Depuis le mois de mars 2020, le Togo fait face à la pandémie du Coronavirus qui continue de gagner du terrain dans le pays surtout dans la capitale Lomé, qui est soumise à un semi-confinement avec l’instauration du couvre-feu et la fermeture des lieux publics notamment les églises, écoles et discothèques. Une situation qui entrave la bonne marche des activités socio-économiques malgré les efforts fournis par le gouvernement pour maintenir le rythme.
Dans cette interview accordée à l’Agence de presse AfreePress, l’ancien ministre de la Santé, Dr IHOU David donne son avis sur la situation sanitaire à laquelle le pays fait face et estime qu’« il faut commencer par apprendre à vivre avec le virus ».
Outre les questions liées à la crise sanitaire, le médecin, comme il sait bien le faire, se prononce sur des sujets brûlants de l’actualité sociopolitique du pays de 1990 jusqu’aux élections présidentielles de 2020. Comme d’habitude, Dr IHOU n’a pas manqué l’occasion de relever les lacunes de l’opposition qui peine toujours selon lui, à décrocher l’alternance au Togo.
Lisez plutôt.
AfreePress : Bonjour Dr David IHOU. Que pensez-vous de la pandémie du Coronavirus qui sévit depuis des mois dans le monde entier et au Togo ?
Dr David IHOU : C’est une pandémie qui nous a surpris tous et continue de causer des morts dans les pays africains comme dans le monde entier. Et c’est aussi la première fois qu’on voit un virus attaquer presqu’en même temps, le monde entier.
Tout récemment, suite à des autopsies réalisées sur des cadavres, on a su que les gens meurent à cause de la CIVD (Coagulation intra vasculaire Disséminée). Il s’agit des caillots qui se créent dans le sang l’empêchant de circuler librement. C’est ce qui fait que les patients du Coronavirus meurent malgré le fait qu’on les mette sous des respirateurs modernes. Donc déjà en Italie, les médecins ont commencé par faire un traitement à base de l’aspirine, qui est anti-coagulant. Mais d’autres études et essais cliniques sont en cours pour trouver un remède efficace contre la maladie.
AfreePress : En votre qualité de praticien de la médecine, que faites-vous pour venir en aide aux Togolais ?
Dr David IHOU : Il y a d’abord l’aide logistique médical que nous apportons. C’est-à-dire la Coordination nationale de lutte contre le Coronavirus reçoit des renseignements de nous tous en tant que spécialistes de la santé. Par exemple dans le cadre de cette pandémie nous intervenons (moi qui suis dermatologue) dans des cas liés aux effets secondaires de l’usage de la chloroquine.
L’hydroxychloroquine, lorsqu’on a dit de l’utiliser contre le Coronavirus, on a su en même temps que 15% de la population en Afrique allait subir ses effets secondaires. Aussi, nous avons des contacts partout ailleurs (Europe, Amérique …) qui nous informent de la situation. Et au-delà de notre métier, nous prenons d’autres engagements personnels. J’ai été dans mon village pour distribuer 2000 masques à la population et donner des conseils. On a aussi donné des masques aux forces de sécurité et de défense. Mais on est un peu deçu parce que la population ne semble pas comprendre l’enjeu. Vous voyez des gens qui ne portent pas des masques.
Un fait m’a marqué lorsque j’étais allé au village chez moi pour faire des dons. C’était un dimanche, on a vu des jeunes assis autour d’une grande table en train de boire du tchouk (boisson locale) dans une seule calebasse qu’ils se passaient entre eux. On les a interpellés au marché pour les conscientiser.
Comme l’avait dit le médecin-Col Djibril Mohaman, il faut vraiment commencer par apprendre à vivre avec le virus. Car en matière virologique, on n’est jamais sûr de la fin. C’est-à-dire, un virus comme le Coronavirus peut muter et donner après un autre virus qui va revenir. C’est pourquoi nous devons être vigilants et respecter les mesures barrières.
AfreePress : Croyez-vous que cette crise va prendre fin de si tôt ?
Dr David IHOU : Si je parle un peu, vous allez dire que je suis cynique mais c’est ce cynisme-là qu’on voit. En France comme dans certains autres pays, le déconfinement a commencé parce qu’une épidémie ne finit pas brusquement comme elle a commencé. C’est pourquoi on ne peut pas laisser le pays sombrer aussi longtemps. Certainement que bientôt il y aura une plus grande ouverture au Togo aussi.
AfreePress : On vous connait sur le plan politique. Vous êtes souvent très critique envers l’opposition. Mais que reprochez-vous au juste à vos anciens amis de l’opposition ?
Dr David IHOU : Vous savez, j’ai été ministre de la Santé dans le gouvernement de transition et la seule grande avancée qu’on peut mettre à l’actif de ce gouvernement, c’est d’avoir pondu une Constitution qui a été plébiscitée par 96% de la population. C’est une avancée majeure. Cette Constitution d’octobre 1992 a été rédigée par une équipe dont je faisais partie et avec cette Constitution, on avait pensé que tout était bien parti. Permettez moi au passage, de saluer la mémoire de Me Yawovi Agboyibo, un combattant des premières heures.
