. Bilan cinq ans après : Des acquis, des engagements non tenus, des contradictions
Premier chef de gouvernement ayant duré à son poste, un peu plus de cinq ans, Sélom Komi Klassou pourrait être reconduit. Selon les informations, le chef de l’Etat voudrait du sang neuf au premier ministère, mais les « vieux » du RPT-UNIR demandent que l’enseignant au département de géographie soit maintenu. Pour ces derniers, son bilan est largement positif.
Faure Gnassingbé ayant officiellement prêté serment le 03 mai 2020, le Premier ministre Sélom Komi Klassou (SKK) aurait dû remettre sa démission et celle de son gouvernement en même temps. Libre au chef de l’Etat de le reconduire ou de nommer quelqu’un d’autre qui devrait former un nouveau gouvernement. Mais l’état d’urgence sanitaire de trois mois décrété dans le cadre de la lutte contre la maladie du Covid 19 a créé une situation d’exception à tous les niveaux. L’ancienne équipe gouvernementale est en place jusqu’à la fin de l’Etat d’urgence prévue le 1er juillet.
Alors, si tout va bien, le Togo va connaître très prochainement le nom du premier Premier ministre du 4ème mandat de Faure Gnassingbé. Selon les informations, les velléités de « l’homme simple » d’avoir du sang neuf à la Primature – certains parlent de Kodjo Adédzé – seraient douchées par les barons dont la plupart étaient « ministres avec Eyadema ». Ceux-ci estiment que SKK a fait du bon travail et qu’il mérite d’avoir une nouvelle chance. Réussiront-ils à imposer leur homme ? On le saura dans quelques jours. Par ailleurs, il nous revient que des membres de la famille maternelle militeraient aussi auprès de leur « fils » pour le maintien de l’« oncle » SKK.
Quoi qu’il arrive, Klassou a déjà battu le record de longévité au poste de Premier ministre. Personne n’a fait mieux que lui. S’il venait à être reconduit, il serait le premier à avoir conduit le gouvernement sous deux mandats présidentiels différents. Quid de son bilan après cinq ans passés à la Primature ?
Ce qu’on peut mettre à son actif
« Comme il s’y est engagé, le gouvernement organisera cette année les premières et historiques élections locales au Togo. Il espère que toutes les filles et tous les fils de notre cher pays saisiront cette occasion pour contribuer à la mise en place d’organes élus directement par ceux-là même dont ils ont la charge de défendre les intérêts dans un cadre territorial bien précis », a-t-il déclaré dans sa déclaration de politique générale (DPG) le vendredi 25 janvier 2019 à l’Assemblée nationale. Un pari gagné quoi qu’on dise. Les élections locales consignées dans les 22 engagements auxquels le gouvernement a souscrit en 2004, ont finalement eu lieu, mais à la manière voulue par le RPT-UNIR. Comme l’avait dit un certain Fambaré Natchaba lors de ses années glorieuses : « Au RPT, on va tout prendre » !
C’est également sous SKK que les fameuses réformes constitutionnelles ont été faites. Mais ici aussi ce sont des réformes, dictées par le parti présidentiel dans le but de pérenniser la « dictature héréditaire pluraliste », qui ont été faites. Faure Gnassingbé peut briguer encore deux mandats en attendant de trouver d’autres parades pour de nouvelles modifications constitutionnelles dans le futur.
Toujours sur le plan politique, Klassou a organisé les élections législatives en décembre 2018 et la présidentielle de février 2020 sans grandes anicroches. Même si elles ont été contestées, aucune manifestation suivie de représailles n’a eu lieu. Il peut s’estimer heureux après tout ce qui s’est passé en 2017.
Sur le plan économique, on peut citer les progrès réalisés dans le cadre de Doing Business. « Depuis quelques années, le Togo s’est lancé dans une politique volontariste d’amélioration de son climat des affaires qui lui a permis, selon le rapport Doing business de la Banque Mondiale publié le 30 octobre 2018, d’être le pays qui a enregistré la grande progression en Afrique en 2018, avec un bond de 19 places, soit de la 150è à la 137è place. Ce score a également permis à notre pays de se hisser dans le Top 10 des économies dans le monde qui ont le plus amélioré leur cadre réglementaire, 2ème économie la plus attractive de la zone UEMOA et 4è de l’Afrique de l’Ouest ». Une chanson qui est régulièrement reprise dans les discours officiels.
