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Le Procureur publie ses commentaires au lieu du rapport



Censée dissiper les vastes zones d’ombre qui persistent et décrédibilisent l’enquête en cours ouverte suite aux incendies criminels des marchés survenus courant janvier, la dernière sortie du Procureur de la République au cours de laquelle il s’est décidé, -ce n’est pas tôt-, à lever le coin du voile sur le rapport d’enquête des Français, a plutôt suscité d’autres interrogations. En lieu et place du rapport, Essolissam Poyodi a livré à l’opinion ses commentaires sur ledit document. Pis, il a mentionné un expert israélien sorti d’où nul ne sait.

Vivement attendu par les Togolais depuis fin février, parce qu’il représente une mine d’informations censées contribuer à faire la lumière sur les incendies tragiques des marchés du Togo, le rapport transmis au gouvernement selon les informations concordantes, pourrait ne jamais être publié in extenso.

Au cours d’une rencontre avec la presse hier, Essolissam Poyodi s’est borné à commenter ce document, laissant du coup les journalistes sur leur soif. C’est ainsi qu’il a relevé que selon les experts, au titre des substances ayant provoqué l’incendie, pêle-mêle, un produit de type kérosène, du benzène/essence et à Adidogomé, des dispositifs de mise de feu réalisés à l’aide de cigarettes associées à des allumettes et à des sacs remplis de carburant. Des données au goût du pain béni pour « l’inspecteur Colombo » et qui viennent conforter, selon lui, « la procédure en cours qui a retenu pour qualifications principales les destructions volontaires par incendie ou explosifs ».

Il a conclu, à la lumière donc de tous ces documents, « qu’il s’agit des incendies criminels déclenchés à l’aide des dispositifs de mise de feu constitués essentiellement de matière inflammable. » et réfuté les accusations d’enquête-croisade lancée contre les opposants réunis au sein du Collectif « Sauvons le Togo ». Il a, par ailleurs, martelé que « la procédure engagée au lendemain des incendies des grands marchés de Lomé et de Kara n’est dirigée contre aucune catégorie de citoyens », mais vise uniquement à « faire toute la lumière sur les actes hautement criminels perpétrés, quelque soit l’appartenance sociale, politique ou autre de leurs auteurs ». Bref, le procureur a tenté de faire avaler à l’opinion, « preuves à l’appui » cette idée à la limite ubuesque que les responsables su CST seraient effectivement les commanditaires de ces actes d’une inhumanité rare.

Mais cette théorie savamment élaborée par les éminences grises de la dictature rampante au Togo présente bien des failles et suscite encore d’énormes interrogations qui la vident de toute sa substance. Pourquoi le procureur de la République a-t-il initialement tenté de faire une omerta sur ce rapport, au grand dam des responsables du CST qui réclamaient sa publication à cor et à cri ? Pourquoi lève-t-il le coin du voile sur le contenu de ce rapport juste au moment où le CST, au cours de sa tournée européenne, insiste sur cette nécessité ? Un hasard de calendrier ? Pourquoi le rapport d’enquête des Français n’est-il pas versé dans le domaine public pour que chaque Togolais puisse percer le mystère sur les incendies des marchés et se faire une religion de cette affaire ? Et qu’en lieu et place, c’est un commentaire du rapport que le Procureur livre aux Togolais ? Ce rapport relève-t-il du secret de l’instruction ? Dans ce cas, n’aurait-il pas dû se garder d’en faire des commentaires ?

Une autre question qui revêt tout son sens : d’où sort le fameux rapport de l’expert israélien Shlomo Maor qui certifie avoir constaté des vapeurs de benzène/essence ? Mieux, dans quel intervalle de temps a-t-il fait sa sortie sur le terrain et effectué ses prélèvements ? Aussi loin que remontent les souvenirs des Togolais, le gouvernement n’a jamais informé l’opinion de l’existence d’une mission d’enquête israélienne parallèle à celle des Français. La mention d’un rapport d’une telle mission ne vise-t-elle pas à faire diversion et digression et à vider de toute substance le rapport des experts français ?

Pourquoi les jeunes dont les témoignages ont servi d’éléments de preuve contre les responsables du CST n’ont-ils jamais mentionnés avoir été en contact avec le kérosène mis à leur disposition pour la sale besogne ? Une simple omission ? Si ce ne sont pas ces jeunes qui ont manipulé le kérosène dont les traces avaient été découvertes là, alors qui sont ceux qui ont pu être en contact avec cette substance ? Pourquoi le procureur s’attarde-t-il sur le début d’incendie du marché d’Adidogomé, somme toute un épiphénomène alors que les vrais drames concernent bien le grand marché d’Adawlato et celui de Kara ? Les substances compromettantes n’auraient-elles pas été disposées exprès au marché d’Adidogomé par les réseaux proches d’un ponte du régime pour pouvoir orienter les experts vers la thèse défendue becs et ongles par le gouvernement ?

A tout prendre, la référence à un rapport d’enquête dont l’ouverture n’a jamais été annoncée et dont les conclusions biaisent les conclusions des experts français en ce qui concerne le drame du grand marché de Lomé ne viserait qu’à éloigner l’opinion de la vérité sur les incendies des marchés.

Magnanus FREEMAN

Liberté N° 1442 du jeudi 25 avril 2013

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