Les 10 et 12 janvier 2013, les villes de Kara et de Lomé ont vu leurs grands marchés emportés par de terribles incendies aux origines criminelles. Un acte infâme, démoniaque jamais connu dans l’histoire du Togo.
 
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Au lendemain de ces effroyables incendies, le pouvoir en place s’est précipité de pointer le doigt accusateur sur l’opposition, notamment les responsables du CST dont plusieurs cadres et militants ont été immédiatement mis aux arrêts. De ces détentions arbitraires dans des conditions inhumaines, l’un des prévenus, notamment le sieur Kodjo Etienne Yakanou y a laissé sa vie dans des conditions non encore élucidées. Plus de trois ans après ces incendies criminels qui ont appauvri les opérateurs économiques particulièrement les femmes du grand marché de Lomé, les Togolais veulent savoir qui sont les véritables auteurs.
 
Une ordonnance définitive de non-lieu partiel, de requalification et de transmission de pièces à monsieur le Procureur général près la Cour d’Appel de Lomé a été rendue. Cette ordonnance en date du 9 mai et signée du Doyen des juges d’instruction du Tribunal de Première instance de Première classe de Lomé, Idrissou Sahidou Tchagba dont L’Alternative a eu copie, renseigne davantage sur les mensonges, les montages grotesques du régime et un simulacre de procès envisagé. Tout comme dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé, le scénario est assez bien planifié, les supposés aveux bien établis, bref un montage parfait pour démontrer à la face du monde que ce sont les responsables du CST qui sont les auteurs et les commanditaires de ces incendies criminels. Analyse de fond.
 
Sur le non-lieu
 
« Attendu par contre que l’information n’a pas permis de mettre en exergue un quelconque acte matériel de la participation, des inculpés Loma Essohana, Panakina Kodjovi, Tchisse Kokoutsè Eklou, Kodjo Messan Agbeyomé, Dogbevi-Nukafu Suzanne, Bode Tchagnao, Aziadouvo Zeus Komi, Kpande-Adzaré Nyama Raphaél, Afangbedji Kossi Jil-Bénoit, Kaboua Essokoyo dit Abass, Dupuy Eric Théophile, Ameganvi Henri Claude Kokouvi, Amevo Yaovi, Athiley Ayaovi Anani Apolinaire, Akpovi Tairou, Ametepe Kossi John Fofo, Akakpo Dodji, comme auteurs ou complices ; qu’il ne résulte donc pas charges suffisantes contre eux d’avoir commis les crimes de groupement de malfaiteurs et complicité de destruction volontaires », plus loin, « vu l’article 148 et 150 du Code de procédure pénale, disons n’ y avoir lieu à suivre contre les susnommés de ces chefs. En conséquence, ordonnons la levée des mesures de contrôle judicaire qui leur sont imposées à compter de ce jour », lit-on. Ainsi donc après plusieurs mois de détention arbitraire dans des conditions suffisamment effroyables pour certains suscités, voilà le Doyen des juges qui estiment que les charges ne sont pas suffisantes contre ces personnes. Même si un jour l’insuffisance de charge peut être revue par le juge qui pourra évoquer l’apparition de nouveaux éléments qui pourraient conduire à une ré-inculpation des nommés.
 
Sur l’incendie du marché de Kara
 
C’est le 10 janvier 2012 que le marché de Kara a pris feu. Cinq (5) suspects ont été immédiatement interpellés à la suite de cet incendie. Il s’agit de : Tchangai Aledi, gardien au marché de Kara; Kamingh Piabalo demeurant à Kara; Napo Tchein demeurant à Kara, Naboudja Bouraima, enseignant à CREFTP-Kara; et Napo Tchin, Chef division de la Définition du Contrôle et de l’Evaluation au Conseil Supérieur de l’Enseignement Technique demeurant à Kara. Tous ont été inculpés de complicité de destructions volontaires par incendie ou explosifs. Les faits décrits dans l’ordonnance du Doyen des juges montrent à suffisance que dans le cas du marché de Kara, le montage n’a pas réellement été parfait.
 