Des efforts sont en outre faits dans le domaine agricole avec une kyrielle de projets tant au niveau des financements que dans le cadre de la modernisation de l’agriculture. Par ailleurs, l’adoption du nouveau code foncier est à saluer surtout que ce secteur est une bombe à retardement.
Des engagements non tenus, des contradictions
« La voie vers le progrès étant déjà tracée, notre mission consistera à garder résolument le cap et à intensifier nos efforts dans un esprit d’innovation permanente, pour hisser notre pays à un niveau plus élevé dans tous les domaines […] Sur le fondement des récents acquis, nous mettrons tout en œuvre pour intensifier les efforts qui ont été déployés pour améliorer davantage l’offre de santé publique, reformer et moderniser notre système éducatif, faciliter l’accès à l’eau potable car ces besoins sont au cœur des préoccupations quotidiennes des couches les plus vulnérables de nos sociétés, en particulier celles qui vivent dans les milieux ruraux reculés ». Tél était le postulat de SKK dans sa première déclaration de politique générale (DPG) servie le 25 juin 2015 aux députés. Cinq ans après, il appartient à chaque Togolais de dire si ces défis ont été relevés.
Logement.« Pour ce qui est des logements sociaux, le Gouvernement s’attèlera à traduire dans les faits la détermination du Président de la République à prendre en compte le cas des Togolais à faibles revenus et à revenus intermédiaires afin qu’ils accèdent à un logement décent à un prix abordable. Je suis à cet égard heureux d’informer la Représentation nationale que le projet pilote de construction de 600 logements sociaux dans le quartier d’Adidogomé avance à grand pas. L’installation de la voirie et des réseaux divers a déjà démarré et les premiers logements devraient être livrés d’ici à 18 mois. Ce projet pilote est exécuté avec un budget de 8,5 milliards de francs CFA, dont le financement est assuré par des banques de la place. Dans un environnement socioculturel où avoir un toit à soi est la priorité des priorités, il va sans dire que le Gouvernement mettra tout en œuvre pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans ce domaine. Ainsi après ce projet pilote, un second volet sera entamé avec la construction de 2500 logements sociaux, l’objectif global étant de construire 5000 logements sociaux par an d’ici à 2020. (DPG 2015).
« Par ailleurs, le gouvernement travaillera à porter le taux d’accès au logement décent de 47,7% en 2017 à 52% en 2019 par la construction de 2000 logements sociaux à Lomé, Adetikopé, Davié, Agou, Atakpamé, Sokodé, Kara, Dapaong avec l’appui technique et financier de la BOAD dans l’aménagement des voiries et réseaux divers (VRD) ». (DPG 2019).
Non seulement les premiers logements ne sont pas toujours livrés, mais aussi leur coût est exorbitant. Selon le ministre de l’Urbanisme de l’habitat et du cadre de vie d’alors, Fiatuwo Kwadjo Sessenou, ce projet dénommé « Cité Mokpokpo » est destiné seulement aux fonctionnaires d’Etat des catégories A1, A2, A3 et B. De fait, lesTogolais vivant en dessous du seuil de pauvreté, les plus nombreux d’ailleurs, sont laissés pour compte. En outre, les 2500 logements sociaux annoncés dans la DPG de 2015 sont devenus 2000. De juin 2015 à janvier 2019, 500 logements sociaux ont donc disparu des discours. Inutile d’aborder le sort des 5000 logements sociaux à construire « par an d’ici à 2020 ».
Santé. « Mais l’on peut, d’ores et déjà, retenir qu’au cours du nouveau quinquennat, la politique de santé publique accordera une attention soutenue à l’amélioration de l’accès aux soins de santé pour les milieux défavorisés. Dans cette perspective, des efforts additionnels seront déployés, d’abord pour renforcer les infrastructures et équipements sanitaires, en particulier dans les zones rurales reculées ; ensuite, pour étendre le régime d’assurance maladie, en vue d’une couverture universelle et enfin pour améliorer l’accès aux médicaments à moindre coût. Le deuxième projet destiné à renforcer nos équipements sanitaires est relatif à la création d’un hôpital national de référence pour la prise en charge des pathologies graves telles que les insuffisances rénales et les cancers. Nos capacités dans ce domaine sont pour l’instant limitées alors que les demandes ne cessent de croître». (DPG 2015).
