Oui, nous sommes une opposition conséquente et cohérente, n’en déplaise au Chef de file de l’opposition !
Par Isaac TCHIAKPE, Conseiller de Gilchrist OLYMPIO (Président national de l’UFC)
Dans un coup de menton(1), dont il est coutumier, celui que la loi togolaise consacre chef de file de l’opposition affirme : « Ce parti se dit de l’opposition et revendique une place à la CENI au titre de l’opposition. Et pour couronner cette plaisanterie, l’UFC réclame que l’ANC lui cède une de ses places. Évidemment, pour nous c’est inacceptable. Et même indécent. Je peux vous assurer que nous n’accorderons jamais cette place à l’UFC »
Par pédagogie et générosité qui doivent toujours caractériser l’homme d’étude, je consens à instruire le CFO sur des matières dont je remarque après lecture de l’interview qu’il a accordée récemment à un journal de la place qu’il fait usage de notions et de concepts qu’il ne maîtrise guère et dont il entend très peu le sens.
Nous sommes un parti d’opposition et notre position se défend rigoureusement de trois manières :
1. Juridiquement (loi n°2013-015 du 13 juin 2013 portant statut de l’opposition), L’UFC est un parti d’opposition et ce positionnement à l’Assemblée nationale est conforme aux dispositions de la loi qui détermine le statut juridique de l’opposition. Aux termes de cette loi, l’opposition s’entend de l’opposition parlementaire. Elle comprend le ou les partis et regroupements de partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ainsi que les députés qui y siègent, et qui ont remis au bureau de celle-ci une déclaration indiquant leur appartenance à l’opposition.
La déclaration d’appartenance à l’opposition est faite en début de législature et au plus tard quinze (15) jours calendaires suivant l’adoption du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. L’UFC ayant en début de législature déclaré appartenir à l’opposition, elle est en vertu de cette loi, un parti de l’opposition parlementaire
Au demeurant, dans l’interview citée, le chef de l’’ANC revendique son statut de chef de file de l’opposition dont j’espère qu’il n’est pas un titre chimérique mais consacré par une loi togolaise.
2. Politiquement, nous sommes de l’opposition car, notre projet diffère de celui du parti UNIR. Nous ambitionnons d’accéder au pouvoir pour mettre en œuvre notre projet et la vision dont nous sommes porteurs.
Nous sommes un parti d’opposition constructive, c’est à dire une force de proposition et d’élaboration pour un Togo nouveau. Nous ne sommes plus dans la contestation systématique.
Certains ont choisi l’outrance et font profession de manifester parce qu’ils s’imaginent que cela fait recette ; c’est leur choix. Mais qu’on ne nous entraîne pas à déraisonner, car nous donnons de la profondeur historique à notre stratégie politique.
En effet, notre approche tient compte de notre histoire et du contexte politique. Au surplus, l’UFC ne s’est pas toujours alignée sur les votes du parti au pouvoir. Notre parti, en certaines occasions, a voté solidairement avec les autres partis de l’opposition qui constituent aujourd’hui le noyau de la coalition.
C’est au regard de notre histoire et de nos expériences de lutte que nous avons choisi une approche de négociation coopérative pour obtenir pacifiquement l’alternance.
La politique ce n’est pas la guerre, ni l’invective, ni les attitudes comminatoires ; notre engagement est fondé sur des convictions. Cet engagement pour nous UFCistes est une volonté permanente et constante du changement dans la paix et la tolérance, ce qui suppose de parler et de discuter voire de convaincre ceux qui sont différents de nous.
Dans le contexte du Togo, seule une approche négociée peut permettre l’alternance.
3. Conceptuellement, je me réfère aux travaux d’éminents professeurs de science politique, Georges Burdeau, le Doyen Vedel, et le Professeur Robert Dahl de Yale University qui, dans leurs travaux, montrent que l’opposition ne se définit pas facilement. On dénombre plusieurs sortes et formes d’opposition selon la nature et le fonctionnement des régimes politiques
De leurs études, il est possible de définir l’opposition comme une position reconnue d’un groupe dans un régime politique en compétition pour l’accession légale au pouvoir et son exercice pacifique
L’opposition y est présentée comme une force en «attente du pouvoir».
. Dans les régimes politiques pluralistes, l’admission de la différence d’opinion est le moteur du dialogue entre gouvernants et gouvernés. La reconnaissance des partis et formations politiques y est largement admise.
Mais, peut-on mettre raisonnablement sur le même plan l’opposition à la mode ANC et l’opposition UFC ?
Non, si je me réfère aux analyses du professeur Robert Dahl, qui s’est penché sur le devenir de l’opposition dans les régimes politiques pluralistes, et dont l’ouvrage L’Avenir de l’opposition dans les démocraties demeure toujours une référence. Selon cet universitaire, «il n’existe pas de modèle unique d’opposition» (p. 85).
Quoi de commun en effet entre une opposition qui critique systématiquement les choix politiques d’une majorité parlementaire et une opposition qui prône un changement par la voie du dialogue, la force des arguments ?
Pour répondre à cette question, j’emprunte à la réflexion publiée en 1954 dans la Revue internationale d’histoire politique et constitutionnelle, par Georges Burdeau qui faisait remarquer que: « La notion d’opposition est inséparable de l’idée de tolérance. », qualité qui fait défaut au plus éminent des opposants consacrés par la loi.
En conclusion, M le chef de file de l’opposition, sachez que l’opposition ne se réduit pas à un modèle. Il importe donc de différencier des oppositions selon leurs objectifs. Pour toutes ces raisons, il est possible de parler d’opposition au mode pluriel.
L’opposition ne se réduit pas « au pouvoir de dire non » (Alain). Bien au contraire, la situation d’opposant doit être source de régénérescence, de productivité intellectuelle, de calcul, de stratégie discrète et silencieuse dans nos Etats fracturés et profondément divisés.
Quelques références :
DAHL Robert.A.,(dir.), op. cit.,1966 ;IONESCU G.et DE MADARIAGA I., Opposition-Past and Present of a Political Institution, London, The New Thinker Library, 1968 ; SCHAPIRO L., (dir.), op. cit., 1972.
SCHAPIRO L., « Foreword », Government and Opposition, vol. 1, n°1, 1966, p. 2.
«L’évolution de la notion d’opposition », Revue internationale d’histoire politique et
constitutionnelle, 1954, p. 123. Georges BURDEAU
– Les partis politiques ou l’école de la démocratie, Georges VEDEL (in Revue française de science politique. Année 1951 1-4 pp 558-567
Les partis politiques (1951), Armand Colin. Maurice DUVERGER
(tribune publiée dans le journal FOCUS INFOS N°214 du 8 au 21 novembre 2018)
Un coup de menton est une mimique qui consiste à effectuer un hochement de tête tout en relevant le menton, le tout d’un air très résolu, mâchoires serrées et air martial, et accompagnant des propos péremptoires mais rarement suivis d’engagement.
On pourrait dire qu’une politique du coup de menton est une politique de matamore : grande gueule et petits actes.