Le président d’honneur de l’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI) une formation membre du Collectif « Sauvons le Togo », Dr Nagbandja Kampatibe envoyé dans les Savanes pour renforcer les organes décentralisés du Collectif se prononce sur la situation sociopolitique de notre pays au micro de notre correspondant dans les Savanes.
 
Le Collectif Sauvons le Togo (CST) est depuis le 12 juin 2012, engagé dans une série de manifestations populaires réprimées et critiquées par le gouvernement togolais… En tant que Membre d’honneur du parti Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI), quelle est la situation au sein du CST dont votre parti est membre ?
 
Nagbandja KAMPATIBE : Votre organe de presse que je salue au passage pour la perspicacité de ses analyses et pour le courage de ses journalistes a quotidiennement tenu informés ses lecteurs et toute la population de l’évolution de la situation. En tant que membre d’honneur du parti ADDI qui a signé la plateforme du CST, j’aimerais tout d’abord réaffirmer l’engagement de notre parti dans les actions que mène le Collectif et réitérer aussi notre détermination sans faille à poursuivre avec les autres membres, la lutte pour une vraie libération du Togo et une renaissance de la nation togolaise.
 
Il faut que je précise d’entrée de jeu que j’ai accepté votre interview en tant qu’émissaire du CST dans les Savanes pour renforcer les organes décentralisés du Collectif, expliquer par différentes voies d’information les raisons d’être du CST et le contenu de sa «Plateforme Citoyenne pour un Togo Démocratique ». Plutôt que de m’attarder sur la situation générale qui résulte des manifestations conduites par le CST (celle-là est largement décrite au jour le jour dans les pages de votre journal et d’autres organes de presse), je voudrais directement parler de la situation que j’ai trouvée dans les Savanes par rapport aux manifestations du CST.
 
Le premier constat amer est que la grande majorité de la population des Savanes est sevrée d’informations crédibles sur le CST et même sur toutes les réalités de la vie nationale, du fait de la misère ambiante des populations, aggravée et entretenue par le RPT/UNIR et ses suppôts locaux. La presse privée qui seule fournit des informations contradictoires arrive à Dapaong, Mango et Cinkansé avec un jour de retard et peu de gens ont les moyens financiers pour les acheter et les lire. Pour Mandouri qui est à plus de 100 km de Dapaong, la situation est plus catastrophique. La presse privée y est quasiment introuvable et il n’y a pas de radio de proximité.
 
La Région compte une radio communautaire complètement sous l’emprise du pouvoir, trois radios privées (Mango, Dapaong et Cinkansé) mises en place par des pontes du RPT/UNIR avec très peu d’ouverture sur des informations libres, une radio entièrement privée sur laquelle je reviendrai plus loin, qui fait des efforts réels d’ouverture mais avec de sérieuses entraves des tenants du pouvoir, et enfin la succursale régionale de Radio Maria qui est une radio catholique dont les cahiers de charge limite les actions.
 
Il en résulte donc que les populations des Savanes, bien qu’en majorité éprises d’un désir profond de changement, sont encore à ce jour très peu ou très mal informées sur ce qu’est le CST et pourquoi il appelle tous les citoyens à se mobiliser en un front populaire contre la dictature du RPT/UNIR qui dure depuis bientôt cinquante ans avec un seul et même objectif : se maintenir coûte que coûte au pouvoir par une terreur qui prend des formes diverses et par le mensonge savamment organisé et entretenu.
 
Le Gouvernement, durant cette semaine écoulée a initié une série de missions d’information des populations sur « la situation sociopolitique du pays en relation avec les manifestations organisées par le Collectif dit Sauvons le Togo » (Ndlr : thème de l’émission radiophonique diffusée à Dapaong le vendredi 6 juillet 2012). Votre point de vue là-dessus?
 
