte utile et rejoindre la trentaine de pays africains déjà membres de la CPI ; mais ces appels sont toujours tombés dans des oreilles de sourd. « Il y a exactement un an, la Coalition a appelé le gouvernement du Togo à faire de l’adhésion au Statut de Rome une priorité (…) La Coalition apprécie les efforts réalisés par le Togo dans le dialogue avec la CPI, à travers sa participation à plusieurs sessions de l’Assemblée des Etats parties de la CPI et en particulier lors de sa participation et de sa contribution aux débats et sessions de la première conférence d’examen du Statut de Rome, qui s’est tenue à Kampala, en Ouganda, du 31 mai au 11 juin 2010 et demande à Lomé de faire de l’adhésion au Statut de Rome, ainsi que la mise en œuvre du traité dans sa législation nationale une priorité », indiquait l’une de ces lettres de la CCPI en février 2012, renouvelant son appel afin que le pays « démontre sa légitimité démocratique et atteste son engagement à l’Etat de droit, à la justice et à la paix en suivant les 33 autres pays africains qui ont déjà rejoint le Statut de Rome ».
Mais toutes ces interpellations sont restées vaines ; le pouvoir Faure Gnassingbé n’a jamais trouvé la nécessité de signer ledit Statut de Rome, le faire ratifier et ainsi adhérer formellement à la CPI. Et avec ces retraits tous azimuts de membres africains, l’appréhension est de voir le Togo renforcé dans sa position de refus de faire partie de cette institution internationale. Le régime a sans doute peur du dossier de 2005 qui a vu tuer un millier de Togolais pour permettre à Faure Gnassingbé de succéder à son père. Et de fait, c’est une bénédiction donnée à l’impunité au Togo…La CPI est sans doute imparfaite et perfectible, mais elle constitue depuis 2002, année de sa véritable opérationnalisation, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de criminels de guerre semant l’horreur dans le monde, et particulièrement en Afrique. Ces retraits tous azimuts sont une sorte de permis de tuer que tentent de s’accorder les potentats du continent…
Source : Tino Kossi, Liberté