« Il s’agit également de poursuivre l’assainissement du mode de gestion des formations sanitaires par l’approche contractuelle, la construction et la réhabilitation des équipements des formations sanitaires, le renforcement des ressources humaines avec 1052 agents recrutés en 2016 et 700 en 2018, de deux projets d’hôpitaux de référence ( l’un avec des partenaires étrangers et l’autre avec la Caisse Nationale de Sécurité Sociale) visant à prendre en charge les cas nécessitant une évacuation en milieu spécialisé et l’extension de la couverture maladie du tiers de la population ». (2019).
La contradiction entre les deux discours est patente. En 2015, SSK a fait croire qu’il s’agissait « d’un hôpital national de référence » construit par l’Etat lui-même. Mais en 2019, il darde que ce seront « deux projets d’hôpitaux de référence : l’un avec des partenaires étrangers et l’autre avec la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ». Tout avait l’air d’une manipulation de mauvais goût. La CNSS est en quête de bénéfices et ne fait pas dans le social. Elle ne construit pas son hôpital (Saint Pérégrin) pour accueillir le paysan de Kpèlè dans le Haho ou de Takpayambour dans le Bassar. Cet hôpital sera pour « ceux qui ont fini de manger » comme ses résidences habitées uniquement par la bourgeoisie créée par le pouvoir. Par ailleurs, les nombreuses promesses faites dans le secteur de la santé sont comme des rêves dans le ventre d’un chien. Que nos centres de santé sont tristes tant à Lomé qu’à l’intérieur du pays ! « La couverture universelle et l’accès aux médicaments à moindre coût » semblent une escroquerie.
Transports et travaux publics. « Il nous appartient de prendre toutes les dispositions pour tirer pleinement parti de l’augmentation du trafic aérien qui sera induite grâce à la desserte de Lomé par de nouvelles compagnies aériennes telles que Egypt Air, Emirates, Qatar, Turkish Airlines et South African Airways… En ce qui concerne le chemin de fer, nous prendrons les dispositions nécessaires pour accélérer l’exécution du projet de construction d’une nouvelle ligne ferroviaire Lomé-Cinkassé à écartement standard. Ce projet a l’avantage d’être couplé avec la réalisation de ports secs ». (DPG 2015).
« Le Togo entend capitaliser sur ces réalisations en développant une nouvelle génération d’infrastructures mettant en place des connexions nécessaires au développement du corridor logistique naturel que constitue notre pays. A terme, l’objectif du gouvernement est de porter le pourcentage de routes revêtues de bon niveau de services de 29% en 2012 à 60% en 2022 et aussi réduire la durée moyenne de passage d’un camion entre Lomé et Cinkassé de 48H en 2016 à 24H en 2022. Ceci passera par un dédoublement de la nationale N°1, qui au passage, devrait créer plusieurs emplois et surtout porter le volume de marchandises transportées à 7 millions de tonnes par an. Le gouvernement entend, par ailleurs, renforcer le corridor Abidjan-Lagos pour consolider la position du Port Autonome de Lomé, le seul en eau profonde de la sous-région, comme source d’approvisionnement régional. Ceci à travers une autoroute favorisant une meilleure connectivité entre les pays de la sous-région. […] Tout ceci devrait permettre à notre pays de devenir un véritable hub aéroportuaire de référence de la sous-région en doublant le trafic de passagers de 750.000 à 1.500.000, le trafic fret à 24.000 tonnes par an à partir de 2022 et en développant un marché de services autour des deux plateformes aéroportuaires du pays. S’agissant du développement du transport ferroviaire, un projet de chemin de fer devant relier le Port autonome de Lomé à Cinkassé, soit 700km, dont l’étude de faisabilité retiendra particulièrement notre attention, et permettra à notre pays de développer le transport de fret conteneurisé vers le pays de l’hinterland et de la sous-région ». (DPG 2019).
Rien que des effets d’annonce comme il sait le faire. Soit dit en passant, aucune des compagnies annoncées ne vient au Togo. Pour l’heure, le « dédoublement de la nationale N°1 » ne s’arrête qu’au niveau du péage de Davié et une partie de la route est toujours en construction.
