Le président togolais Faure Gnassingbé (g) et l’homme d’affaire français Vincent Bolloré, récemment inculpé pour Corruption, Abus de confiance et Faux et usage de faux dans une affaire d’obtention de concessions portuaires en Guinée et au Togo | Photo : Repubicoftogo


Ce mercredi 25 avril 2018, Vincent Bolloré, le puissant affairiste en eau profonde en Afrique, a été mis en examen pour corruption d’agent public étranger, complicité d’abus de confiance et faux et usage de faux dans l’affaire des concessions portuaires en Guinée-Conakry et au Togo. « Les magistrats soupçonnent les dirigeants du groupe d’avoir utilisé leur filiale de communication Havas pour faciliter l’arrivée au pouvoir de dirigeants africains¹ ». Ces dirigeants, ce sont en l’occurrence Alpha Condé en Guinée en novembre 2010 et Faure E. Gnassingbé au Togo en 2010, et ceci « dans un seul objectif : obtenir les concessions portuaires des lucratifs terminaux à conteneurs ».
Sur le fond de ce dossier, nous laissons les policiers judiciaires de Nanterre faire leurs investigations pour décider de la suite à donner à cette affaire. Retenons simplement que les motifs de la mise en examen sont lourds et concernent des faits qui touchent non seulement le sommet des États tels que la Guinée et le Togo, mais aussi l’économie de ces pays via la gestion et la maîtrise du précieux outil qu’est un port.
Cette affaire à elle seule illustre à loisir ce qui se passe dans les couloirs et antichambres des palais présidentiels sur le continent en matière d’affairisme et des relations tentaculaires de ces puissants qui contribuent, qu’on le veuille ou non, à financer et soutenir des régimes prébendiers corrompus jusqu’à la moelle. Se développe ici une relation essentiellement patrimoniale dans un jeu de donnant donnant, de corruption réciproque et dans lequel ces affairistes privés se livrent à des pratiques qui contreviennent aux principes et valeurs qui fondent les démocraties. Sur le continent africain, M. Bolloré, via son groupe, est le fin continuateur de la Françafrique dont les pratiques dignes de la mafia, continuent à épuiser les peuples africains.
La lutte que mène l’opposition au Togo avec la coalition des 14 partis politiques est louable et doit continuer jusqu’au renversement de la dictature, pour la construction d’un État véritablement démocratique. Si cette lutte est nécessaire, elle ne suffit pas pour asseoir les fondements d’une société neuve. Pour le dire autrement, il ne suffit pas d’engloutir la dictature, il faut aussi faire advenir le monde que l’on veut bâtir pour ne plus jamais avoir à souffrir ce que le peuple togolais a souffert pendant plus d’un demi-siècle.
L’exemple guinéen est à portée de main pour illustrer mon propos. Le président actuel de la Guinée, M. Alpha Condé a passé de longues années en exil à Paris, dénonçant la dictature qui l’a obligé à prendre le chemin de l’exil. Il était alors dans la situation dans laquelle se trouve l’opposition togolaise à l’heure actuelle, à la seule différence que cette dernière mène son combat sur le sol togolais. Quand il accède au pouvoir en 2010 à la faveur des élections troubles, après cinquante-deux ans de dictature, au lieu de panser les plaies, de bâtir une société guinéenne émancipatrice qui aide les plus pauvres à accéder aux biens communs partagés, il cède un outil précieux, le port de Conakry, à « son ami Bolloré ».
Voilà comment un ex-opposant exilé, accédant au pouvoir, tourne le dos à ce qu’il dénonçait lui-même quand il était de l’autre côté, et permet à « son ami Bolloré » de faire fortune au détriment des Guinéens. Voilà comment Il ne suffit pas de dénoncer la dictature, il faut réfléchir au monde que l’on veut mettre à la place. Car, point n’est besoin de sortir de Polytechnique pour savoir que « détenir les ports, c’est s’assurer d’avoir la main sur l’économie du pays, et donc sur le pouvoir. » Voulons-nous réellement travailler pour l’intérêt des populations et contribuer à élever leur niveau de vie ou bien voulons-nous brader nos richesses pour les seuls intérêts d’une oligarchie ? Y a-t-il une fatalité que les générations qui n’ont pas connu autre chose que la dictature reproduisent le même schéma ? Ou bien peut-il y avoir place pour l’imagination incandescente, l’utopie enthousiaste et le rêve enflammé pour rebâtir ce que la dictature a abîmé ?