Mon point de vue est que la montée en puissance du CST dans l’opinion publique inquiète sérieusement les tenants du pouvoir. En réponse à cette détermination de la population, inattendue de leur part, ils sont rentrés dans une escalade de répression, d’interdiction des marches mais la détermination de la population ne fait qu’augmenter. Habitués qu’ils sont au maniement du mensonge et de l’intoxication des populations, plutôt que d’aller vers une ouverture sur les propositions pertinentes du CST pour qu’une solution apaisée pour tous, ils ont décidé d’envoyer en catimini, quatre émissaires dans les Savanes pour apporter en premier leur version des faits. Ils espéraient ainsi gagner l’opinion des populations des Savanes à leurs thèses mais malheureusement la providence les a lâchés.
 
Pourquoi dites-vous que la Providence les a lâchés ?
 
Nagbandja KAMPATIBE : Je dis que la Providence les a lâchés parce que c’est par un heureux hasard que j’ai appris le vendredi 6 juillet à 10H30, qu’une délégation du gouvernement comprenant M. Gourdigou Kolani, Ministre délégué auprès du ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Chargé du Développement Rurale et El hadj Taïrou Bagbiègue, Directeur Général des Postes du Togo, était dans la ville pour animer une émission radio synchronisée sur la Radio Communautaire et les deux chaînes privées existantes sur le sujet que vous avez évoqués. A l’heure dite j’ai commencé à écouter l’émission et naturellement des contrevérités et des mensonges grossiers sur les manifestations ont commencé à fuser de la bouche de ces éminents émissaires. Ne supportant pas cette intoxication manifeste de l’opinion publique, je me suis amené à la Radio Courtoisie, et j’ai demandé au directeur de me laisser entrer comme contradicteur dans le débat afin que la population ait une opinion des deux protagonistes afin de choisir librement celui qui dit la vérité. Naturellement, je n’ai pas eu gain de cause à ma provocation volontaire. J’ai tout de même obtenu du directeur une tranche d’une heure le lendemain à 14H00 pour donner des avis contradictoires aux propos des émissaires du gouvernement. J’ai attendu jusqu’à la fin de l’émission, salué les émissaires, les ai félicités pour avoir déclaré qu’ils souhaitent qu’aucune violence et qu’aucune casse de biens publics et privés ne surviennent à Dapaong, et je les ai invités le lendemain dans ma tranche horaire pour un débat contradictoire. Ils en ont rigolé et sont partis sans me donner une réponse claire à ce souhait exprimé.
 
Justement Docteur, des rumeurs circulent dans toute la ville comme quoi le samedi, votre émission a failli être interdite. Est-ce vrai ?
 
Nagbandja KAMPATIBE : Il ne s’agit pas du tout d’une rumeur. Il y a eu une machination sordide pour empêcher mon émission de passer. En effet, le samedi 7 juillet, quand je me suis présenté à 14H pour y participer, j’ai trouvé l’animateur, connu dans toute la ville, furieux et en partie découragé. Il a eu de la peine à m’expliquer que le directeur de la radio l’a appelé depuis 10H30 pour lui dire qu’il a reçu des menaces de fermeture de sa radio si jamais mon émission passait. Il a dit qu’avant, il possédait une radio à Kara qui avait déjà été arbitrairement fermée en 2007 dans des circonstances identiques et qu’il ne voulait plus courir ce risque. Le journaliste m’a dit qu’aussitôt qu’il a eu cette information qui, pour lui, ne respecte pas la déontologie de son métier, a essayé de faire de son mieux pour maintenir l’émission qu’il jugeait utile pour la population. Il avait déjà saisi la CNDH (Commission Nationale des Droits de l’Homme) locale, et d’autres instances mais il était au bout de ses forces devant la détermination du directeur à interdire l’émission. Je lui ai demandé s’il voulait bien que j’essaye aussi de débloquer la situation. Il a accepté. J’ai aussitôt mis en branle tous nos réseaux de relations pour aider à lever cette interdiction sournoise et illégale. Après quoi, j’ai assuré le journaliste que je ne quitterai pas l’enceinte de la radio sans avoir fait mon émission. Vers 14H30, je me suis absenté un bref instant de l’enceinte de la radio et quand je suis revenu, le journaliste était tout heureux de m’annoncer que l’interdiction a été levée selon le directeur par un coup de fil qu’il a reçu lui-même du Premier Ministre. J’ai pu faire alors sans entrave mon émission mais l’épilogue de cette sordide affaire en dit long sur le mode de gestion du pays par les tenants du RPT/UNIR.
 
