Dans une note à l’intention des Préfets en date du 14 août dernier, le ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales Payadowa Boukpessi fait des recommandations ubuesques qui font entorse au processus de décentralisation au Togo. Dans cette note N°0360/MADCL-CAB en son point II relatif « au suivi efficace de l’Action des Partis politiques, des associations et autres organisations », il est mentionné « il m’a été rapporté avec insistance que certaines de ces structures mènent leurs activités dans un désordre, au mépris de toutes les formalités requises. Une investigation a relevé d’ailleurs des failles surprenantes. En effet, très souvent, les partis politiques, les associations et autres organisations mènent les activités dans vos localités sans que vous ne soyez avisés. Le comble c’est qu’elles parviennent à vous imposer le régime d’information même dans les matières de l’information préalable du ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales est formellement exigée, ce qui impacte négativement les actions du ministère tout entier et par ricochet celles de l’Etat.
Afin de remédier à cette situation, je vous recommande ce qui suit : toute activité liée à la thématique de la décentralisation ne sera acceptée que sur présentation d’une autorisation écrite du ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales ; les audiences foraines ou toute autre activité d’établissement d’actes d’état civil doivent être autorisées par le ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités locales ; m’informer de toutes les activités des partis politiques dans vos préfectures respectives, et faire un compte rendu à nous adresser à l’issue du dénouement de ces activités. J’accorde une attention particulière au respect des présentes instructions ».
Boukpessi en manque d’initiatives pour la bonne réussite du processus de décentralisation, veut empêcher la société civile, les partis politiques de jouer leur rôle
De quelles actions des Organisations de la société civile (OSC) ou partis politiques en lien avec la décentralisation parle-t-on exactement ? S’agit-il des réunions et manifestations dans les lieux publics ? On le sait, celles-ci sont soumises à un régime particulier défini par la loi.
Mais si l’on veut strictement appliquer aux OSC la loi relative aux réunions et manifestations publiques dans les communes, ces acteurs vont terriblement en pâtir. Il suffit de lire les définitions que la loi donne des termes « réunions », « manifestations », etc. pour s’en convaincre.
Tout compte fait, les faits montrent petit à petit que le processus de décentralisation n’est pas soutenu par une réelle volonté politique. On assiste à un verrouillage systématique de l’espace public aux différents acteurs y compris les organisations de la société civile. Si les initiatives citoyennes sur un territoire communal doivent recevoir l’autorisation préalable du ministre chargé de la décentralisation, ne va-t-on pas assister rapidement à la formation de goulots d’étranglement préjudiciables à la célérité d’action sur le terrain ? Dès lors, peut-on encore réellement parler de libertés locales que le processus de décentralisation est justement sensée promouvoir ? Tout processus de décentralisation, a pour finalité la promotion du développement local. Or, l’expérience a montré que sans la participation citoyenne, les efforts des seules autorités décentralisées ne suffisent pas pour prendre en compte les besoins et préoccupations réelles des populations. Quel sens veut-on au juste donner à la décentralisation au Togo avec ces multiples entraves ?
En subordonnant les initiatives de la société civile en lien avec la décentralisation à une autorisation préalable du ministre de tutelle, celui-ci est en train de fouler au pied certains principes sacro-saints de la décentralisation, notamment : la libre administration des affaires locales et la participation citoyenne.
Ceci constitue, du reste, une violation flagrante de l’esprit et de la lettre de la loi relative à la décentralisation et aux libertés locales en vigueur au Togo. C’est bien triste pour le Togo !
La préoccupation majeure du ministre c’est d’empêcher tous ceux qui ne seraient pas dans sa logique politique de mener des actions pour priver ainsi les citoyens de l’information. Surtout empêcher les acteurs politiques d’être en contact avec la population.
Dans ce processus jusqu’ici bancal, cette énième injonction de Boukpessi est un véritable coup de grâce. Faut-il le rappeler, en dehors des 13 communes du Grand Lomé, les 104 autres à l’intérieur du pays n’ont aucune subvention. Les maires et leurs adjoints n’ont jusqu’ici pas leurs indemnités.
Au surplus, la caution des candidats ayant obtenu au moins 5% du suffrage lors des élections municipales du 30 juin 2019 n’a toujours pas été remboursée. Voilà des priorités auxquelles Boukpessi devait s’atteler. C’est totalement incongru que tout soit résumé au coup de force par ce pouvoir décadent.
Kokou Agbemebio
Source : Le Correcteur [lecorrecteur.info]