Les associations dans le collimateur du pouvoir Faure Gnassingbé
 
Le pouvoir en place veut-il réduire tous les espaces de liberté ? La question doit faire dresser des cheveux sur des têtes et couler de l’adrénaline. Mais c’est cette inquiétude légitime qui saute à l’esprit lorsqu’on analyse la réglementation que le gouvernement initie pour le monde associatif togolais, au travers du projet de loi adopté en conseil des ministres jeudi dernier, notamment les nouvelles contraintes imposées aux associations.
 
Après avoir mis K.O. les partis de l’«opposition», Faure Essozimna Gnassingbé veut anéantir les associations | Caricature : Donisen Donald / Liberté
Après avoir mis K.O. les partis de l’«opposition», Faure Essozimna Gnassingbé veut anéantir les associations | Caricature : Donisen Donald / Liberté


 
Pour des observateurs avisés, au-delà d’une simple volonté de légiférer et adapter la vie associative au Togo à l’évolution des choses, se cachent des manœuvres du pouvoir pour marquer à la culotte les associations aussi, après l’asphyxie financière des partis politiques et leur quasi-neutralisation par le nouveau Code pénal.
 
Le gouvernement en mode régulation de la vie associative
 
Le jeudi 7 avril dernier, a eu lieu un conseil des ministres, en présence, dit-on, de Faure Gnassingbé. Au cours des travaux, il a été adopté un (01) projet de loi, écouté deux (02) communications et des divers. Les activités associatives sont concernées par le projet de loi.
 
« Le projet de loi adopté par le conseil est relatif à la liberté d’association au Togo. Prenant en compte l’évolution de la gouvernance administrative et économique ainsi que les mutations connues par le monde associatif dans notre pays, le présent projet de loi vise à corriger les limites de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations actuellement en vigueur, et à régir le domaine de la création et de la gestion des structures associatives », rapporte le communiqué final.
 
« Entre autres innovations proposées par le présent projet de loi, la clarification et la distinction des associations des autres formes d’organisations ; la définition des conditions de fusion et de scission des associations ; les obligations des associations en terme notamment de production de rapports périodiques attestant leur vitalité ; et les sanctions auxquelles s’exposent les associations en cas d’inobservations des règles prescrites », rapporte le comte rendu.
 
« Ce texte prend en compte également l’union et les fédérations d’associations. En outre, le projet de loi définit et précise les conditions d’installation et de reconnaissance des associations internationales et étrangères ainsi que les organisations non gouvernementales (Ong) », y lit-on par ailleurs.
 
Comme une volonté de contrôler les associations…
 
L’une des prérogatives du gouvernement est de réglementer la vie publique à travers des lois, et l’initiative est de son ressort, concurremment avec les députés à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi adopté par le conseil des ministres peut être conçu comme s’inscrivant dans cette logique et ne susciter aucune réserve. Mais l’opportunité pousse à s’interroger sur la légitimité de cette action. Pour des observateurs avisés des micmacs de la politique togolaise, cette initiative cache des intentions de restreindre les libertés d’association et mieux contrôler les associations. Et cela fait gerber dans ce secteur.
 
Des sources voient en effet à travers ces innovations, notamment l’obligation de soumettre des rapports d’activités périodiques attestant de leur vitalité, une façon insidieuse pour le pouvoir d’avoir un œil dans leurs activités pour ne pas être surpris, dans un contexte sociopolitique fait de méfiance où le pouvoir vit dans une caverne de suspicions.
 
Certains observateurs voient même derrière la réglementation de la fusion des associations, une manière tacite d’interdire les collusions avec les partis politiques. Cela n’est pas sans rappeler le rapprochement des associations de la société civile et des partis politiques à travers le Collectif « Sauvons le Togo » qui avait fait mal au pouvoir en place depuis 2012. En effet, ce regroupement avait tenu la dragée haute au régime, dans le cadre de la lutte pour la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (Apg). C’est en représailles, et pour neutraliser le Cst que le pouvoir avait fait porter le chapeau des incendies des marchés de janvier 2013 à ses responsables et militants qui furent inculpés, appréhendés et détenus pour certains.
 
