« Seuls deux dangers nous guettent : l’ordre et le désordre » – Paul Valéry

Le temps des consentements
La révolution togolaise est rentrée dans une phase de moindre pression qui a eu pour conséquence de requinquer le régime dictatorial. En effet depuis la fin de sommet de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O.) d’Abuja au Nigéria, Faure Gnassingbé a cru bon de chevaucher le communiqué sibyllin des chefs d’État de la sous-région pour mener tambour battant une campagne de communication destinée à affirmer son imperium sur le peuple et l’État togolais tout en espérant casser le moral des troupes et démobiliser les manifestants de plus en plus nombreux à braver la violence d’État érigée en mode de gouvernement. Les ministres et conseillers du chef de l’État s’en sont donné à cœur joie et les Bawara, Trimua, Tchao, aphones un moment, ont retrouvé de leur superbe et l’aplomb mensonger pour la défense et l’illustration du bien-fondé et de « la légitimité du pouvoir démocratique » du tyran de Lomé 2. La mauvaise foi le dispute allègrement à la violence verbale et physique qui a resurgi au cours des dernières manifestations de fin décembre 2017 avec leur lot de blessés, de traumatisés, d’embastillés. Le pouvoir dictatorial semble renouer avec ses familiers démons du mensonge, de la duplicité et de la violence brute et aveugle contre le peuple. Ce regain de violence a un court moment assommé le peuple avant de le ragaillardir. Il est plus que jamais décidé à faire plier le régime cinquantenaire et sanguinaire qui préside à son destin.
La révolution togolaise est aujourd’hui dans ce qu’on peut appeler « une drôle de guerre » dont l’issue paraît de moins en moins claire à mesure que les semaines s’égrènent.
Loin de blâmer les acteurs qui se battent courageusement sur le terrain face à la cruauté d’un régime qui ne connaît pas de limite dans la violence, il convient néanmoins de s’interroger sur les ressorts profonds d’une révolution légitime qui tarde à produire l’effet escompté par tout un peuple épris de liberté : la chute du système politico-mafieux qui a fait main basse sur le Togo et ses richesses depuis plus de 50 ans. La révolution togolaise a viré progressivement, sous l’impulsion de Jean-Pierre Fabre, en simple revendication pétitionnaire et en marches quasi carnavalesques encadrées par les autorités qui se permettent même de décerner des bons points de discipline et de bonne tenue aux manifestants. La seule difficulté que le pouvoir togolais éprouve réside dans le grand nombre des manifestants à encadrer. Rien de bien différent des marches de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) qui pendant plusieurs années n’ont pas empêché la satrapie d’exécuter ses basses œuvres et de continuer l’entreprise de confiscation du pouvoir et de pillage systématique des ressources nationales au profit d’un cercle réduit d’oligarques nationaux et leurs soutiens étrangers. La révolution a perdu de son mordant des 19 et 20 août 2017 et surtout de la capacité à ébranler les bases du régime en place. Les sages marches perdent beaucoup de leur sens au point de se demander, si Jean-Pierre Fabre ambitionne réellement de prendre le pouvoir au Togo et de l’exercer. La persistance dans une stratégie perdante, reconnue par tous et depuis des années ne manque pas de questionner sur la réelle visée politique du chef de file de l’opposition. L’avènement de la liberté, de la démocratie et de l’alternance au Togo passeront nécessairement par le changement de paradigme de la lutte et par des consentements stratégiques profonds susceptibles de remobiliser en donnant des chances de réussite à l’aspiration renouvelée du peuple au changement.
Consentir : voilà le maître-mot
La coalition des 14 doit renoncer au projet d’arracher le changement à travers le dialogue ou la négociation. C’est une chimère dangereuse pour le peuple. Le pouvoir dictatorial en place au Togo est intrinsèquement incapable de nouer un dialogue et d’appliquer les recommandations s’il y était contraint. Les manœuvres dilatoires en cours, les atermoiements, le regain de violence des derniers jours traduisent à suffisance l’impossibilité d’une telle issue. Il faut l’accepter, consentir profondément à cet état des choses pour orienter l’action dans un autre sens plus efficace. Si le dialogue était la solution, nul doute que le pouvoir ne l’aurait pas proposé avec l’appui de ses complices internationaux. Il faut absolument cesser de rêver tout en leurrant le peuple.