Extrait : « Par arrêt N° 026/13 du 20 mai 2013, de la Chambre Judiciaire de la Cour suprême, le dessaisissement du Juge d’instruction du Tribunal de première instance de deuxième classe de Kara a été ordonné au profit de notre cabinet. C’est ainsi que la jonction des deux procédures est intervenue le 11 octobre 2013. Attendu d’une part que les nommés Tchangai Alédi, Napo Tchein, Naboudja Bouraima, Napo Tchin et Kamingh Piabalo ont été inculpés de complicité de destructions volontaires du grand marché de Kara.
 
Attendu qu’aussi bien en enquête préliminaire que devant nous, les inculpés susnommés ont déclaré ne pas reconnaitre les faits qui leur sont reprochés ; que l’information n’a pas permis de mettre en exergue un quelconque acte matériel de leur participation comme auteurs ou complices des faits. Que s’agissant particulièrement de l’inculpé Napo Tchin, celui-ci a été tout simplement confondu avec l’inculpé Napo Tchein, qu’il suit que les charges n’existaient pas à son égard et paraissent insuffisantes à l’égard de ses coinculpés ».
 
On peut aisément constater à travers cet extrait, qui en dit long sur la légèreté de cette soi-disant enquête, que le Doyen des juges déclare lui-même qu’il y a eu une confusion entre le sieur Napo Tchin et Napo Tchein. Et pourtant les deux personnes qui n’ont pas le même âge, le même visage, la même profession, le même domicile ont été appréhendées et détenues durant plusieurs mois à la prison civile de Kara et y ont été soumises à des actes de torture.
 
Le sieur Napo Tchein, agé de 32 ans, est né le 02 février 1981 à Kantè, sans profession fixe, demeure à Kara-Sud, célibataire sans enfant. Il a été détenu suivant le mandat de dépôt en date du 31 janvier 2013 et libéré provisoirement le 18 avril 2014, soit 13 mois de détention. Napo Tchin, lui, est âgé de 43 ans. Né le 18 décembre 1970, il est domicilié à Lomé, et est Chef de Division de la Définition du Contrôle et de l’évaluation au conseil de l’Enseignement technique. Il a été détenu suivant mandat de dépôt en date du 21 février 2013 et libéré provisoirement le 29 mars 2013.
 
Plus loin, les cinq (5) inculpés de l’incendie du marché de Kara de complicité de destructions volontaires par incendie ou explosifs sont tous disculpés par l’ordonnance du Doyen des juges. Maintenant que les supposés complices sont innocentés pour insuffisance de charges, qui sont alors les auteurs? Il ne peut y avoir de complices sans auteurs principaux. L’ordonnance gagnerait en crédibilité en mentionnant les noms des auteurs de l’incendie du marché de Kara. A ce stade, on peut déduire que l’acte criminel qui a frappé le marché de cette ville n’a ni auteurs ni complices. C’est bien drôle et curieux pour une enquête judiciaire.
 
