Des familles éplorées recourent aux morgues du Ghana…
Traverser les frontières togolaises pour recourir aux morgues en terre ghanéenne, aller à Kpalimé du fait de l’engorgement des morgues du CHR Lomé-Commune et de Tsévié. C’est la croix et la bannière depuis le 15 juillet 2018, date de la fermeture de la morgue du CHU Sylvanus Olympio.
Une mesure impopulaire
Le 15 juillet 2018 restera gravée dans les mémoires. C’est la date à laquelle la morgue du CHU Sylvanus Olympio de Lomé a été fermée pour raisons de travaux. L’annonce de la fermeture avait été faite moins de deux semaines avant l’échéance et les populations ont été invitées à retirer les corps de leurs défunts au plus tard le 14 juillet 2018.
La décision a suscité de vives réactions au sein de la population, mais des voies plus indiquées se sont élevées pour dénoncer une décision prise à la hâte et qui ne répondrait pas aux priorités des Togolais en termes d’accès aux soins de santé. Des responsables politiques et des défenseurs des droits de l’Homme ont vu en cette décision la volonté du pouvoir en place d’effacer les traces des victimes de la barbarie policière et dont les cas font toujours l’objet d’enquêtes.
Dans une lettre au ministre de la Santé et de la Protection sociale, Moustafa Mijiyawa, la Ligue des consommateurs du Togo (LCT) a rappelé que le déplacement des corps occasionnera des coûts supplémentaires pour les familles. Elle a souligné que les morgues indiquées par le ministre ont une faible capacité d’accueil et formulé la demande de suspension du projet de réhabilitation en vue d’une meilleure gestion des complications qui devraient découler de la fermeture.
La réalité sur le terrain
Deux mois après cette fermeture, tous les signaux montrent que ceux qui ont critiqué le projet et le timing de sa réalisation ont eu raison de le faire. Si par la grâce divine toutes les familles des Loméens ne sont pas endeuillées, plusieurs ont perdu des proches. L’aisance relative avec laquelle les corps étaient conservés à la morgue du CHU-Sylvanus Olympio a fait place à des tracasseries de tout genre.
Les morgues du CHR Lomé-Commune, d’Aného et de Tsévié qui sont les plus accessibles ont une faible capacité d’accueil. Et depuis quelques semaines, elles sont pleines à craquer. « Souvent, les gens se promènent avec les corps des défunts de Lomé à Aného. Certains se retrouvent carrément à Kpalimé parce que la morgue de Tsévié est pleine depuis un moment », raconte une source hospitalière.
Kpalimé est à 120 Km de la ville de Lomé et à 2 heures de route. Pourtant, c’est elle qui soulage aujourd’hui les morgues du CHR Lomé-Commune et de Tsévié. L’illustration a été encore faite cette semaine. Dans notre parution N°2746 du 03 septembre 2018, nous avons fait cas du décès, suite à un braquage, d’un Congolais dans la rue longeant la lagune à Hanoukopé. Les proches du défunt n’ont pas été épargnés par les difficultés qu’engendre la fermeture de la morgue du CHU-SO. « Nous avons cherché partout à Lomé, mais rien. Tsévié aussi était plein. Nous étions obligés d’aller déposer le corps à Kpalimé », explique un proche du défunt.
Outre Kpalimé, les familles sont obligées d’aller à Aného. Cette ville est située à 50 Km à l’Est de Lomé. Malgré cette proximité, conserver un corps à la morgue de cette ville a aussi des inconvénients, surtout en cette période de fête traditionnelle en pays Guin. « Nous avons été obligés d’enterrer ma mère dans la précipitation. On nous a dit qu’on devait retirer le corps avant la période des fêtes ou attendre plusieurs semaines après. Nous avons préféré le retirer pour éviter les coûts supplémentaires que vont engendrer une longue conservation du corps », se désole une dame.
En réalité, selon la tradition en pays Guin, les funérailles sont suspendues pendant la durée des festivités de la prise de la pierre sacrée Autrement dit, jusqu’à la fin des festivités, la morgue reste inaccessible.
La fermeture de la morgue du CHU-Sylvanus Olympio a également occasionné le phénomène des « défunts réfugiés », ces défunts qui se retrouvent en dehors des frontières nationales. « C’est la tendance depuis la fermeture de la morgue. Les gens vont directement à Aflao et ses environs. Ils ne se donnent plus la peine de chercher à Lomé. D’ailleurs quitter Kodjoviakopé, Nyékonakpoè, Cassablanca… pour aller chercher une morgue à Tsévié, Aného ou Kpalimé engendre trop de tracasseries. J’ai perdu un parent il y a quelques jours et nous sommes allés directement au Ghana pour la conservation du corps », explique un quadragénaire habitant au quartier Kodjoviakopé. A l’instar de ce quartier, toutes les localités frontalières au Ghana ont recours aux morgues de ce pays. Dans ce cas, il faut tenir compte des frais de la traversée de la frontière.
Ces récits illustrent les difficultés occasionnées par la fermeture de la morgue du CHU-Sylvanus Olympio. Malheureusement, la fin du calvaire n’est pas pour demain.
Géraud A.
Source : Liberté