Le même soir à 21H40, un informateur fiable m’a appelé pour m’annoncer qu’il a vu à 19H00 sortir de la préfecture, le Commissaire de police de la ville, le chef de brigade de la Gendarmerie, le directeur de radio Courtoisie et le Préfet lui-même. Il ajouté qu’il a présumé que cette rencontre serait liée à mon émission de l’après-midi qui a fait grand bruit dans la ville et qu’il a eu des difficultés à me joindre depuis lors pour m’en parler. Je l’ai remercié et aussitôt après avoir raccroché avec mon informateur, j’ai appelé le Préfet, Monsieur Ali Seydou MOSSIYAMBA. Je lui ai juste dit que je voulais l’informer que l’émission radiophonique que j’ai faite en direct dans l’après-midi avait failli être interdite parce que le directeur a reçu des menaces du Chef de la Brigade de gendarmerie et du commissaire de la ville qui lui ont dit que sa radio allait être fermée s’il laissait passer mon émission.
 
Le préfet a fait d’abord l’étonné et puis a assuré que mon information était fausse car selon lui, il n’y eu aucune interdiction de la part de ces chefs de forces de sécurité. Je lui ai répété que j’étais certain de mon information. Il a juré Allah (car il est El Hadj) que tout cela est faux et il m’a demandé de venir dimanche matin à son bureau pour une confrontation avec ces deux chefs. Je lui ai dit que cette confrontation est inutile car il est évident qu’ils nieront les faits et que ma parole contre les siennes ne pèserait pas lourd devant lui le préfet qui est leur chef hiérarchique local. Il a alors promis venir en personne chez moi pour mieux m’expliquer les faits. Je lui ai dit que ma porte sera ouverte mais que je serai fort occupé hors de ma maison durant la journée du dimanche.
 
Dimanche matin, vers 8 heures, le Directeur de la Radio Courtoisie m’a appelé pour m’informer qu’à la suite de mon émission, il avait été convoqué à 18H00 au bureau du préfet à un interrogatoire devant le commissaire de Police et le chef de Brigade. Tout ce beau monde voulait savoir une seule chose : comment se fait-il que cette affaire de menaces d’interdiction était arrivée jusqu’au Premier Ministre ? Le Directeur leur a simplement répondu qu’il n’avait aucune connexion avec la primature et que lui-même a été surpris de recevoir un coup de fil du Premier Ministre qui lui a demandé de laisser passer l’émission. Je me suis saisi de l’occasion pour le féliciter pour l’initiative d’ouvrir sa chaine à des informations contradictoires car c’est la seule voie pour la pérennisation de sa radio. Je l’ai assuré que nous continuerons d’appuyer ses efforts et que l’heure des fermetures intempestives et non justifiées des radios est révolue.
 
Ce même dimanche, le préfet est venu comme il l’avait dit à mon domicile mais j’étais à Mango dans le cadre de ma mission du CST. Quand je suis revenu, je l’ai appelé pour m’excuser de mon absence et il m’a alors dit qu’il voulait juste me dire son opinion finale sur la question de l’interdiction. Et son opinion, c’est que le commissaire de police n’est mêlé ni de près, ni de loin à cette affaire d’interdiction. Je lui ai demandé s’il confirme au moins que le Chef de brigade est impliqué. Il m’a dit que de ce côté, il n’en sait rien.
 
