TRIPOLI (Reuters) – Mouammar Kadhafi est devenu lundi un homme traqué dont les derniers fidèles opposent une résistance sans espoir à Tripoli, tandis que la communauté internationale célèbre les dirigeants du mouvement insurrectionnel libyen comme les nouveaux maîtres du pays.
 
Près de 48 heures après une offensive en tenaille lancée par les forces rebelles sur Tripoli, en même temps qu’un soulèvement dans la capitale, les chars et les tireurs d’élite du « guide » libyen ne semblent plus tenir que des poches isolées de la ville, notamment son quartier général de Bab al Aziziah.
 
Les civils qui avaient envahi les rues dimanche soir pour fêter la fin d’une dictature sont restés chez eux à l’abri des tirs. Le Premier ministre du régime en déroute a fait surface en Tunisie voisine. La télévision nationale a cessé d’émettre, les insurgés ayant pris possession de ses émetteurs.
 
Les ambassades de Libye à l’étranger hissaient l’une après l’autre le drapeau de l’insurrection.
 
Les pays occidentaux qui ont mis leurs moyens aériens au service de divers groupes rebelles dans plusieurs régions ont engagé Mouammar Kadhafi à admettre que ses 42 années de pouvoir absolu prenaient fin, et à abréger l’effusion de sang après six mois de guerre civile à travers le vaste pays d’Afrique du Nord.
 
Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a appelé les troupes fidèles à cesser immédiatement les combats et à faciliter une transition pacifique.
 
PAS DE NOUVELLES DU GUIDE
 
Le président français Nicolas Sarkozy, qui avait parié dès février sur les insurgés libyens, a appelé les derniers loyalistes à déposer les armes, « à se détourner sans délai de l’aveuglement criminel et cynique de leur chef » et à se mettre « à la disposition des autorités libyennes légitimes ».
 
La France a invité à Paris le Premier ministre du Conseil national de transition (CNT) libyen, Mahmoud Djibril, et souhaite une réunion rapide sur son territoire du « groupe de contact » international sur ce dossier.
 
De son côté, le président Barack Obama a souligné que « Mouammar Kadhafi et son régime doivent reconnaître que leur règne est arrivé à son terme ».
 
L’Egypte, qui a renversé en février le président Hosni Moubarak, a renoncé aux précautions d’usage et reconnu le gouvernement insurrectionnel du CNT. D’autres insurgés arabes, en Syrie notamment, pourraient se sentir confortés par la victoire arrachée à grand-peine dans les sables de Libye.
 
Dans ce contexte, et alors que s’esquisse déjà une compétition internationale pour le pétrole libyen, la Russie et la Chine, qui ont vivement critiqué l’appui aérien de l’Otan aux insurgés libyens, ont aussi laissé entendre que Mouammar Kadhafi devait maintenant s’incliner.
 
Mais après un message sonore plein de défiance diffusé dimanche à la télévision nationale, dans lequel il engageait la population à prendre les armes contre les « rats » insurgés, plus aucune nouvelle concrète n’a circulé sur le dirigeant libyen.
 
Plusieurs responsables ont dit ignorer où il se trouvait. Aux Etats-Unis, le Pentagone a jugé peu probable qu’il ait quitté la Libye.
 
TIRS SPORADIQUES, TENSION PERSISTANTE
 
Trois de ses fils ont été arrêtés par les insurgés selon des médias arabes – l’aîné Mohammed Kadhafi, Saïf al Islam, le plus jeune, et Saadi Kadhafi. Deux autres, Khamis et Moutassim, seraient encore avec ses derniers combattants.
 
Le Premier ministre, Al Baghdadi Ali al Mahmoudi, lui, est arrivé dimanche soir sur l’île tunisienne de Djerba, mais on ne dispose pas encore de précisions à son sujet.
 
A Benghazi, fief de l’opposition dans l’Est, un responsable du CNT a dit que plusieurs de ses représentants s’étaient infiltrés à Tripoli ces derniers jours pour y prendre contact avec des groupes précédemment acquis à Mouammar Kadhafi en vue d’éviter que la capitale ne bascule dans le chaos.
 
Certains ont dit craindre que les divisions tribales et autres entraînent des règlements de comptes entre groupes armés comme en Irak après la chute de Saddam Hussein. Mais la présence d’ex-collaborateurs de Kadhafi dans le camp rebelle fait espérer que l’opposition se montre plus « intégratrice » qu’en Irak.
 
Le président du CNT, Moustafa Abdeldjeïl, a exhorté les rebelles à respecter l’ordre public et les vies humaines « en s’abstenant de rendre eux-mêmes la justice ».
 
L’émissaire du CNT à Paris, lui, a demandé l’aide de la communauté internationale afin de bâtir une Libye démocratique.
 
Moustafa Abdeldjeïl a fait savoir qu’il favoriserait les pays étrangers qui ont soutenu l’insurrection dans l’attribution de contrats pétroliers – ce qui pourrait faire échec aux compagnies chinoises ou russes. Le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, a annoncé qu’il rencontrerait dans les prochains jours le président du CNT.
 
A Tripoli, des correspondants de Reuters ont vu des rebelles traquer des tireurs isolés d’immeuble en immeuble. Des tirs sporadiques incitaient les civils à ne pas sortir.
 
« Des révolutionnaires sont postés partout dans Tripoli. Mais les forces de Kadhafi tentent de résister », a rapporté un responsable insurgé du nom d’Abdoulrahman.
 
« Il y a des coups de feu partout », a-t-il ajouté en notant que des chars opéraient près du port de Tripoli et dans le centre à proximité du QG de Bab al Aziziah. « Les tireurs isolés sont le principal problème. Il y a beaucoup de martyrs. »
 
L’Afrique du Sud, évoquée comme une destination possible du colonel Kadhafi, a fait savoir qu’elle ne cherchait pas à faciliter le départ du dirigeant libyen, inculpé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI).
 
La Turquie a estimé que la chute du régime kadhafiste aurait valeur d’exemple pour les chefs d’Etat de la région qui persistent à ignorer le besoin de changement de leurs peuples.
 
Dimanche soir, des milliers d’opposants avaient célébré les succès des rebelles à Tripoli sur la place Verte, qui a été le cadre de nombreuses manifestations pro-Kadhafi précédemment.
 
Voilà encore cinq mois, le « guide » libyen se préparait à écraser la rébellion à Benghazi en prévenant que ses forces seraient sans pitié. L’intervention aérienne de la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis les avait tenues en échec.
 
Préparé depuis des mois, le soulèvement de la capitale a été coordonné par des cellules de l’opposition sur place. Selon une source diplomatique à Paris, les cellules rebelles de Tripoli ont suivi des plans établis il y a des mois.
 
source : reuters