Quelques leaders de la C14 | Photo : DR


On entend çà et là, ces derniers temps, des satisfactions émanant des rangs de la coalition des 14 partis politiques qui luttent pour le changement au Togo. En effet, des leaders se réjouissent d’avoir « arraché » à la majorité RPT/UNIR la recomposition de la CENI. Comme si l’avenir du Togo se jouait là. Certes, amener ceux qui pillent et violentent le Togo à l’heure actuelle à accepter que la CENI soit recomposée ou même qu’elle « soit présidée par un membre de l’opposition ou un étranger », selon les propos de Me Apévon Paul, n’est pas anodin. Toutefois, il me paraît très curieux que l’on puisse se réjouir d’une situation qui n’est en rien une victoire, mais une grosse manœuvre de la part du pouvoir en place pour montrer à la CEDEAO qu’il fait des pas de concession dans la bonne direction.
Je n’ose pas croire que les représentants de la coalition des 14 partis politiques de l’opposition puissent se laisser enfumer par une pseudo-concession liée à la recomposition de la CENI pour oublier que le combat engagé par le peuple togolais est un combat pour l’alternance politique. Et donc, pour que celle-ci advienne, le premier préalable est la réforme des institutions. C’est un truisme que de dire cela. Cependant il faut encore et encore le marteler, le crier haut et fort : sans réforme des institutions, il ne peut y avoir d’alternance politique au Togo.
La recomposition de la CENI n’est en rien une victoire. Cet acte est plutôt une entourloupe visant à conduire l’opposition à des élections qui n’auront aucun sens. Combien d’élections frauduleuses a-t-on déjà organisées au Togo, sans que l’opposition ait jamais eu à faire reconnaître ses droits ? À combien d’élections l’opposition a-t-elle participé sans que cela change la physionomie du pays ? On connaît la réponse : le pouvoir illégitime s’est toujours imposé par la force et la violence. Poussant des concitoyens à l’exil. En l’état, ce que les responsables de la coalition des 14 partis doivent avoir présent à l’esprit, c’est que même dans l’hypothèse où l’opposition préside cette CENI, cette dernière pourrait être conduite à valider de « vrais faux résultats » générés par divers canaux de fraude et de triche dont le pouvoir à le secret. La garantie de la neutralité des institutions chargées de contrôler les élections depuis la base jusqu’aux résultats n’est pas apportée. On le voit, il n’y a vraiment pas de quoi crier victoire pour une recomposition de la CENI!
Le combat que le peuple togolais a engagé depuis des années ne doit pas changer de cap. Les fondamentaux demeurent les mêmes : le retour à la constitution de 1992, la réforme de la cour constitutionnelle, le redécoupage électoral, le mode de scrutin uninominal à deux tours, la libération des citoyens arbitrairement détenus en prison et le vote des Togolais de la diaspora. C’est là le cœur de la bataille pour qu’advienne, enfin, au Togo une véritable démocratie émancipatrice permettant au pays de respirer et créant les conditions d’éclosion de la liberté. Pour conjurer durablement ce pouvoir violent et corrompu, il convient de se donner les moyens de ne pas faire de la politique à la petite semaine mais d’ancrer la lutte dans le long terme.
Ce qui se joue ici dépasse les Togolais. Il s’agit de la libération du Togo de plus d’un demi-siècle de dictature. Une dictature anachronique, parasitaire, déprédatrice et accapareuse. C’est pourquoi ces réformes institutionnelles nécessaires à un nouveau départ du Togo, si elles sont politiques, elles ne doivent pas cependant être politisées. Car le texte constitutionnel qui doit régir la vie du Togo n’est pas contre la majorité ou pour l’opposition. Voilà aussi pourquoi il est indispensable qu’il y ait un consensus, parce que, dans la démocratie que nous appelons de nos vœux au Togo, chacun est susceptible d’être appelé à gouverner ; et donc, il faut que toutes les dispositions à mettre en place puissent répondre à l’intérêt supérieur de la Nation et non être « taillées » au profit d’un clan. Ainsi, le découpage électoral, par exemple, et pour ne prendre que celui-ci, peut se faire dans un élan de dépassement des égoïsmes, suivant le principe de « l’égalité et de l’équité » que propose A. Ben Yaya, pour ancrer durablement cette formule de désignation des députés dans la réalité concrète du Togo et selon le schéma hybride tenant compte d’une part d’une répartition qui stipule qu’une préfecture = 1 député (principe d’égalité), et d’autre part d’une redistribution de l’autre réserve de sièges « entre les préfectures sur la base de leur poids démographique » (le principe d’équité).
Vous donc, membres du C14, qui négociez avec les gouvernants actuels pour tourner la page de la dictature au Togo, ayez la modestie d’entendre ce cri : le peuple vous en conjure, ne prenez pas des vessies pour des lanternes. Depuis des années maintenant, on connaît le fonctionnement des prédateurs à la tête du clan RPT/Unir. Vous devez être à même d’anticiper les coups fourrés ou de déjouer ou d’éviter des chausse-trappes des ennemis du peuple togolais. On ne connaît que trop bien leur méthode !
Construire un Togo nouveau où il n’y aurait plus d’arbitraire, de viol des droits de la personne humaine, de mépris de la vie, voilà ce qui doit galvaniser notre courage et nous mobiliser jusqu’à l’avènement de la liberté dans un Togo libre. Deux questions fondamentales demeurent : quel Togo voulons-nous voir éclore ? Quel changement espérons-nous pour notre pays ? Répondre à ces questions exige que nous sachions mettre exactement le curseur à la bonne hauteur : construire une société civile forte capable de mobiliser les citoyens autour des valeurs de liberté et des droits individuels, d’éveiller la conscience des citoyens et surtout des jeunes autour de la nouvelle donne stipulant que l’avenir est dans la construction d’une croyance dans des valeurs culturelles, artistiques et spirituelles au service d’un projet émancipateur. Et enfin ré-enchanter la politique en réinventant la démocratie à la base, ce qui veut dire créer des mécanismes qui permettent que le peuple se saisisse d’un problème, sur la base d’un seuil d’adhésion à définir, pour une consultation populaire, chaque fois que cela sera nécessaire. Il s’agit de créer une dynamique nouvelle qui montre un horizon, cultive des valeurs. Oui, réarmer des valeurs et de nouvelles pratiques, car la politique doit retrouver ses lettres de noblesse, à savoir être aux affaires pour servir le peuple, veiller à son avenir, à son éducation, à sa bonne santé et protéger les plus vulnérables.
La lutte doit continuer et nous devons tous, autant que nous sommes, être des sentinelles de l’aube qui vient. La tâche n’est pas simple dans un Togo où la dictature de plus d’un demi-siècle a formaté la psychologie et la pensée des individus qui ne se positionnent que par rapport à la mythologie de la division nord-sud. Un profond travail de déconstruction de cette mythologie est nécessaire pour se déprendre de cette funeste mentalité. Il ne sera pas très difficile d’apporter la démonstration qu’au rang des victimes de cette dictature d’un autre âge, figurent en bonne place des citoyens venant sinon du même village, du moins de la même préfecture, voire de la même région que les Gnassingbé. C’est en chassant les mythes et en réinvestissant les champs culturels nouveaux que nous pouvons aider à la naissance du nouvel Homme togolais. Et œuvrer pour un Togo plus juste et plus démocratique.
Ambroise Teko-Agbo