Est aussi présent dans les esprits le rôle joué par la société civile burkinabé dans la chute du régime Compaoré et le mouvement « Y en a marre » au Sénégal. Il faut donc éviter toutes les surprises. Et bon an mal an, le « fils de la nation » consolide la « dictature héréditaire ».
 
…après asphyxie des partis de l’opposition
 
« Faure Gnassingbé vit sous une sorte de psychose où il soupçonne de partout des actions contre son pouvoir. Les partis politiques aujourd’hui sont presque inoffensifs, réduits à la figuration par manque de moyens. Il est noté de plus en plus d’associations citoyennes qui naissent et s’engagent dans la conscientisation des populations sur leur sort ; ce qui ne fait pas les affaires du régime.
 
Dans sa psychologie de maintien au pouvoir à tout prix, il faudrait alors des voies et moyens pour étouffer toute action d’opposition à la longévité au pouvoir. Après avoir réussi à asphyxier financièrement les partis politiques avec les contraintes introduites dans le nouveau Code pénal, notamment par l’interdiction des financements extérieurs, il faudrait alors contrôler les associations pour éviter toute surprise, d’où ce projet de loi. On ne serait pas étonné qu’une association accusée de collusion avec une formation politique gênante, en vienne par exemple à être interdite, au travers de manœuvres de justice », analyse un acteur politique, pour justifier le fait que le pouvoir mette le curseur sur les associations.
 
Parlant d’asphyxie financière des partis politiques, il nous souvient en effet que le 2 novembre 2015, fut voté le nouveau Code pénal togolais contenant plusieurs innovations. Si c’est l’article 497 qui pénalise à nouveau le délit de presse et la criminalisation de moitié des crimes de torture qui avaient suscité un tollé, il y avait aussi l’interdiction du financement extérieur des partis politiques.
 
Dans un pays où la bourse est détenue par le parti au pouvoir seul, ses pontes sont à la tête de la plupart des régies financières et n’hésitent pas à financer ses activités, il s’agit de compliquer les sources de financement à l’opposition dont les militants n’ont d’ailleurs pas la culture de la cotisation. Les maigres ressources dont ils disposent pour leurs activités ne viennent souvent que de la diaspora. Lors de la dernière élection présidentielle, il a fallu que le pouvoir offre 72 millions à chaque candidat pour que certains arrivent à mener campagne et amortir les dépenses. Toutes choses qui font que l’opposition togolaise est inactive et inoffensive à l’égard du pouvoir.
 
L’assainissement nécessaire des partis politiques de décor
 
Au-delà des réserves légitimes que l’on puisse émettre sur ce nouveau projet de loi portant réglementation de la vie associative ou plutôt marquage à la culotte des associations, il y a du bon qu’il urge de relever. Parmi les innovations introduites, l’obligation de produire des rapports périodiques attestant leur vitalité ; et les contrevenants s’exposent à des sanctions en cas d’inobservation des règles prescrites. Cette nouveauté permettra forcément d’identifier les associations actives, celles qui n’existent que de nom et éventuellement les dissoudre, bref d’assainir le secteur. Ce travail d’assainissement devra se faire aussi dans la classe politique.
 
C’est un secret de Polichinelle, il existe environ 110 partis politiques au Togo. Mais ceux qui sont actifs se comptent sur le bout des doigts. La plupart n’existent que de nom, se réduisent aux seules personnes de leur président, sans militant, sans siège parfois et sans activités durant une bonne partie de l’année ou simplement de leur existence. D’autres ne se signalent que lors des périodes électorales où ils sortent du bois pour présenter des candidats ou foutre le bordel. Pas de sensibilisation de leurs militants ( ?) ou des populations sur les questions d’enjeu national, pas de participation aux débats utiles…Nombres de ces formations sont d’ailleurs des béquilles du pouvoir – suivez les regards pour les identifier – qui volent à son secours lorsqu’il se retrouve coincé. Ces partis polluent suffisamment le landerneau politique, et il faudra assainir le secteur pour une lisibilité claire et le débarrasser de ces formations de décor.
 
Source : [11/04/2016] Tino Kossi, Liberté
 

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