Ces derniers jours, un vif débat sur le tribalisme kabyè enflamme la toile.
Une boîte de Pandore est ainsi ouverte. Il faut solutionner définitivement le problème, afin d’éviter le lot de malheurs qu’il pourrait apporter au Togo.
Et comment ?
QUESTION OU QUESTIONS ?
Le tribalisme est une question à la fois anthropologique et géographique.
Anthropologique, car le terme fait référence à « une organisation sociale par tribus. »
Géographique, parce les tribus vivent sur un territoire commun qu’elles exploitent.
Les deux questions se rejoignent et posent la centrale : Comment s’organisent les tribus dans un espace commun ? Quels liens et comment les entretiennent-elles avec d’autres ?
Pour tenter d’y répondre, commençons par « tribu. »
Selon Larousse, la tribu est une « agglomération de familles vivant dans la même région, ou se déplaçant ensemble, ayant un système politique commun, des croyances religieuses et une langue commune, et tirant primitivement leur origine d’une même souche. »
En se référant aux anthropologues, chaque famille forme un « clan. »
Le clan appelle à une conscience collective.
La conscience collective veut tout simplement dire qu’on sait qui on est, à quelle communauté appartient-on, comment se soutient-on, se solidarise-t-on les uns des autres pour que chaque membre, mais aussi la collectivité arrive à s’épanouir pleinement.
On comprend vite dans ces différentes définitions qu’en Afrique, la tribu est la matrice sociale, culturelle, économique et politique.
Elle est finalement ce que nous sommes en tant qu’Africain, Togolais.
L’homme qui sait qui il est, sait aussi comment vivre et vivre ensemble avec les autres.
Comment vivre et vivre ensemble revient à comment organiser les affaires de la cité pour que chaque tribu, puisse d’abord développer sa conscience collective, renforcer son identité, exprimer son appartenance, mieux exploiter son territoire et échanger avec d’autres communautés, d’autres régions tout en minimisant les conflits « intertribaux. »
Les ancêtres du Togo ont été ingénieux dans le managérial sociétal et politique ; ils ont mis en place un système de gestion territoriale autonome.
Sachant que les territoires ne se valent pas en termes de richesse et afin de prévenir des convoitises, ont-ils développé différents échanges de solidarité inter-tribus.
Le tribalisme est donc plutôt une richesse de l’Afrique et c’est sur elle que le continent doit se baser pour développer un système politique stable.
Pourquoi n’y arrive-t-elle pas alors et le Togo aussi ?
QUESTIONS AUX PROBLÈMES
Le tribalisme qui est une valeur cardinale des peuples africains est devenu aujourd’hui un poison à sa cohésion sociale.
On parle ainsi de tribalisme au sens négatif, alors qu’il s’agit en réalité d’une manipulation tribale pensée et pratiquée par le pays colonisateur et spécialement la France.
LE TOGO : LE LABORATOIRE DE TOUTES LES MANIPULATIONS
L’histoire du Togo retrace trois dominations étrangères : allemande, française et anglaise.
La première a commencé géographiquement par la côte pour déboucher petit-à-petit sur
« l’Hinterland. »
Il devient logique que les tribus de la région maritime soient les plus acculturées (la conséquence sur l’identité, la conscience collective et la notion d’appartenance va être dommageable aux tribus Mina et Éwé.)
Les peuples du Nord sont au contraire, les moins touchés.
L’histoire du Togoland nous enseigne que les tribus Kabyè sont fortement attachées à leurs us et coutumes de telle sorte que les membres que les colons allemands ont fait venir au Sud, sont repartis à leur territoire du Nord.
Sur le chemin de retour, ils se sont rapidement débarrassés des accoutrements d’ailleurs bizarres que le maître colon leur font porter pour se revêtir des habits traditionnels faits de feuilles d’arbres.
Cette forte identité va être très bénéfique au peuple Kabyè dans leur épanouissement individuel et collectif.
La deuxième et troisième colonisations, c’est-à-dire celles française et anglaise vont être fatales aux différentes tribus du Togo.
D’un côté, le territoire a été divisé en deux.
De l’autre, le colon français a institué une vraie manipulation tribale pour monter politiquement les groupes ethniques les uns contre les autres.
En effet, la France observe que les anciennes colonies sont en train de lui échapper, à cause bien évidemment des mouvements d’indépendance.
Comme tout dominateur averti, il a bien étudié la configuration sociale, culturelle, économique et l’organisation politique des dominés.
Ayant compris que la force des Africains se trouve dans leur capacité à manager les différents groupes de façon autonome et en même temps de les faire vivre ensemble, la France théorise la division, la met en pratique et sème le chaos dans les relations tribales.
La porte d’entrée qu’elle trouve pour y parvenir est l’échelle d’acculturation des différentes tribus.
Elle a vite observé que les groupes qui sont les moins acculturés, les « moins civilisés » sont plus soudés au niveau identitaire que les groupes les plus acculturés.
Habilement, le colon monte les uns contre les autres, en faisant comprendre aux premiers (qui se trouvent aussi être minoritaires) que leur survie et leur développement se trouvent dans leur prise de pouvoir.
Ce schéma lui a bien réussi avec l’assassinat du président Sylvanus Olympio et la montée au trône de Feu Gnassingbé Eyadema.
Dans le processus de court-circuitage des indépendances, la France voit que les tribus fortement acculturées se désolidarisent les unes des autres mais se trahissent aussi, soutiennent les éléments de main qui sont en majorité issus des groupes les moins touchés par la colonisation.
La démarche réussit très bien de telle sorte que l’élite politique française la reproduit dans d’autres colonies.
Elle l’utilise d’ailleurs aujourd’hui le même procédé dans sa stratégie de « diviser pour régner. »
ASCENDANCE DE LA TRIBU KABYE
La tribu kabyè, moins acculturée a donc gardé une conscience collective, une identité et une notion d’appartenance fortes qui se sont rapidement traduites par une solidarité et une entraide sous le Président Feu Eyadema ; le « mendèfrèrisme » est ainsi né.
D’abord, le Timonier s’entoure d’une garde rapprochée originaire de son ethnie ; il y place naturellement sa totale confiance.
Ensuite, il amorce un processus d’acculturation occidentale contrôlée de sa tribu, mais aussi et ce dans une moindre mesure, des autres tribus du Nord par des promotions aux postes stratégiques.
Il introduit aussi habilement les dignitaires du Sud dans sa cour, sachant pertinemment que ces gens-là ont perdu toute notion d’appartenance à leur communauté et qu’ils lui feront allégeance.
Enfin, certains membres neutres Mina et Éwé qui occupent des positions fortes, n’agissent pas pour équilibrer le système.
PISTE DE SOLUTION
La position dominante de la communauté kabyè n’a finalement rien de tribaliste.
Elle est plutôt et définitivement la combinaison de différents éléments dont notamment la tribu comme référence d’un peuple et la conscience qu’elle ne survivra qu’avec la solidarité entre ses membres, la perte identitaire des autres tribus, la manipulation tribale du pays exploitant.
Au lieu de crier au loup, haro sur les Kabyè, les Togolais et les Africains doivent comprendre que c’est plutôt ce peuple qui reproduit en miniature et au mieux, l’organisation fonctionnelle adaptée à notre continent.
Le Togo et l’Afrique doivent en tirer toutes les bonnes leçons et se motiver à aller vers la territorialisation des tribus (aujourd’hui communautés ethniques ou région) ; en un mot, définir un système confédéral.
À titre d’exemple la Suisse, pays de quatre langues et de quatre tribus a trouvé son équilibre dans un système confédéral et cela marche !
Se O. Asafo