Sur les cas Ata Messan Ajavon Zeus et Jean-Pierre Fabre
 
L’ordonnance décline leurs rôles commet suit : « Que l’inculpé Ajavon Ata Messan Zeus qui nie les faits et fait diversion en prétendant connaitre les vrais auteurs des incendies donne la preuve de sa mauvaise foi et ne saurait convaincre dès lors qu’il est le coordinateur du CST ( au sein duquel les crimes ont été planifiés) et qui a fait, en cette qualité, mobiliser les cotisations ayant servi à l’exécution des incendies. Attendu que s’agissant de l’inculpé Fabre Jean-Pierre, il soutient qu’il n’est mêlé en rien, malgré les diverses réunions qui ont lieu au siège de l’ANC dont il est le premier responsable, réunions au cours desquelles des préparations spirituelles ont été faites et des rôles repartis à des groupes de jeunes constitués préalablement pour la perpétration des faits incriminés ; qu’au cours d’une perquisition effectuée au siège de l’ANC, des cocktails molotov ont été découverts, confirmant ainsi les propos des inculpés Loum Mohamed et Amavi Komlan dit Séna selon lesquels ce matériel était destiné ou avait servi à déclencher les incendies ; qu’à la question de savoir s’il était au courant de la tenue de ces réunions et des constitutions de groupes de jeunes, l’inculpé a donné une réponse évasive qui est loin de convaincre, que mieux, l’inculpé Amavi Komlan dit Séna a affirmé devant nous que c’est dans son bureau que des jeunes ont été reçus par le charlatan pour les préparations mystiques ; qu’il est dès lors indéniable que le siège du parti politique ANC a servi de cadre de planification et de préparation des actes de destructions volontaires des biens publics et privés objet des présentes poursuites, et que l’inculpé Fabre Jean- Pierre qui a reconnu que les comptes rendus de toutes les réunions qui se tenaient dans le cadre des programmes du CST lui étaient régulièrement faits, ne pouvait ignorer la tenue de ces importantes réunions et l’accomplissement de ces nombreux actes graves au siège du parti politique ANC dont il est le premier responsable, qu’il est donc établi que l’inculpé Fabre Jean Pierre a participé à la planification des crimes dont il s’agit et a également offert le siège de son parti politique ainsi que son bureau pour la préparation de ces crimes ». Assez cocasse n’est-ce pas ?
 
Ainsi Zeus Ajavon est devenu un tontinier qui a mobilisé les fonds ayant servi à l’exécution des crimes. Seulement, le fameux Doyen des juges ne dit pas s’il a mobilisé ces fonds de maison en maison, par Western Union et ou par téléphone. Et pourtant dans l’enquête de moralité joint au dossier, Zeus Ajavon est décrit comme un homme humble, pacifique, de bonne moralité qui fréquente des personnes respectables. Comment quelqu’un qui présente un tel profil peut-il subitement devenir un criminel ? Quant à Jean-Pierre Fabre, il est devenu le copain des charlatans et marabouts au point d’offrir le bureau de son siège à des pratiques mystiques. Sacramento ! Alors, qui sont ces fameux marabouts et charlatans dont pas un seul n’est sous les verrous ? Doit-on croire qu’ils ont disparu mystiquement dans la nature si on doit s’en tenir aux propos d’un ministre ?
 
Simulacre de procès en vue, condamnation des responsables politiques, dissolution de l’ANC envisagée
 
A l’image de Mohamed Loum qui s’est rétracté à plusieurs reprises, dénonçant son instrumentalisation par certaines personnes du régime sur fond de promesses, les supposés faits compilés dans cette fameuse ordonnance avec des soi-disant aveux des inculpés ne sont que le résultat d’une vaste opération de manipulation. Mohamed Loum en est une illustration et les autres ne le sont pas moins. Selon des informations de bonne source, le dossier sera transmis aux assises. Le plan envisagé serait un simulacre de procès qui aboutirait à la condamnation des inculpés, notamment les responsables politiques à de lourdes peines. L’ANC qu’on dit avoir prêté son siège à des réunions de groupement de malfaiteurs sera accusé de violer la charte des partis politique et dissous.
 
Devant la presse hier, Zeus Ajavon et Jean-Pierre Fabre ont dénoncé le plan machiavélique du pouvoir, les mensonges contenus dans ce document. « Le texte dit que j’ai tout planifié au siège de l’ANC dans mon bureau. Un bureau qui n’existe pas. On dit que j’ai reçu des journalistes dans mon bureau au siège de l’ANC, alors que je n’ai pas de bureau là-bas. Si j’en avais, personne n’y rentrerait à mon absence », a déclaré Fabre lors de la conférence de presse avant de se poser la question sur le sort réservé au rapport sur les incendies par les experts français qui ont évoqué le kérosène comme étant le combustible qui a servi à déclencher l’acte criminel. Le plan de Faure Gnassingbé et ses amis est désormais connu, reste à savoir comment l’opposition, du moins ceux qui sont indexés dans ce dossier aux contours flous et sombres vont se prendre.
 
Source : [20/05/2016] L’Alternative N° 524
 



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