Combien d’années encore avant l’effectivité de l’aide juridictionnelle au Togo ? Dans un pays où près de 80% des activités se déroulent dans l’informel, où le taux de pauvreté est un casus belli pour les autorités, nombreux sont les justiciables qui, faute de conseil d’un avocat, sont livrés aux juges, oubliés dans les geôles, ou condamnés innocemment. Et plutôt que d’œuvrer à l’effectivité de l’aide juridictionnelle plus susceptible de rendre service aux populations, on s’arc-boute sur un machin truc de maisons de la justice dont trop peu de citoyens ont besoin.

Il y a déjà sept ans, dans la parution numéro spécial du Journal Officiel du 27 mai 2013, une loi N°2013-010 du 27 mai 2013 portait aide juridictionnelle au Togo. Le gouvernement avait établi le constat selon lequel beaucoup de justiciables seraient dans l’indigence et ce faisant, se trouvent démunis face à la nécessité de requérir les services d’un avocat en cas de conflit avec la justice. 62 articles sont consacrés à cette loi dont deux ou trois retiennent l’attention.

« L’aide juridictionnelle s’entend d’une aide financière accordée par l’Etat pour une procédure devant une juridiction et/ou en matière de transaction. Elle est totale ou partielle. Elle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense devant toute juridiction ainsi qu’à l’occasion de la procédure d’audition d’un mineur. Elle peut être accordée pour tout ou partie de l’instance ainsi qu’en vue de parvenir à une transaction avant toute introduction d’instance. Elle peut également être accordée à l’occasion de l’exécution sur le territoire togolais, d’une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire », peut-on lire dans le décret.

Et pour bénéficier de cette aide juridictionnelle, l’article 4 dispose : « Peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle, à leur demande, les personnes physiques de nationalité togolaise dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice ou poursuivre l’exécution de tous actes et procédures d’exécution obtenus sans le bénéfice de cette aide. Au sens de la présente loi, sont réputées personnes aux ressources insuffisantes ou personnes indigentes: -Les personnes non assujetties à l’impôt; -les personnes non visées aux dispositions ci-dessus lorsque les frais à exposer ne peuvent être supportés par leurs ressources initialement réputées suffisantes; -le conjoint qui a la charge d’enfants mineurs, en instance de divorce et ne disposant d’aucun revenu propre; -la personne sans emploi et sans ressources, abandonnée par son conjoint, aux fins d’obtenir du tribunal une pension alimentaire pour elle-même ou pour les enfants laissés à sa charge; -le condamné à perpétuité, demandeur au pourvoi assujetti à la tranche supérieure de l’impôt, sauf si l’infraction est commise contre les biens ».

Mais ce n’est pas tout le monde qui peut prétendre à cette aide. Le législateur a pris soin de définir les conditions pouvant permettre d’en bénéficier. « Tout demandeur à l’aide juridictionnelle doit justifier, que ses revenus mensuels sont inférieurs au double du montant du salaire minimum interprofessionnel garanti pour l’aide totale. Lorsque ses revenus sont supérieurs au double mais inférieurs au triple du salaire minimum interprofessionnel garanti, il bénéficie de l’aide juridictionnelle partielle dans des proportions à préciser par décret », précise la loi signée par Faure Gnassingbé et Séléagodji Ahoomey-Zunu, alors Premier ministre. Justiciables, magistrats et avocats avaient pensé que cette fois-ci était la bonne et que les démunis verraient la fin de leur calvaire.

A en croire le confrère L’Union, « en février 2015, l’aide juridictionnelle a fait libérer 232 détenus vulnérables en 2014 dont 23 femmes ». Mais le journal relève des difficultés inhérentes. Devant une commission parlementaire, l’exécutif aurait révélé que « l’aide juridictionnelle est issue de la loi n°2013-010 du 27 mai 2013. Son opérationnalisation est confrontée à d’énormes difficultés. Il s’agit, entre autres, de son budget qui est logé dans celui du ministère de l’Economie et des finances. Cet état de choses constitue une difficulté pour son décaissement. Une autre difficulté réside dans l’intervention du ministère de l’Action sociale dans la gestion dudit budget. Toutes ces difficultés et manquements doivent être corrigés afin de permettre l’opérationnalisation effective de l’aide juridictionnelle ». Mais ces problèmes n’ont pas empêché une équipe de séjourner au Sénégal, au frais du contribuable. C’était en juin 2016.

