La désespérance est à son paroxysme au sein de la jeunesse togolaise, pourtant  la construction de la nation de demain repose sur ses épaules. Mais cette jeunesse a l’impression que toutes les issues sont bloquées tant qu’elle ne s’engage pas politiquement au côté du président de la République. Résister c’est voir ses affaires péricliter ou soit contraint à l’exil.

Face à cette situation, et à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance du Togo, un jeune togolais, a interpelé le premier citoyen togolais, Faure Gnassingbé. Les mots sont bien choisis, ils donnent la chair de poule et décrivent bien ce que vivent les jeunes togolais qui n’ont pour seule ambition que de servir leur pays et contribuer à son développement sans parti pris.

Lire l’intégralité de la lettre adressée à Faure Gnassingbé

Monsieur le Président,

Je fais partie d’une génération de jeunes gens, qui ont compris que c’est seul par le travail et encore le travail galvanisé par un sens poussé de patriotisme, que nous pouvons contribuer à hisser haut le drapeau de notre nation dont vous êtes le président.

En ce jour où notre pays célèbre ses 62 bougies d’indépendances, j’ai bien souhaité vous adresser ses mots teints d’une grande émotion. Je vais oser parler au nom de notre génération, celle-là qui se bat pour ce pays.

Monsieur le Président,

Nous n’allons pas tout de suite jeter du dévolu sur vos initiatives. Nous osons croire que vous êtes assez responsable pour prendre conscience de cette lourde responsabilité qu’est de diriger toute une nation. Déjà chef d’une jeune entreprise, j’éprouve beaucoup de difficultés à conjuguer mes efforts pour mettre chacun dans un climat adéquat. Mais vous avez à diriger toute une machine d’entreprise, un pays.

Et justement, parlant d’entreprise, vous avez offert une grande plage aux jeunes afin qu’une bonne part des marchés leur soit accordée. Vous avez aussi entrepris des démarches pour faciliter la création des entreprises. De belles initiatives. C’est notamment grâce à cette réforme que j’ai pu créer mon entreprise en 2018.

Mais en fait Monsieur le président, l’objectif n’est pas la création d’une entreprise, mais la possibilité pour nous jeunes de vivre de notre entreprise afin de participer à l’essor du secteur privé, véritable catalyseur de l’économie d’un pays.

À ce jour, les jeunes avec qui je parle ne se retrouvent pas. Nous avons créé nos entreprises, mais nous avons le sentiment que nous aurions bien voulu postuler pour une offre d’emploi.

À moins que vos ministres vous cachent les réalités du terrain, nous avons vite compris aujourd’hui que pour réussir au Togo, il faut être membre de votre parti. Sous nos yeux, les entrepreneurs qui servent vos intérêts raflent les contrats. Des fois, ils nous sous-traitent et font savoir indirectement que nous n’aurons jamais l’opportunité de parvenir à être à leur niveau. Peut-être que ne vous le saviez pas, mais autour de vous, chacun tire le drap de son côté.

Monsieur le président,

Votre pays est encore lié au culte de la personne. Pour manger, nous devons faire allégeance. Pour être dans vos grâces, nous devons encore nous aligner et chanter vos initiatives. À la limite, il semble que nous devions vous vénérer.

Mais je ne pense pas que c’est votre vision pour ce pays. Vous ne voulez certainement pas laisser derrière vous une génération de gens qui ne pourront rien faire sans vous.

Nous, nous avons décidé de n’appartenir à aucune obédience politique, car notre constitution ne conditionne pas notre vocation à une appartenance politique, religieuse ou ethnique. Certains ont fini par s’aligner, à force de résister face à une machine plus grande et plus lourde que la puissance de leurs petits biceps.

C’est avec peine et le cœur gros que nous vivons ces heures de célébration. Certains aiment bien ce pays, mais ils l’aiment depuis d’autres pays car essoufflés sur leur terre natale. Chaque jour, des Togolais quittent ce pays. Pas plus tard que deux jours de cela, je lisais un post sur Facebook. Un jeune togolais vivant sûrement à l’étranger disait que les jeunes togolais réussissent mieux à l’extérieur que dans leur pays. Et un autre de renchérir qu’ailleurs, ils ont au moins droit à une sécurité sociale. Quand vous êtes jeune et vous entendez ces choses, vos amis qui exerçaient dans le même secteur d’activité que vous, partent, et réussissent mieux leur vie, vous avez le cœur froissé.

Je fais partie de ceux qui ont décidé de rester, tout en continuant d’y croire. Mais nous manquons de tout. Les comptes de nos entreprises n’existent que de nom, ils sont vides. Nous devons faire des prêts, des prêts ridicules allant de 2000 à 50.000 pour prendre soin de nos familles. Et pourtant, chaque jour nous partons au boulot le matin et ne rentrons qu’à la nuit tombante. Je doute fort que vos enfants et nos enfants aient les mêmes défis à relever. Jamais ils n’iront à l’école à pied, ils iront dans les pays de leur rêve pour les vacances. Et s’ils tombent malades, un docteur est dépêché à leur chevet, mais les nôtres peuvent mourir pour les besoins ridicules.

Monsieur le Président,

Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Avons-nous mal fait de vouloir rester au pays pour croire en un Togo meilleur ? Les Togolais ont-ils mal fait de vous faire confiance ? Pourquoi la balance sociale est elle aussi déséquilibrée ?

En lisant ses mots, je sais que mes amis vont m’écrire ‘’inbox’’ pour me prévenir du danger qui pourrait me guetter. Eh oui, les Togolais ont désormais peur de vous interpeller. Dans les groupes WhatsApp, ceux qui osent vous critiquer à dessein sont répertoriés. S’ils osent poser une demande plus tard, on leur rappellera qu’ils avaient manqué un jour l’occasion de se taire.

Monsieur le Président,

Le silence autour de vous est le signe de personnes qui agonisent, mais ont peur de crier de peur qu’on vienne les punir. Vos concitoyens sont aujourd’hui des gens résignés. Nous sommes vides. Nous faisons corps avec la dépression, et ce, chaque minute qui passe. Non, les Togolais ne sont pas heureux. Ce n’est pas une questionne partisane. Nous ne sommes ni contre votre défunt père, ni contre votre parti. Nous sommes justes des Togolais qui veulent que leur président écoute et analyse ce que lui dit son peuple, ces gens responsables, travailleurs ; déterminés, qui ont refusé de quitter le Togo malgré les opportunités et qui demandent une équité. Nous voulons vraiment être fiers de ce pays, fière de vous.

Mais à l’heure où j’écris ces mots, il n’y a aucune joie dans mon cœur. À part les quelques drapeaux qui jonchent les artères de la ville, personne n’a arboré à domicile des tenues aux couleurs du drapeau togolais, il n’y a aucune réjouissance dans les ménages. La priorité n’est plus une indépendance, mais la survie.

Ce soir en jubilant au buffet de l’indépendance avec vos ministres, le corps diplomatique et vos amis, Monsieur le Président, sachez que beaucoup de Togolais vont encore mourir de faim.

Je ne sais pas si ces mots peuvent vous atteindre, mais c’est une expression de désolation réelle partagée des gens qui vont le lire.

Bonne fête à vous, Monsieur le Président.

Espoir Agbogan, citoyen togolais.

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