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Bamako, le 18 avril 2013

Monsieur le Premier ministre,

Hum ! Comment commencer ? Je sais que vous connaissez bien cette interjection, hum, et sa signification chez nous. Hum, vous le savez, est ce soupir sourd que l’on pousse quand on n’a pas la force de parler devant une situation trop désagréable, trop inimaginable pour être traduite par des mots. Hum ! Que soupire celui-ci. Et à celui-là de répondre « énya lé ado mé ». Il y a des choses, beaucoup de choses à dire dans le ventre.

Monsieur le Premier ministre, j’ai tant de choses, trop de choses à vous dire, à vous expliquer – comme vous feignez de ne pas comprendre -, à vous rappeler. Mais je ne vais pas faire long. Vous connaissez bien ce proverbe de chez nous « ce n’est pas une rivière de mots qui fait une bonne sentence ». Je vais donc faire court.

Monsieur le Premier ministre, j’ai suivi, comme des centaines de milliers de Togolais, votre interview ce matin sur la Radio France internationale. On vous avait interrogé sur les tensions nées au Togo ces derniers jours avec la grève des travailleurs du secteur public qui réclament une augmentation de salaire. Il est de notoriété publique que le Togo fait partie des pays qui paient très mal, trop mal ses travailleurs dans la sous-région. Vous ne serez pas nécessairement d’accord avec moi, comme vous avez défendu bec et ongles durant l’interview que vous n’avez cessé d’augmenter le salaire de vos travailleurs depuis 2007. Que diable cherchent-ils donc encore dans les rues, ces bâtards de fonctionnaires, à vous tempêter dans les oreilles comme des garnements sans éducation, hein !

Monsieur le Premier ministre, la partie de votre interview qui m’a le plus marqué est celle où lorsque le journaliste vous posait une question sur le petit garçon de douze ans tué par un gendarme à Dapaong, au Nord du pays, lors d’une manifestation, le lundi passé, vous déclarez que vous n’avez pas compris pourquoi il n’y avait pas d’abord eu une sommation par gaz lacrymogène, pourquoi il y a eu un tir tendu qui a atteint l’élève et qui l’a tué… Croyez-moi, hein, monsieur, j’ai failli me faire avoir, et un moment j’avais cru que j’étais en train d’écouter un ministre normal, avant de me rendre compte que c’était vous que j’écoutais. Parce que cette question aurait été logique, fondée, si elle avait été posée par un ministre normal, c’est-à-dire pas vous.

Monsieur le Premier ministre, vous qui à la face du monde jouez aujourd’hui à l’indigné, en vous demandant, plutôt en faisant croire que vous vous demandez pourquoi il n’y avait pas eu de sommation par gaz lacrymogène avant les balles réelles qui ont assassiné le petit Anselme, dites si vous vous êtes déjà demandé pourquoi il n’y a jamais eu de sommation avant ces centaines de milliers de balles réelles qui ont tué des centaines de Togolais en 2005, quand cette hideuse armée togolaise intronisait votre actuel patron Faure Gnassingbé. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi il n’y a jamais eu de sommation par gaz lacrymogène avant les coups de feu qui ont exterminé tous les martyrs togolais, devant la face du monde, depuis les années quatre-vingt-dix ?

Monsieur le Premier ministre, entre 2002 et 2004, j’ai fait mon premier cycle universitaire, à Lomé, dans la même école supérieure avec un garçon qu’on disait le vôtre. Vous étiez, en ces temps, ministre du Commerce, ou quelque chose de ce genre – tout se confond tellement dans votre monde-là, et je ne sais plus vraiment ce que vous étiez à l’époque. On disait, donc, que ce camarade était votre fils. J’espère qu’il l’est vraiment. Et s’il ne l’est pas, j’espère que vous avez un fils, ou une fille. Vous imaginez le jour où, resté chez vous à la maison, l’attendant comme tout bon parent, de funestes messagers viendront vous dire qu’il vient d’être abattu par un gendarme ? Que direz-vous donc, entre deux sanglots ? « Je n’ai pas compris pourquoi il n’y a pas d’abord eu de sommation par gaz lacrymogène. Ensuite pourquoi il y a eu un tir tendu qui a atteint mon fils, hein ? » Et votre douleur de père qui a perdu son fils se sera dissipée.

