En visite en France, Brigitte Adjamagbo-Johnson, coordonnatrice de l’opposition, appelle à aider le Togo à réussir une transition démocratique.
L’Humanité : Huit mois après le début du mouvement insurrectionnel contre le régime de Faure Gnassingbé, quelle est la situation au Togo ?
Brigitte Adjamagbo-Johnson : Ce front social est unique dans l’histoire du Togo. Dans les villes comme dans les campagnes, le peuple reste déterminé. Sur le plan politique, l’opposition a accepté de nouer, depuis le 19 février, un dialogue avec le gouvernement. Nous avons accédé à la requête du facilitateur, le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, qui nous a demandé de faire cesser les manifestations. Mais si nous jouons le jeu, le régime, lui, n’en respecte pas les règles. Depuis deux mois et demi, toutes nos propositions sont restées lettre morte. Aucune réponse sur le retour à la Constitution de 1992 (réécrite en 2002, puis 2005, après l’arrivée au pouvoir de Faure) dans sa version initiale à deux mandats présidentiels, ni sur la réforme du cadre électoral. Nous nous dénouons donc de notre engagement et appelons le peuple à manifester, s’il le souhaite. Récemment, un sondage fait par Afrobaromètre résumait parfaitement la situation : 87 % des sondés veulent le retour à la Constitution de 1992, 70 % veulent que Faure Gnassingbé quitte le pouvoir. Et même 53 % des gens proches de son parti ne veulent plus qu’il dirige le pays.
L’Humanité : Dans les prochains mois, quels sont les enjeux politiques ?
Brigitte Adjamagbo-Johnson : Faure Gnassingbé aimerait prendre tout le monde de court en organisant des élections législatives anticipées. Cette stratégie vise à court-circuiter nos demandes afin de pourrir le dialogue et ne pas perdre le contrôle des élections. De notre côté, nous demandons d’abord la nomination d’un premier ministre consensuel qui ait la capacité nécessaire pour diriger la transition et opérer la réforme avant d’organiser les élections. À ce moment-là seulement, l’opposition (14 partis), qui reste unie, choisira alors qui la représentera. Nous voulons aussi que le rôle de l’armée soit limité et réclamons la présence de forces étrangères, de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), de l’Union africaine (UA) ou de l’ONU, pour que cette transition puisse se faire normalement.
L’Humanité : Croyez-vous que la France, très impliquée au Togo comme l’a récemment rappelé la mise en examen de Vincent Bolloré, peut accompagner un changement de régime ?
Brigitte Adjamagbo-Johnson : Si Paris voulait un changement démocratique au Togo, il aurait déjà eu lieu depuis longtemps. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, la posture de la France, c’est de renvoyer la problématique du Togo dans l’espace intra-africain. D’abord, en mettant le dossier dans les mains de l’UA, qui elle-même délègue à la Cédéao, dont l’actuel président (jusqu’en juin) n’est autre que Faure Gnassingbé. C’est donc le serpent qui se mord la queue. Mais nous ne perdons pas espoir. J’ai rencontré le sénateur PS Gilbert-Luc Devinaz, qui, je l’espère, réussira à faire avancer le dossier togolais dans les consciences. Quant à l’affaire Bolloré, elle rappelle une réalité que Paris ne peut nier : le port de Lomé est le port Bolloré. En 2017, nous avons estimé à 5 milliards d’euros le chiffre d’affaires du groupe au Togo, dont 3 millions d’euros seulement sont allés dans les caisses de l’État. Dans cette affaire, des dirigeants togolais sont mis en accusation depuis une plus d’une semaine. Mais, au Togo, c’est le silence radio. Qu’attendent-ils pour se défendre et dire au peuple à qui profitent les ressources naturelles du Togo ?
 
L’HUMANITÉ/ENTRETIEN RÉALISÉ PAR STÉPHANE AUBOUARD/VENDREDI, 4 MAI, 2018
 

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