Cette affaire Bolloré révèle autre chose encore. On observera que l’acquisition des ports de Lomé et de Conakry s’est faite dans des conditions similaires d’éviction brutale des concurrents : Jacques Dupuydauby à Lomé et le groupe Nécotrans à Conakry². Et chacun sait que M. Bolloré n’aime pas la concurrence. Ceci révèle un système, la Françafrique, dont les dérives ont pour seuls objectifs de maintenir en place des pouvoirs corrompus et illégitimes au moyen de la déprédation, des prébendes et de la violence.
L’ironie dans ce drame est que pour sortir de la crise que connaît le Togo depuis des décennies, la CEDEAO charge les présidents guinéen et ghanéen de mener la médiation entre le pouvoir en place et l’opposition togolaise. Une délégation de l’opposition a même été reçue par Alpha Condé, le président de la Guinée, à Paris. Il faut être très naïf pour croire que M. Alpha Condé, qui tête aux mêmes mamelles que Faure Gnassingbé : celles de Bolloré, peut apporter quelque solution pour l’avènement de la démocratie au Togo, ce que lui-même peine à bâtir chez lui.
Voilà pourquoi cette garde à vue de Vincent Bolloré et de quelques cadres du groupe éponyme éclaire d’une lumière crue ce qu’il convient de ne pas perdre de vue dans le combat démocratique qui se joue au Togo, à savoir : de puissants intérêts financiers privés sont en jeu qui viennent coaliser avec les intérêts d’une classe politico-militaire, tout aussi affairiste, pour maintenir un statu quo si autocratique, mais aussi si juteux pour Bolloré et « ses amis » au pouvoir. La bataille qu’il convient de mener doit cibler aussi bien les forces occultes de l’intérieur que les puissants réseaux financiers tout aussi occultes de la Françafrique.
Il nous revient la tâche immense de construire et de développer par la pensée, la réflexion et l’imaginaire le mouvement contre hégémonique capable de fédérer toutes les forces vives dans une dynamique puissante au service du bien-être des populations. Il s’agit d’élaborer une nouvelle vision du monde pour concurrencer la tragédie, l’odeur de mort et la stérilité de la vision obsolète de la classe politique actuelle. Il me semble que notre responsabilité, comme intellectuel, sera d’investir le champ de la pensée et de la culture et des arts. L’urgence est là, si nous voulons transformer ou reformater la mentalité de nos concitoyens ou bien arracher ce que des décennies de dictature violente et corrompue ont semé dans le corps social. C’est pourquoi il est crucial d’organiser une force politique suffisamment forte au service d’un projet multi émancipateur. Une sorte de sentinelle pour combattre des prédateurs corrompus ainsi que leurs réseaux affairistes tout aussi corrompus et malfaisants. Il n’est plus possible de continuer à laisser perdurer ce système prédateur d’un autre âge. Il nous revient, à nous Africains, d’imaginer des projets émancipateurs qui ne s’accommodent plus de réseaux corrompus, fussent-ils puissants. Levons-nous ! Et mettons-nous au travail pour hâter la nouvelle Afrique !
Ambroise Teko-Agbo
Note:
1- Voir http://www.lemonde. fr/societe/article/2018/04/24/ports-africains-vincent-bollore-en-garde-a-vue_5289749_3224.html
2- On lira avec intérêt l’article de Martine Orange sur le site https://www.mediapart. fr/journal/international/240418/justice-bollore-rattrape-par-ses-pratiques-en-afrique?page_article=1
 

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