Le délibéré de la requête en omission de statuer attendu mardi prochain
Le mardi 13 mars prochain, dans une semaine donc, la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) va vider le dossier des députés de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), exclus de façon scélérate de l’Assemblée nationale en novembre 2010, sur sa table depuis un bon bout de temps. Elle devra délibérer au sujet de la requête en omission de statuer introduite par les neuf (09) députés concernés, demandant à la Cour de se prononcer sur le retour des exclus à l’Assemblée nationale. Que peut-on présager déjà ? La Cour aura-t-elle le courage de continuer sur la dynamique du 7 octobre 2011 et ordonner, cette fois-ci de façon claire et nette, la réintégration des députés malheureux à laquelle s’est opposé Lomé ? Ou va-t-elle succomber au chant des sirènes et satisfaire aux humeurs des gouvernants du pays de sa présidente ?
Ces questions méritent leur pesant d’or, quand on sait que le tout premier verdict de la Cour dans ce dossier a été modifié au tout dernier moment, suite aux influences et pressions diverses exercées sur les juges. Ce dossier aurait pu en effet être vidé depuis le 7 octobre 2011 à Porto-Novo au Bénin si le président de séance Benefeito Mosso Ramos et les siens avaient eu les coudées franches. Des sources avaient cité dans ces manœuvres obscurantistes la patronne de cette Cour, Mme Awa Nana. « Affaire des députés ANC exclus : Verdict de la Cour de Justice de la CEDEAO, une décision influencée par Awa Nana ? », titrions-nous déjà dans la parution n°1083 du 31 octobre 2011, et d’écrire : « …Selon les sources, ce verdict aurait été modifié au dernier moment, suite aux pressions de la présidente de la Cour, et le terme « réparer » s’y est introduit pour remplacer « réintégrer ». Illustration de ces influences, l’audience du 7 octobre a enregistré une interruption de plus de deux heures lorsque la Cour s’est retirée pour prononcer le délibéré, l’effet donc des pressions exercées sur les juges. Pendant ce temps les contacts étaient noués avec Lomé. L’autre illustration, c’était au moment du prononcé du verdict final. L’assistance de cette audience du 7 octobre témoigne qu’à ce moment justement, le juge capverdien Benefeito Mosso Ramos a été stoppé dans son élan durant quelques secondes par un assistant venu lui parler dans les oreilles, ce qui a donné les résultats que l’on sait. Les pressions auraient continué, ce qui explique que la Cour n’ait pas été plus explicite dans la notification faite ». Nous ne croyions pas si bien dire, aujourd’hui de nouveaux éléments viennent conforter cette thèse. Voici retracé le scénario ayant abouti à ce verdict tronqué, tel qu’il nous revient de nos investigations.
Ce vendredi 7 octobre 2011, au moment où le délibéré allait être rendu, Mme Awa Nana, la présidente de la Cour de Justice de la Cédéao, qui ne faisait pas partie du collège des juges mis sur cette affaire des députés Anc exclus, rencontra Benefeito Mosso Ramos et les siens durant trois heures d’horloge. Certainement pour leur donner les dernières consignes… Pendant ce temps, toute l’assistance qui attendait la reprise de la séance faisait le pied de grue. Et on comprendra mieux par la suite ce qui s’est réellement passé.
Alors qu’il lisait la décision qu’ils avaient collégialement arrêtée, arrivé au début du paragraphe 69, l’Honorable juge Benefeito Mosso Ramos commença: « Dans les circonstances de l’espèce… », puis s’interrompit après ces mots. Il fut coupé dans son élan par l’un des assistants à sa gauche, qui se pencha et lui souffla aux oreilles, pendant une à deux minutes, quelque chose qu’il approuvait en hochant la tête à plusieurs reprises.
