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Malgré les réserves sur la transparence et l’équité du scrutin du 25 juillet et toutes les contestations du monde, les résultats proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni) ont été validés par la Cour constitutionnelle le 12 août, fermant ainsi la page de ce processus à rebondissements. Le cap est désormais mis sur les futures échéances, nommément la présidentielle de 2015.
 
Au sein de l’opposition, même si les querelles de clochers semblent prendre le dessus, on essaie de faire le bilan, d’en tirer les leçons et d’envisager des formules à même de favoriser l’avènement de l’alternance en 2015. Toutes démarches qui participeraient donc d’une sortie de crise politique lancinante au Togo. Et dans cette perspective, l’un des éléments à prendre en compte dans la définition de la stratégie efficace, c’est l’armée togolaise.
 

Une armée bien au cœur de la politique

 
Elle est par essence républicaine et apolitique ; et dans les vieilles démocraties occidentales ou même les pays africains où les civilités démocratiques sont peu ou prou acceptées, ces vertus sont respectées. Mais pas au Togo des Gnassingbé de père en fils. Ici, la grande muette n’est pas aussi muette politiquement. Un euphémisme pour ne pas dire qu’elle constitue le socle même du pouvoir des Gnassingbé. L’illustration ultime a été donnée le 5 février 2005, au décès d’Eyadéma. Alors même que la Constitution prévoyait bien le cas de vacance du pouvoir et donnait prérogatives au président de l’Assemblée nationale de prendre la relève et organiser de nouvelles élections pour élire un successeur, les dignitaires de l’armée togolaise confisquèrent le pouvoir et le confièrent à Faure Gnassingbé, à travers une cérémonie d’allégeance. Au même moment, le dauphin légitime et successeur constitutionnel de l’époque, Fambaré Ouattara était empêché de revenir au pays pour remplir sa mission.
 
C’est pour corriger ces anomalies que les acteurs politiques ont planché sur la problématique au cours du dialogue intertogolais ayant abouti à la signature de l’Accord politique global (Apg) le 20 août 2006 et formulé le souhait que l’armée soit désormais républicaine et apolitique. « S’agissant des questions de sécurité, les Parties prenantes au Dialogue conviennent que des dispositions nécessaires soient prises en vue de la réaffirmation solennelle et du respect effectif : * de la vocation apolitique et du caractère national et républicain de l’Année et des Forces de Sécurité, conformément à la Constitution et aux Lois pertinentes du pays ; * de la distinction entre les fonctions de l’Armée d’une part, et celles de la Police et de la Gendarmerie d’autre part de façon à ce que l’Armée se consacre à sa mission de défense de l’intégrité du territoire national et les forces de Police et de la Gendarmerie à leurs missions de maintien de l’ordre et de sécurité publique. Dans l’immédiat, le Gouvernement prendra toutes les dispositions utiles afin que les Forces de Défense et de Sécurité s’abstiennent de toute interférence dans le débat politique », y lit-on.
 
A la suite de l’Apg, nombre de dispositions ont été prises dans le sens de la neutralité politique de l’armée, et dans les discours, elle est peinte comme républicaine. Mais c’est un secret de Polichinelle qu’elle est restée au service exclusif du pouvoir Faure Gnassingbé, toute chose qui fausse le jeu démocratique. L’armée togolaise est bien engagée au service du pouvoir en place et apporte son assistance à la répression des manifestations de contestation. Elle est au cœur même de la politique, se mêle parfois de ce qui ne la regarde pas et marche sur les plates bandes des institutions de la République et des officiels de l’Etat. Ses dignitaires ne se sont-ils pas à maintes reprises opposés à des décisions de décrispation politique, comme la libération de jeunes manifestants de l’opposition ? N’ont-ils pas pris les devants du traficotage du rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) sur la torture ? Bien d’exemples d’implication dans la politique ont été fournis durant le processus des élections législatives du 25 juillet dernier.
 
