Le Togo n’est pas encore sorti de la crise post-élection présidentielle du 22 février 2020 que le gouvernement s’apprête à ouvrir un nouveau front. Les élections régionales s’organisent dans les mêmes conditions que celles qui ont prévalu en 2020. Sans doute que l’issue sera pareille à celle de février 2020.
Ce 22 février 2021, cela fait un an jour pour jour que les Togolais ont été appelés aux urnes. La campagne électorale et les opérations de vote se sont déroulées dans une atmosphère de tension. Tout le processus était d’ailleurs tendu. Et l’issue, on le sait tous. L’éternel « vainqueur » des élections a été proclamé gagnant par des institutions acquises à sa cause. De la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à la Cour Constitutionnelle en passant par les démembrements de la CENI, tout était fait pour que le « vainqueur » gagne.
Pour une première fois dans l’histoire du Togo, l’attente des résultats n’a pas été longue. 48 heures après les opérations de votes, la CENI proclame Faure Gnassingbé réélu. Jamais une élection au Togo n’a livré aussi rapidement ses résultats. Une prouesse. Mais dans la réalité, cette proclamation hâtive était motivée par le flux des résultats donnés par les candidats de l’opposition. Au soir même de l’élection, l’Alliance nationale pour le changement (ANC) a donné les premières tendances et annonçait Agbéyomé Kodjo en tête des suffrages, suivi par Faure Gnassingbé et Jean-Pierre Fabre. Le candidat de la Dynamique Monseigneur Kpodzro, donné gagnant, et son équipe ont poursuivi sur cette lancée en revendiquant la victoire dans les urnes.
Un an après, la tension est toujours palpable dans le pays. Le régime s’est lancé dans un vaste projet de musèlement des voix discordantes. D’abord au sein de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) dont le candidat Agbéyomé Kodjo a été traqué comme un malpropre, emprisonné, libéré puis poussé à la clandestinité. D’autres poids lourds de la DMK dont Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson ont également subi le passage par la case détention avant de recouvrer la liberté. La Secrétaire Générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) est sous le coup d’une inculpation. Elle est accusée d’association de malfaiteurs et d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. Pour l’avocat des responsables de la DMK, l’inculpation et la mise sous mandat de dépôt est une manœuvre pour les intimider sans preuves étayant la poursuite. « Nous considérons que leur placement sous mandat de dépôt vise tout simplement à les intimider en réduisant à néant leur droit à la liberté d’expression d’opinions politiques », a déclaré Me Darius Atsoo.
Cette répression s’est étendue à tous les acteurs sociopolitiques. Le règlement du contentieux électoral éminemment politique a été déplacé sur le terrain judiciaire et la liberté d’expression mise à mal. Médias, organisations de la société civile, homme politiques… sont devenus la proie du régime. Pendant ce temps, les deux ténors de l’opposition se sont lancés dans une guerre fratricide. Dans les déclarations, sur les réseaux sociaux et les médias traditionnels, la DMK et l’ANC se déchirent, fragilisant davantage l’ensemble de l’opposition sortie affaiblie de la présidentielle de février 2020.
C’est dans ce contexte que le pouvoir s’apprête à organiser les élections régionales. Déjà, lors des rencontres organisées sous l’égide du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et du Développent des Collectivités, Payadowa Boukpessi, des voies se sont élevées pour un règlement de la crise née de la présidentielle de février dernier avant l’organisation de tout nouveau scrutin. Cette exigence portée par la DMK est soutenue par d’autres formations politiques. Au cours d’une réunion sur les discussions pour l’organisation des élections régionales, le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) avait quitté la salle. Dans un communiqué rendu public sur le sujet, le parti de feu Me Yawovi Agboyibo a indiqué que lors des précédentes réunions du 14 décembre 2020 et du 19 janvier 2021, « les principaux sujets de préoccupation soulevés par le CAR, notamment le règlement politique de la crise postélectorale en vue de la tenue d’un dialogue inclusif, franc et sincère », n’ont pas été pris en compte. Boudées par une partie de l’opposition, ces discussions ne peuvent pas prospérer.
Sur un autre plan, un processus électoral dans les conditions actuelles serait forcément préjudiciable aux forces démocratiques. Les institutions impliquées dans les joutes électoraux sont toujours aux mains du RPT/UNIR. Les conditions actuelles sont les mêmes qu’au moment de la présidentielle de 2020. Pire, le peuple est plongé dans un attentisme curieux et n’espère plus le salut à travers les urnes. Poussées à l’extinction, les formations politiques de l’opposition ont perdu de leur vigueur.
Dans tous les cas, un gouvernement soucieux de l’évolution du pays ne peut pas s’offrir le luxe d’enclencher un nouveau processus électoral dans le contexte de tension actuel. Cela équivaudrait à empiler une nouvelle crise sur une autre. Le modèle de développement des régimes autoritaires qui inspire le pouvoir en place n’est pas le modèle à suivre, pour la simple raison que c’est un modèle très fragile qui peut s’effondrer à tout moment. Les exemples sont légion.
G.A. / Liberté N°3333 du 23-02-21