En revenant plus tard sur cet épisode que nous avons pu vérifier en visionnant plusieurs fois la vidéo de la séance, on constatera, en confrontant cet enregistrement à la version originelle du texte qu’il était en train de lire et dont nous avons pu nous procurer copie, que le juge avait sauté tout le reste de ce paragraphe 69 pour enchaîner sa lecture sur le paragraphe 70, comme s’il s’agissait de la même phrase. Or, ainsi lu, le paragraphe nouvellement fabriqué par ce « saut » apparaît totalement incohérent ! La version finale que le collège des juges rendra publique par la suite est totalement différente de l’originelle, qui ne présente pas la même numérotation de ses différents paragraphes. « Dans les circonstances de l’espèce, le respect du droit à un procès équitable imposait à la Cour Constitutionnelle, statuant en dernier ressort, le devoir d’entendre les députés concernés avant de prendre une décision qui les prive de ce droit. En omettant d’offrir aux requérants cette garantie, la Cour Constitutionnelle les a privés de la possibilité pour eux de défendre leur droit devant une juridiction tel que prévu à l’article 1(h) du protocole sus cité », ainsi était libellé le paragraphe 69 dans la version originelle du verdict. Ainsi dit, la Cour de la CEDEAO devrait tirer les conséquences de ce vice et le débat serait clos depuis. Mais ce paragraphe sera totalement travesti et transformé en un paragraphe 68 nouveau, dans la version finale et est ainsi libellé : « La Cour conclut donc à la violation par l’Etat du Togo du droit des Requérants à être entendu pendant la procédure qui a conduit à la perte de leur mandat.
La manœuvre a donc consisté à charcuter les cinq lignes du paragraphe 69 de la version originelle pour les réduire à seulement 2 lignes dans la version finale de la décision ! Tout l’intérêt qui apparaît alors ici dans toute son évidence et sa clarté, était de faire disparaître la mise en cause, l’incrimination de « la Cour constitutionnelle (qui) les a privés de la possibilité pour eux de défendre leur droit devant une juridiction tel que prévu à l’article 1(h) du protocole sus cité » (paragraphe 69 de la version originelle). Pourquoi diantre importait-il tant de faire disparaître la mise en accusation de la Cour constitutionnelle du Togo ? Tout simplement parce que, pour les commanditaires de la falsification de la décision authentique, il est impérieux de protéger cette institution qui est l’une des principales clés de voûte du régime RPT. C’est en effet à elle qu’est dévolue la charge de valider tous les coups fourrés du régime en place au Togo, surtout en matière électorale où elle a eu et devrait continuer à valider les résultats frauduleux des élections pluralistes organisées depuis deux décennies.
On comprend donc pourquoi la Cour de la Cédéao n’avait pas répondu à la question essentielle appelée « chef de demande » dans le jargon judiciaire, posée par les requérants aux fins d’obtenir par décision de justice leur droit au retour à l’Assemblée nationale. Et c’est l’absence de réponse à ce « chef de demande » qui a justifié la polémique stérile entretenue par Lomé, comme quoi la Cour n’a pas donné suite à la demande de réintégration à l’Assemblée nationale des neuf députés, donc le refus du pouvoir en place de les y faire retourner. C’est ce défaut qui légitime aussi la requête en omission de statuer introduite par les victimes, sur la base de l’article 64 du règlement de la Cour communautaire.
Des sources croient savoir le moment où ont été nouées ces tractations. On les situe en marge de la participation de Faure Gnassingbé à un sommet de la Cédéao qui s’est tenu à Abuja, à trois (03) jours du verdict de la Cour le 7 octobre dernier. On croit dur comme fer que c’est à cette occasion que Mme Awa Nana, le pion de Lomé dans cette institution communautaire a reçu sa nouvelle mission, celle d’influer sur le cours des événements. C’est sans doute pour cette mission cruciale, et aussi pour étouffer les dossiers concernant le Togo qui ne cessent d’affluer, qu’elle a été maintenue dans et à la tête de la Cour de la Cédéao, suite à des pressions de Lomé, car il nous revient que le mandat de Mme Awa Nana serait arrivé à échéance depuis février 2011. Au-delà de tout, on se demande ce que Mme Awa Nana a bien pu mettre dans la balance pour faire fléchir aussi rapidement bénéféito Mosso Ramos et les siens.
Décidément, le pouvoir Faure Gnassingbé est très compatible au trafic d’influence sur les institutions tant nationales qu’internationales, à la falsification, au travestissement de résultats et autres rapports. Le cas le plus actuel est sans doute le sort réservé au rapport authentique de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) sur les allégations de tortures dans le dossier Kpatcha Gnassingbé. En tout cas, le verdict du mardi 13 mars prochain situera beaucoup plus l’opinion.
Tino Kossi
liberte-togo.com