Monsieur le Premier ministre, disons que j’ai franchement rigolé vers la fin de votre interview, quand vous avez déclaré que vous êtes certain d’une chose au gouvernement, la lumière sera faite sur ce meurtre, et que le gouvernement togolais n’approuvera aucun crime. J’ai rigolé, hein, monsieur. Et je sais que Christophe Boisbouvier qui vous interviewait aussi avait rigolé au fond de lui, lui qui connaît si bien le Togo. Depuis quand avez-vous commencé à faire la lumière sur les assassinats commis au Togo, et punir les auteurs ? Un pays où un gendarme, un militaire ou un policier peut charger son fusil, devant des témoins, tirer en riant presque sur une foule dont le seul crime est d’avoir osé réclamer sa liberté, et rester éternellement en liberté parce qu’il est d’une famille, d’un clan, d’une ethnie intouchable, que son oncle ou le mari de la nièce de sa tante est chef d’Etat-major ou ministre, un pays où on peut retrouver d’illustres intellectuels assassinés et noyés en mer sans qu’aucune enquête sérieuse ne soit menée par l’Etat parce que la victime est un opposant à la dictature… dites, monsieur le ministre, c’est dans ce pays-là que vous ferez la lumière sur la mort d’un enfant de douze ans tué par un gendarme ?

Monsieur le Premier ministre, avant de faire la lumière sur la mort de cet enfant, faites la lumière sur la mort de Tavio Amorin assassiné depuis vingt ans, faites la lumière sur la mort d’Atsoutsè Agbobli tué puis noyé en mer depuis cinq ans, faites la lumière sur la mort de ces centaines de Togolais que vos policiers, gendarmes, militaires et milices tuent tous les jours. Et au lieu de vous demander, sacré comédien, pourquoi avant de tuer Anselme, votre gendarme n’avait pas tiré un gaz lacrymogène, demandez-vous plutôt pourquoi depuis huit ans que votre gourou s’est emparé du pouvoir, vous êtes tous les jours obligés d’utiliser du gaz lacrymogène pour calmer, gouverner le peuple. Voilà la question. Pourquoi le pays que vous prétendez diriger ne s’est jamais calmé une seconde, malgré vos emberlificotages pour montrer au monde que tout y va bien ?

Monsieur le Premier ministre, je ne vais pas faire long, je vous l’avais promis. Et je m’arrête là. Mais je vous mets au défi, tant que vous ne ferez pas la lumière sur la mort du jeune Anselme, tant que vous ne mettrez pas son assassin en prison, comme vous l’avez promis à toutes les oreilles qui vous ont ce matin écouté sur RFI, je vous enverrai fréquemment des lettres ouvertes pour vous le rappeler.

Euh, je ne me suis pas présenté ! Vous voyez, monsieur, que j’avais trop de choses à vous dire, jusqu’au point d’oublier de me présenter. Je le ferai prochainement. Sûrement dans la lettre suivante que je vous enverrai pour vous rappeler votre promesse publique : punir l’assassin du jeune Anselme que sa mère pleure encore, pleurera toujours. Tout comme vous l’aurez fait, si c’était votre fils qui avait été assassiné.

Bien Cordialement

Yao David Kpelly pour KOACI.COM


PS : Ah, Monsieur le Premier ministre, je viens d’apprendre la mort d’un deuxième enfant tabassé par les forces de l’ordre. On dit quoi ? « Pourquoi n’y avait-il pas eu des coups de sommation avant les coups mortels, hein ! »

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