Le premier couac de l’opposition est venu en 1994. Dans la Constitution de 1992, il est écrit que ‘’le Président de la République nomme le Premier ministre dans la majorité parlementaire’’. On n’a pas dit que ‘’le Président de la République nomme le Premier ministre dans le parti de la majorité parlementaire qui a le plus grand nombre de députés’’.
C’est comme ça que M. Edem Kodzo et Me Agboyibor (paix à leurs âmes), ont gagné les législatives. Tout le monde croyait que les deux allaient former un gouvernement sans le RPT et s’ils avaient bien gouverné, le RPT aurait été jeté aux oubliettes pendant au moins 4 à 5 mandats.
Et l’autre problème est le boycott des élections législatives de 1998, ce qui a permis au RPT d’avoir la majorité parlementaire et de modifier notre Constitution de 1992 en décembre 2002.
Autre chose que je reproche à l’opposition, est qu’il n’y a pas un miracle pour avoir l’alternance dans un pays. Pour avoir l’alternance dans un pays, il faut avoir un leader politique sérieux, compétent, efficace et qui a un projet de société que la population accepte. Ce qui signifie que la population est en connaissance du projet. Ce n’est pas qu’on se cache quelque part jusqu’à sortir lors des campagnes pour devenir Président de la République.
J’étais dans ma région pendant la dernière présidentielle, il y a des zones où personne ne connait le nom des opposants. L’avantage du Président sortant est que tout le monde le connait. Quand vous allez dans les villages, le Chef du village a la photo du Président accrochée dans son palais et tout le monde le regarde. Et aussi il y a les préfets qui parcourent des villages lors des funérailles de grandes personnalités du milieu. Ils arrivent et avant de partir, ils filent un 50.000 F CFA à la famille éplorée en disant que c’est au nom du Chef de l’Etat. Pendant les 2 semaines de campagne, le Président exploite tous ces avantages pour être gagnant.
La dernière chose, est que l’opposition est incapable de s’entendre pour choisir un seul candidat pour affronter le candidat sortant. Ce qu’on fait dans les pays développés est que si on ne s’entend pas pour choisir un candidat unique, on organise des élections primaires au sein de l’opposition elle-même. Ainsi on choisit celui qui a remporté ces élections primaires pour affronter le candidat au pouvoir.
Pour finir sur ce point, l’opposition doit chercher de l’argent. L’argent c’est le nerf de la politique. On a estimé et on a vu que pour réussir une campagne électorale présidentielle, il faut au moins avoir 7 à 8 milliards de F CFA. Aucun opposant togolais ne peut trouver cette somme. Parce qu’au Togo, les gens crient alternance mais ne cotisent pas pour leur parti politique. Ce qui est aussi marrant est qu’ici, on n’a pas des grandes entreprises privées qui financent l’opposition comme cela se passe dans d’autres pays.
AfreePress : Quelles appréciations faites-vous des 15 ans de Faure Gnassingbé au pouvoir ?
Dr David IHOU : Le premier mandat de Faure Gnassingbé est un mandat de tâtonnement. Parce qu’il arrivait au pouvoir dans un contexte sociopolitique un peu complexe. Mais au cours des deux autres mandats, beaucoup de grands projets ont été réalisés. Mais le chantier reste vaste. Le Président de la République doit savoir que beaucoup de travail reste à faire.
Bientôt nous allons sortir un document pour rendre public ce que le peuple attend du Chef de l’Etat et de son gouvernement. Pour son actuel mandat, Faure Gnassingbé doit revoir le salaire des travailleurs Togolais. Le salaire est trop bas ce qui fait que les boursiers refusent parfois de revenir au pays pour mettre leurs compétences au profit de la population. Il faut aussi que le gouvernement généralise l’assurance maladie. C’est-à-dire que du vendeur de l’eau jusqu’au Président de la République, tout le monde doit être couvert par une assurance maladie. Faure Gnassingbé doit aussi instaurer une politique d’éducation civique.
L’autre point à améliorer, c’est la politique de logement. L’Etat doit construire des logements pour que les citoyens puissent en acheter. Ça va réduire aussi les problèmes fonciers et autres.
Et pour finir, le gouvernement doit revoir le système éducatif. Notre pays manque trop d’écoles professionnelles et c’est la cause du problème du chômage.
AfreePress : Ne va-t-il par falloir un jour avoir l’alternance au Togo ?
Dr David IHOU : Oui. L’alternance est utile. Mais il faut qu’on comprenne bien les choses. Supposons qu’à la fin de ce mandat, Faure Gnassingbé dise qu’il ne se représente pas et c’est un autre membre du parti UNIR qui se positionne et devient Président. Çà, ce n’est pas une alternance. L’alternance c’est que le successeur et le précédent soient de deux bords différents. Une alternance c’est que la vraie opposition vienne au pouvoir. L’alternance est nécessaire mais ce n’est pas une panacée. Parce que selon mon point de vue, l’alternance doit pouvoir amener au pouvoir, quelqu’un de meilleur que le Président sortant.
AfreePress : Quelles sont vos ambitions pour votre pays le Togo ?
Dr David IHOU : Mon ambition pour le Togo, c’est le développement. Que le système bancaire soit mieux organisé. Que l’agriculture se modernise davantage.
Interview réalisée par Anika A / afreepress