Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI, en 2020. © RFI/Pierre René-Worms

Ce qui se passe dans ce pays lointain intéresse l’Afrique et les Africains, qui savent ce que peuvent être les frustrations d’un peuple subissant la loi de plus fort que lui. Les affinités du moment ne changent rien à cette triste réalité.

La résolution soumise, hier vendredi, au Conseil de sécurité des Nations unies s’est heurtée au veto de la Russie. La Chine, l’Inde et les Emirats Arabes Unis se sont abstenus, après avoir tout de même obtenu le remplacement du verbe « condamner » par « déplorer », pour ne pas s’opposer. Pourquoi dites-vous que cette concession, qui révulse les Ukrainiens, devrait aussi révulser les Africains ?

Parce que les bombardements de l’armée russe, que le Conseil de sécurité n’a pas osé condamner, se poursuivent. Ce que vit le peuple ukrainien, sous nos yeux, n’est pas déplorable, mais bel et bien condamnable. Pour aucune raison, les Africains ne devraient se réjouir des exploits de la Russie de Vladimir Poutine en Ukraine. Même s’il commence à acquérir une certaine popularité en Afrique, pour les (mauvaises) raisons que l’on sait, ce qu’il fait vivre au peuple ukrainien serait insupportable pour tout peuple africain. L’homme africain est fondamentalement épris de liberté, du grand air, et pas de quelque forme insidieuse de totalitarisme. Comme les Ukrainiens aussi rêvent de liberté et d’amitiés qui les élèveraient.

Il se trouve que les sanctions graduelles, à doses homéopathiques, de leurs amis occidentaux arrivent souvent trop tard, en-deçà des actes déjà posés par Poutine. Ne pouvant être rétroactivement dissuasives, elles se révèlent d’autant moins efficaces qu’aucune puissance amie n’est prête à voler à leur secours, au sol. Aussi, le dirigeant russe a t-il la certitude de parvenir à ses fins.

En Afrique, certains se réjouissent, sans doute parce que la Russie semble avoir actuellement la cote, sur le continent…

Un ami qui peut se comporter ainsi avec un voisin qui ne l’a ni attaqué ni provoqué peut, demain, attaquer n’importe lequel de tous ces Etats vulnérables d’Afrique, y compris pour un renversement d’alliance qui déplairait au Kremlin. Il n’y a pas d’ordre international qui tienne, lorsque triomphe la raison du plus fort.

Et, ne serait-ce que de manière très égoïste, ceux qui se réjouissent devraient penser aux étudiants africains totalement désorientés, qui ne savent comment s’extirper d’Ukraine. Penser à ce commerçant guinéen installé à Odessa. Dans notre incurie, nous n’avons jamais imaginé qu’un Guinéen (ou un Africain de quelque autre nationalité) pouvait être installé comme commerçant à Odessa.

Ce conflit change-t-il vraiment quelque chose aux relations internationales ?

Il n’y a pas si longtemps, nous parlions, ici, de la nécessité, pour la Cédéao, de se saborder, au profit d’une organisation plus crédible, plus courageuse, qui n’intègrerait que des Etats réellement désireux de respecter les mêmes règles. Cette nécessité s’appliquerait de manière encore plus impérieuse à l’Organisation des Nations unies, littéralement prise en otage par les cinq membres permanents qui se sont attribués, en 1944, le droit de veto au Conseil de sécurité, avant même la création de l’Organisation. Une fois sur deux, certains en font un usage qui relève de la capacité de nuisance, parfois contre des résolutions utiles à l’humanité.

Nicolas Sarkozy, l’ancien chef de l’Etat français, a eu raison d’affirmer, ce vendredi, à l’Elysée, qu’il fallait inventer les institutions multilatérales du XXIe siècle. Réformer l’Onu ne présente plus aucun intérêt. Elle devrait disparaître, au profit d’une organisation en phase avec les exigences du monde actuel, et en prise avec les réalités de demain.

Après tout, la guerre froide s’est achevée non pas sur une victoire du capitalisme, mais sur l’écroulement du communisme. Mikhaïl Gorbatchev confiait, il y a peu, que l’Occident aurait dû tendre la main à son pays, pour bâtir un monde nouveau, au lieu de se comporter avec l’arrogance de celui qui a gagné la guerre. L’état d’esprit des plus jeunes de l’époque, les Poutine, qui ont bercé dans l’humiliation et une forme de mépris, devrait-il surprendre, aujourd’hui ? L’humiliation, souvent, engendre la haine et, comme dit le chansonnier, des rêves de revanche. Nous y voilà !

Source: RFI

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