Ainsi, le site d’informations du Programme d’appui au secteur de la justice (PASJ) indique que du 8 au 15 mai 2016, une équipe de l’Unité de gestion des projets (UGP) a séjourné à Dakar, avec pour mission de « collecter toutes les informations pertinentes, s’entretenir avec les acteurs de l’aide juridictionnelle, étudier le système de fonctionnement et d’administration de l’aide juridictionnelle au Sénégal en vue de s’approprier le mécanisme, acquérir les bonnes pratiques et la technicité nécessaires à l’achèvement du processus de mise en œuvre effective de l’aide juridictionnelle au Togo ». Billets d’avion, perdiem, frais d’hôtel, tout était fait pour agrémenter la villégiature de la mission, étant entendu que cette mission était inscrite comme activité préparatoire dans le devis-programme de démarrage financé par le 11ème FED. « L’accès équitable des justiciables à une justice impartiale, efficace, efficiente juste et indépendante est l’un des défis majeurs de l’institution judiciaire du Togo. Cela suppose l’éviction de tous les obstacles, notamment juridiques et financiers qui empêchent tout citoyen de faire entendre sa cause devant une juridiction », peut-on lire sur le site du pasj.tg qui précise toutefois que le décret d’application n’est pas encore adopté, « faute de critères clairs d’appréciation de l’indigence et de fixation d’honoraires des avocats commis d’office ».On était le 14 juin 2016. La même année, la loi portant aide juridictionnelle a été adoptée. Ne reste que les textes d’application qui ne sont pas pris.

Quatre ans plus tard, que retenir de cette mission, de cette loi, de ce décret d’application qui se fait désirer ? Les préposés ont d’autres choses « plus urgentes » à faire. Et pourtant, l’image que renvoie la justice togolaise devrait interpeller les premières autorités. « La perception qu’ont les justiciables de la justice détermine le degré de leur confiance à son égard, ou de leur défiance vis-à-vis d’elle. Dans le contexte particulier du Togo, le constat est clair: la perception des justiciables de la justice est négative. Elle est même sombre, c’est indéniable. C’est parce qu’étant pleinement conscientes de cette problématique que les plus hautes autorités togolaises ont entrepris depuis 2005 des réformes du secteur de la justice pour instaurer une relation de confiance entre l’institution judiciaire et le peuple. Des efforts louables sont faits. Que l’on songe au Programme National de Modernisation de la Justice (PNMJ) ou au Projet d’Appui à Réforme de la Justice et à la Promotion des Droits de l’Homme (PAJDH). Il y a eu, certes, des acquis ; il y a aussi des défis à relever. Mais surtout, il y a des perspectives pour l’avenir de notre justice », avoue Moustafa IDRISSOU BIYAO KOLOU, Régisseur du Programme d’Appui au Secteur de la Justice. Aujourd’hui, quel bilan tirer de tous ces projets ?

Dans sa déclaration de politique générale en 2019, le Premier ministre Sélom Komi Klassou bombait ainsi le torse : « Une attention particulière sera accordée à l’effectivité de l’aide juridictionnelle pour permettre aux personnes démunies et vulnérables de pouvoir faire entendre et, s’il le faut, défendre leur cause devant la justice. De même, l’expérience des maisons de justice sera poursuivie pour éviter que les juridictions ne soient encombrées par des affaires qui pourraient être réglées à ces niveaux. Enfin, s’agissant de la justice, j’ai demandé une évaluation du système pénitentiaire pour apporter des solutions durables aux problèmes qui se posent. Il est souhaitable que les peines alternatives prévues puissent être préférées dans la mesure du possible à l’enfermement. Les fonctionnaires de l’administration pénitentiaires qui se seraient rendus coupables de situations déplorables de violences ou d’agressions sur des détenus ou leur visiteurs surtout de sexe féminin subiront la rigueur de la discipline et de la loi ». Et pourtant, des prévenus croupissent dans les geôles sans jugement, faute d’avocat rétribué. Entre l’aide juridictionnelle et les maisons de justice, son ministre de la Justice a fait le choix.

Ce dernier n’a pas aidé le corps auquel il appartient pourtant. Des « Maisons de justice » sont sa trouvaille. Pendant ce temps, plein de détenus et de prévenus attendent la divine providence pour recouvrer la liberté. Divine providence parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir des avocats pour défendre leur cause et suivre leur dossier. Conséquence, des prévenus comme ce malheureux Kpogo Laurent et d’autres encore croupissent en prison. Pendant ce temps, d’autres détenus et prévenus disposant de moyens financiers, recouvrent la liberté de façon frauduleuse et abusive, sous le nez et la barbe de l’inspection générale des services juridictionnels et pénitentiaires.

Le reflet du degré de démocratie dans un pays passe par sa justice. Et lorsque les premiers responsables s’adonnent à d’autres choses plutôt que d’assainir ce corps, lorsque des prévenus doivent passer des années en détention, faute de conseils adéquats, le Togo ne doit pas relever la tête devant les instances des droits de l’homme. L’aide juridictionnelle n’est pas une faveur à accorder aux plus démunis ; c’est un droit, tout comme le droit à la liberté, le droit à la vie, le droit à une justice équitable.

Godson K. / Liberté Togo

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