De cette ténébreuse affaire, il se dégage une hypothèse fortement probable : Monsieur le préfet, informé par moi-même la veille et probablement aussi par le Ministre émissaire du gouvernement sur la programmation de mon émission aurait dû discuter avec ses chefs de sécurité des voies et moyens pour interdire cette émission qui à leurs yeux serait déstabilisatrice de leur stratégie de désinformation. Ils ont dû prendre la décision à leur niveau d’intimider le pauvre directeur de la radio pour l’amener à supprimer l’émission. Une fois le forfait commis, seul le directeur en aurait porté la responsabilité et les commanditaires, dont le préfet en tête se délecterait dans l’ombre et se glorifierait auprès de leurs chefs hiérarchiques d’avoir réussi un gros coup contre le CST. Le préfet, Monsieur Mossiyamba, aurait une raison supplémentaire de se réjouir car en tant que transfuge de l’ADDI dont il a été président régional des Savanes, il se serait offert une cerise sur le gâteau en assénant ce coup rude à son ancien parti. Voilà encore une illustration « lumineuse » de comment notre pays est gouverné.
 
Revenons sur le fonds même des informations livrées par les émissaires du gouvernement. Vous avez dit que durant leur émission, ils ont donné des informations inexactes ou mensongères. Pouvez-vous citer des exemples ?
 
Nagbandja KAMPATIBE : L’objectif de leur intervention étant de présenter le CST comme un ensemble de « badauds » comme dirait monsieur Bawara, ils ne se sont pas privés de contrevérités qu’ils ont pour la plupart fait passer soit sur les ondes de la TVT, dans Togo-presse ou dans les presses privées de leur bord. Pour eux, il n’y a pas eu de répression mais une réaction des forces de sécurité à des actes de vandalisme et de destruction de biens publics. A une question du journaliste sur les raisons des manifestations du CST, le Ministre Délégué a dit qu’il les ignorait. Sur ce plan à la fin de l’émission je l’ai interpellé et promis de lui faire apporter dès le lendemain un exemplaire de la plate-forme et j’ai tenu à cette promesse. Ils ont remis sur le tapis le mensonge sur les causes de décès des victimes de la répression.
 
Ils ont présenté le CST comme un groupe d’irresponsables qui refuse la main tendue du gouvernement pour le dialogue et ils ont conclu en lançant un appel aux paisibles populations des Savanes à ne pas participer aux manifestations du CST et à vaquer plutôt à leurs occupations champêtres lorsque le CST les appellera à manifester.
 
De toutes les façons, l’ensemble des mensonges proférés ont été démentis point par point dans mon émission du samedi 7 juillet 2012. Pour les populations de Dapaong et ses environs, ces deux émissions contradictoires leur ont ouvert un peu plus les yeux sur la nature des gens qui nous gouvernent et les a encore mieux mobiliser pour s’engager dans la suite des manifestations du CST et c’est cela l’essentiel.
 
Que pouvez-vous retenir comme bilan de votre mission de trois jours dans les savanes ?
 
Nagbandja KAMPATIBE : Des choses concrètes, comme la mise en place des coordinations préfectorales du CST dans l’Oti, Tandjoaré et Tone, l’information ciblée sur des personnalités locales sélectionnées, le recrutement de personnes ressources prêtes pour appuyer les coordinations dans l’organisation des prochaines manifestations dans les Savanes et la programmation des prochaines manifestations ont été faites. Les troupes ont été galvanisées et dès le week-end prochain de grands meetings d’informations sont programmés dont un à Mango le Vendredi 13 juillet à 15H00 sur la place du marché et un autre à Dapaong le samedi 14 juillet à 15H00 sur l’esplanade du Centre culturel Robert Cornevin.
 
L’autre fait marquant à retenir est l’ouverture définitive d’une radio privée, Radio Courtoisie en occurrence, à une information objective et juste sur la situation sociopolitique du Togo. C’est une arme de plus dans « l’arsenal de combat » du CST dans la Région des Savanes. Mais tout ceci n’est pas suffisant pour s’en glorifier car seul le succès des prochaines manifestations publiques pourra attester de l’effet positif ou non de ma mission.
 
 

Interview réalisée par Brice EWAI, Correspondant Région des Savanes.

 
liberte-togo.com
 

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