En effet, bien que les textes professent leur neutralité politique, ils étaient nombreux, les officiers des corps habillés à prendre fait et cause pour Faure Gnassingbé et à battre campagne pour son parti. Yark Damehame, Ouro-Koura Agadazi et bien d’autres étaient visibles dans leurs régions d’origine, à la tête de délégations officielles du parti pour les besoins de la cause. Si jusque-là ce sont des individus qui ont été concernés, l’implication était beaucoup plus institutionnelle s’agissant du déploiement des matériels électoraux dans les différentes circonscriptions de l’intérieur du pays. En effet, selon les informations, c’est un cadre du parti de l’opposant préhistoriquement charismatique qui aurait gagné (sic) ce marché de cinquante millions (50 000 000) FCFA. C’était donc à sa société de transporter les matériels et les dispatcher dans les différents centres, bien sûr sous l’assistance sécuritaire de la Force spéciale élections législatives (Fosel). Mais il nous revient que, ne faisant pas confiance à ce cadre, il lui a été bien remis le pactole, mais c’est la grande muette, ou plutôt certains de ses dignitaires qui ont récupéré cette tâche et déployé les matériels. Voilà qui dit tout.
 

Composer avec le paramètre « armée »

 
On ne le dira jamais assez, la grande muette constitue au Togo un élément fondamental de la crise politique, par son parti pris ostentatoire en faveur du pouvoir en place qu’elle contribue à consolider de jour en jour. Lors des présentations du rapport annuel des Forces armées togolaises (Fat), c’est à des allégeances ouvertes que l’on assiste dans les discours de circonstances. L’armée, c’est une institution à part entière et toute son importance est prouvée par Faure Gnassingbé. Depuis la déchéance de Kpatcha Gnassingbé en 2007, aucun autre ministre de la Défense n’a été nommé, et à chaque formation du gouvernement, le ministère est rattaché à la présidence sans qu’on ne le signifie au peuple. Un statut privilégie lui est même taillé. Lors des audiences du processus Vérité, Justice et Réconciliation, après son intrusion fracassante au débat, elle s’est vu tailler une place d’honneur et une délégation a accompagné Mgr Nicodème Barrigah et toute son équipe de toute la tournée et apportait le démenti de l’armée à chaque fois qu’elle était mise en cause dans un cas de violences. Le pouvoir Faure Gnassingbé est assis sur l’armée, et c’est peu de le dire. Et le jour où elle lâchera le pouvoir en place, il perdra le fauteuil.
 
C’est a priori anormal de demander de discuter avec l’armée pour la définition d’une stratégie de sortie de crise politique et de conquête de l’alternance au pouvoir. D’autant plus que la grande muette est censée être bien loin de la sphère politique. Et cela paraitrait comme un scandale. Mais il y a ce que disent les textes et la réalité qui est toute autre. Au Togo, l’armée est un protagoniste avéré de la crise et ce serait naïf de l’ignorer. L’inviter aux initiatives de dialogues politiques pour requérir son accord à tout plan de sortie de crise est nécessaire, car c’est elle qui détient l’effectivité du pouvoir. Prendre langue avec elle ou ses dignitaires impliqués dans des basses besognes, comme ceux cités dans le rapport de l’Organisation des Nations Unies (Onu) sur les violences électorales d’avril 2005, dans les différentes exactions politiques, dans les affaires de tortures dans différents dossiers comme celui de Kpatcha Gnassingbé, aura le mérite de les rassurer un tant soit peu. Car c’est la crainte de subir la guillotine qui pousse nombre de ses dignitaires impliqués dans des affaires puantes à se braquer et dévouer leur vie pour le maintien ad vitam aeternam du régime en place, afin de jouir de l’impunité. Il va au demeurant falloir à l’opposition, composer tout simplement avec le paramètre « armée », savoir qu’elle ne combat pas un régime civil, mais bien militaire. Toute autre tentative ne serait que vaine.
 
Tino Kossi
 
Liberté Hebdo

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