Les leaders doivent de même consentir à l’isolement de la lutte du peuple pour sa liberté et accepter l’existence d’un véritable complot international contre le Togo fomenté et orchestré par la France, soutien le plus sûr du régime. Il faut définitivement renoncer à l’espoir d’un soutien institutionnel extérieur et activer plus encore l’authentique sympathie internationale des peuples et des sociétés civiles organisées de par le monde. Le voyage effectué au Ghana récemment par une délégation de la coalition ne peut être que diplomatique et protocolaire tendant à asseoir la volonté de l’opposition de dialoguer. Mais ne nous leurrons pas, les autorités ghanéennes ne feront jamais plus pression sur le tyran togolais. La France par la voix de son chef leur interdit désormais de se mêler de « ce qui ne les regarde pas ». Ne leur reste plus que la gestion de l’opinion publique interne et l’endiguement des conséquences d’une crise permanente au Togo sur leur propre territoire. La compréhensive affabilité du président ghanéen sert juste à masquer l’impuissance abyssale de sa médiation dans la crise togolaise. Il convient d’y consentir.
Il faut de même que la coalition des 14 consente à la limite extrême de leur méritoire action. C’est le moment de passer réellement le relais à la société civile. Le rôle des leaders politiques doit tendre désormais à peaufiner la coordination des acteurs et de l’action en capitalisant au maximum la grogne sociale portée par les revendications des syndicats notamment. Ceci donnerait une nouvelle force et infléchirait positivement le combat en s’exonérant du reproche fait aux partis politiques coalisés de tentative de prise de pouvoir par la rue.
Il faut surtout consentir à la force sans céder à la violence. Répondre du tac au tac. Parler le seul langage que le régime dictatorial comprend. Le déphasage persistant entre la proposition du régime et la réponse de la révolution togolaise constitue un danger d’essoufflement inéluctable.
Consentir à la force, c’est accepter de montrer les muscles chaque fois que nécessaire.
Consentir à la force, c’est de ne pas oublier que le régime togolais n’a véritablement été ébranlé que les deux jours de la colère du Parti national panafricain des 19 et 20 août 2017.
Consentir à la force, c’est oser s’attaquer aux intérêts français au Togo.
Consentir à la force, c’est prôner la révolte fiscale et la résistance du peuple devant la spoliation de ses ressources.
Consentir à la force, c’est se donner les moyens de la légitime défense.
Consentir à la force, c’est donner la chance à la révolution togolaise et à ses acteurs de s’organiser en comités de défense.
Consentir à la force, c’est refuser d’être livrés continuellement à la violence gratuite et aux exactions de toutes sortes sans réagir.
Consentir à la force, c’est éviter pour le peuple en lutte le sort des abattoirs.
Consentir à la force, c’est aussi se donner la chance de voir les rangs grossir des éléments de l’armée, républicains en rupture de ban.
Consentir à la force, c’est sauver des vies humaines en écourtant la lutte tout en se donnant une chance supérieure d’atteindre l’alternance dans notre pays.
Consentir à la force, c’est en définitive quitter la révolution de basse intensité qui n’attire aucune défection des rangs de l’adversaire, aucune adhésion de forces nouvelles et provoque bien plus de dégâts directs et collatéraux sur le long terme sans aucune assurance d’un débouché heureux pour le peuple.
Il faut d’urgence sortir de ce mauvais pas, refaire surface et renouer avec les armes d’une véritable révolution émancipatrice. Le combat sera rude contre la dictature cinquantenaire car « la bêtise insiste toujours » (A. Camus), mais le peuple organisé et déterminé est invincible.
Jean-Baptiste K.

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