Après avoir travaillé dans les nonciatures les plus délicates de ces vingt dernières années, l’évêque d’Atakpamé préside depuis 2009 la Commission vérité, justice et réconciliation de son pays.
Le visage poupon de Mgr Nicodème Barrigah, sa silhouette humble et douce ne doivent pas tromper. L’évêque togolais n’est pas du genre à se laisser intimider. « Je suis né au hasard des mouvements migratoires de mes parents », précise-t-il, d’une voix toujours égale et souvent délicate. Né en 1963 au Burkina Faso, issu d’une famille nombreuse (six frères et une sœur), d’un père travaillant à la poste et d’une mère salariée d’une maison de commerce, le président de la Commission vérité, justice et réconciliation du Togo a appris très tôt l’art du vivre-ensemble.
Sa vocation religieuse ? Il l’a puisée dans son enfance : « J’ai toujours senti un appel pour la vie sacerdotale. » Mais pourquoi le catholicisme ? Un choix né d’un événement fondateur, à l’âge de 10 ans : « Nous habitions à Atakpamé. Un jeune garçon venait de mourir, frappé par la foudre. On soupçonnait, dans nos réalités mystérieuses africaines, qu’il avait été victime d’un maléfice. J’étais très impressionné. J’ai alors cherché un monde où l’on est entouré de frères qui ne nous veulent pas de mal. Cette quête d’une communauté idéale m’a conduit naturellement au catholicisme ! »
Il suit alors un parcours sans faute : petit séminaire de 1974 à 1981, grand séminaire de 1981 à 1987. Et à la fin de la scolarité, une question, brûlante : comment servir les autres ? « J’avais compris que cela ne passait pas par l’argent… Je cherchais une réponse plus fondamentale. En regardant tout ce que j’avais fait alors, j’ai compris que j’étais appelé à servir comme prêtre. » Après un bref ministère comme vicaire, il est envoyé par son évêque suivre des études à l’Académie pontificale de Rome. Un tremplin qui le projette dans le monde feutré de la diplomatie du Saint-Siège.
Un parcours peu commun
Ordonné en 1987, il est nommé secrétaire, puis conseiller de nonciature dans des pays frappés par les grandes tragédies contemporaines : le Rwanda (1997-2001), le Salvador (2001-2003), la Côte d’Ivoire (2003-2007) et Israël (2007-2008). Un parcours peu banal : « Au Rwanda, j’ai été chargé de suivre le procès d’un évêque qui, par la grâce de Dieu, a été acquitté ; à Jérusalem, je m’occupais des relations diplomatiques avec l’État d’Israël », se souvient-il.
Une expérience exceptionnelle de diplomatie en terres de feux. « Le Rwanda m’a frappé par la fragilité humaine : un pays majoritairement catholique qui a sombré dans une violence indescriptible et qui s’efforce de remonter de l’abîme. J’ai rencontré des hommes d’Église qui ont dû prendre des décisions sans en mesurer toutes les conséquences.
Je ne peux pas nier qu’il y ait eu des accointances et des connivences entre certains membres de l’Église rwandaise et le pouvoir qualifié de génocidaire. De là à dire que délibérément des prêtres et des religieux ont cherché à massacrer leurs frères et sœurs… je serais beaucoup plus réservé », ajoute le diplomate. « En Côte d’Ivoire, j’ai vu de près la crise avec la France. Nous sentions que tout était en place pour que le pays traverse une crise majeure ! »
Les profondes blessures des Togolais
De retour au Togo, il est nommé évêque en 2008. « Je ne maîtrisais pas la réalité de mon pays… puisque j’ai passé une grande partie de ma vie à l’étranger », confie-t-il. Le Togo qu’il découvre est encore blessé par la vague de violences de l’élection présidentielle d’avril 2005. À la suite de la crise, les acteurs politiques ont signé un accord global en vue de pacifier le pays.
Parmi les décisions prises, la création d’une Commission vérité, justice et réconciliation. « Interrogée, la population a souhaité que cette commission soit présidée par un religieux. La Conférence épiscopale du Togo a proposé mon nom. Il a été accepté par le président de la République, Faure Gnassingbé. » Et donc, après s’être plongé dans l’abîme rwandais, dans les tourments de la Côte d’Ivoire, dans la fournaise israélo-palestinienne, le voilà penché sur les plaies de la société togolaise.
Avec onze commissaires, il est chargé de faire la lumière sur les violences politiques depuis 1958… Un travail de bénédictin commencé en 2009 ! « Avec l’aide d’une centaine d’agents, nous avons recueilli, pendant plus de deux ans, les dépositions de ceux qui disent avoir souffert de violence politique, ou de ceux qui en ont commis. Nous avons enregistré 20 011 dépositions. Dans un deuxième temps, nous avons scanné, analysé, classé ces dépositions. »
« Une commission indépendante »
La commission s’est chargée, ensuite, de vérifier leur degré de véracité. Une large investigation dans les profondeurs de la mémoire sanglante du Togo. « À la fin du mois de juillet, nous allons commencer les auditions. Les victimes et les présumés coupables seront invités à raconter en public, à huis clos ou en privé, selon les cas, ce qu’ils ont vécu. Ensuite, la commission fera des recommandations quant aux réparations et aux condamnations. »
Sur ce dernier point, la feuille de route de la commission est très claire ! Le jour de son installation, le 29 mai 2009, le président Faure Gnassingbé avait affirmé avec force : « Je voudrais souligner que la commission est indépendante. Je voudrais préciser également que la commission n’est pas un tribunal. Elle n’a pas le pouvoir de juger qui que ce soit ; elle n’a pas le pouvoir d’amnistier qui que ce soit. »
A chacun ses responsabilités
Un moyen pratique pour le chef de l’État de garder la main sur cette tentative de réconciliation nationale : au cours des violences de 2005, le gouvernement actuel avait fait réprimer dans le sang les manifestations de ses opposants. « Dans un esprit d’indépendance, nous ferons nos recommandations. À chacun de prendre ses responsabilités », répond, serein, l’évêque d’Atakpamé.
Mais avant d’en arriver là, Mgr Barrigah se prépare au plus dur, dès le début des auditions : « Des noms vont être lancés sur la place publique… cela va être dangereux pour tout le monde : pour les membres de la commission, pour les témoins, les victimes… Je sais, d’expérience, de quoi sont capables certains. Pendant cette phase, tout peut arriver. Je me suis préparé à toute éventualité », achève-t-il, résolu.
LAURENT LARCHER
source: lacroix