Electricité.« Pour réaliser les objectifs dans ce domaine crucial, le Gouvernement construira sa politique énergétique autour de trois axes principaux : la mise en place d’un branchement social qui tiendra compte des bourses les plus modestes ; la généralisation des compteurs intelligents grâce auxquels les ménages pourront mieux contrôler leur consommation et l’ouverture du secteur de la production énergétique au secteur privé afin de pérenniser les financements » (DPG 2015). Les populations les plus pauvres attendent toujours la concrétisation de ces promesses. Chose curieuse, le PM n’en a pas parlé lors de son passage en 2019 devant les députés.
Accès à l’eau potable.«Pour y parvenir, le Gouvernement s’attèlera dans l’immédiat à poursuivre l’extension du réseau d’adduction en eau potable dans les centres urbains, et à multiplier les forages à motricité humaine en milieu rural, tout en réhabilitant les réservoirs d’eau et en renforçant nos capacités de stockage hydraulique. Tout ce qui a commencé, sera poursuivi et achevé. C’est pourquoi en plus des projets qui sont déjà en cours et qui ciblent toutes les régions économiques, nous misons sur le renforcement considérable du taux de desserte en eau potable à Lomé à partir de Sogakopé au Ghana. D’ici 5 ans, ce projet permettra au Togo de disposer de 160.000 m3 additionnels d’eau et de desservir toute la région Maritime et même la région des Plateaux ». (DPG 2015).
Sans commentaires. Les cinq ans annoncés viennent de s’écouler et il n’y a que « 160.000 m3 » d’air qui continue de sortir de certains robinets aussi bien à Lomé qu’à l’intérieur du pays.
Tourisme. « Le gouvernement s’emploiera à accroître sensiblement la part du secteur du tourisme dans la création de la richesse nationale grâce notamment à la promotion du tourisme d’affaires qui devra créer plus de 10.000 emplois, au développement du tourisme balnéaire, culturel et l’écotourisme. Soucieux de la compétitivité de la Destination Togo, l’Etat travaillera également avec les acteurs sur toutes les mesures permettant une baisse des tarifs des transports aériens. […] Concrètement le gouvernement s’emploiera à mettre en œuvre son projet de construction d’une station balnéaire avec un port de plaisance sur le site de l’ancien hôtel TROPICANA, d’un hôtel 5 étoiles de 400 chambres, la mise en place d’un centre de formation aux métiers d’hôteliers, la réhabilitation des hôtels régionaux, l’aménagement des sites touristiques et la création de l’Agence nationale de développement du Tourisme ». (DPG 2019).
C’est à croire que c’est Nicolas Lawson qui était en campagne pour l’élection présidentielle de 2003. Des promesses mirobolantes qui sont parfois relayées sur les réseaux sociaux pour amuser un peu la galerie.
Justice.«Une attention particulière sera accordée à l’effectivité de l’aide juridictionnelle pour permettre aux personnes démunies et vulnérables de pouvoir faire entendre et, s’il le faut, défendre leur cause devant la justice. De même, l’expérience des maisons de justice sera poursuivie pour éviter que les juridictions ne soient encombrées par des affaires qui pourraient être réglées à ces niveaux. Enfin, s’agissant de la justice, j’ai demandé une évaluation du système pénitentiaire pour apporter des solutions durables aux problèmes qui se posent. Il est souhaitable que les peines alternatives prévues puissent être préférées dans la mesure du possible à l’enfermement. Les fonctionnaires de l’administration pénitentiaires qui se seraient rendus coupables de situations déplorables de violences ou d’agressions sur des détenus ou leur visiteurs surtout de sexe féminin subiront la rigueur de la discipline et de la loi ». (DPG 2019).
Des vœux pieux ! D’honnêtes citoyens continuent d’être envoyés en prison à la suite de parodies de procès. L’embastillement des jeunes de la Dynamique Mgr Kpodzro en est la preuve.
Dans les deux déclarations de politique générale, le Premier ministre, Sélom Komi Klassou, a exposé une litanie de bonnes intentions. En dehors des initiatives politiques visant à maintenir le système du père en fils et pour lesquelles il a eu de bons résultats, il a échoué de traduire dans les faits les nombreux engagements pris. La corruption, le détournement des deniers publics, l’enrichissement illicite, les marchés gré à gré, les sociétés écrans, le bradage des sociétés étatiques à des hommes d’affaires véreux … font leur petit bonhomme de chemin.
Géraud A. / Liberté Togo