Des procès-verbaux bancals qui condamnent des prévenus, des magistrats qui se dévêtent de la toge pour décider unilatéralement de la vie de citoyens sans discernement, le Togo en regorge. Et dans ce cas, c’est la liberté des justiciables qui s’en trouve restreinte.
 
Source :  Photo | La Nouvelle
Source : Photo | La Nouvelle


Comme le cas de Gakli Franck, ce citoyen ghanéen qui, venu de lui-même au commissariat de Sagbado en décembre 2013 déclarer la perte de son véhicule qu’il aurait remis à son garagiste pour réparation, est depuis déposé à la prison civile de Lomé, accusé d’avoir transporté 352 kilogrammes de cannabis dans son véhicule qu’il aurait abandonné à la frontière dans les environs de Ségbé.
 
Décembre 2013, frontière Togo-Ghana dans les environs de Ségbé, deux individus à bord d’une voiture BMW abandonnaient leur véhicule et prenaient la clé des champs lorsque les garde-frontières les surprirent. A l’intérieur, on aurait découvert 352 kilos de cannabis. Quelques jours plus tard, le nommé Gakli Franck, accompagné d’un ami, se serait rendu à la brigade de Ségbé pour déclarer la perte de son véhicule BMW, mais la brigade les aurait redirigés vers le commissariat de Sagbado. Là-bas, on les aurait fait attendre si longtemps sur le banc au point que, sentant la faim, Gakli Franck se serait levé pour se trouver quelque chose à manger. Mais contre toute attente, les policiers l’arrêtent et, après l’avoir auditionné, décidèrent de le déposer à la prison civile de Lomé. Telle est la version ramassée d’une source proche du dossier. Mais la réalité se trouverait ailleurs.
 
Selon l’inculpé qui est Ghanéen d’origine, il a l’habitude de faire réparer sa voiture auprès d’un garagiste, et parce qu’il ne pouvait pas voyager avec à cause d’une panne, il la lui avait ramenée. Mais celui-ci, après l’avoir réparée, s’en serait servi pour son usage personnel, et c’est certainement lui et un autre qui seraient au volant lorsque l’arrestation aurait eu lieu. Du fait que le garagiste était devenu inaccessible, Gakli Franck s’était déplacé pour voir l’état de son véhicule qui était invisible dans le garage, de même que le réparateur. Cette situation l’a décidé à alerter la brigade qui l’a redirigé vers le commissariat de Sagbado. Et pour ceux qui connaissent le peu d’empressement dont font montre des policiers pour de simples déclarations de perte, ceux-ci auraient fait attendre M. Gakli Franck et son accompagnateur des heures durant, sans donner l’impression de s’occuper de leur cas.
 
Le Procureur de la République a-t-il tenu compte des éléments produits par l’inculpé ? Les policiers ont-ils été fidèles dans la rédaction du procès-verbal ? L’inculpé a-t-il bénéficié de l’assistance d’un avocat ? M. Gakli Franck oserait-il se mettre à la recherche de son véhicule à la brigade puis au commissariat s’il était véritablement celui qui était au volant au moment de l’arraisonnement du véhicule ? Autant d’interrogations qui jettent d’énormes soupçons sur la suite de la procédure. Il n’est pas inutile de relever que ni les juges, ni l’inculpé lui-même n’ont pas vu la cargaison de 352 kilos de cannabis qu’on dit avoir découverte dans le véhicule. Curieux !
 
Ainsi, le 16 janvier 2014, un réquisitoire introductif a été dressé par le parquet pour confirmer les « soupçons » des enquêteurs qui trouvent que Gakli Franck serait la personne au volant au moment des faits, sans tenir compte du fait que c’est lui-même qui s’était présenté au commissariat, ni que le garagiste est porté disparu depuis. Drôle d’enquêtes à la togolaise.
 
Le prévenu a sollicité une liberté provisoire, en attendant l’audience, étant entendu qu’au Togo, on sait quand et comment on peut être déposé à la prison, mais jamais quand et comment précipiter l’audience de jugement. C’est ainsi que M. Gakli Franck a sollicité une libération provisoire. Le Parquet a répondu favorablement, mais en fixant la caution à…10 millions de FCFA pour sa représentation! Cette somme correspond-elle au crime ? Dans un arrêt rendu par la Chambre d’accusation le 17 juin 2015, cette caution est divisée par deux.
 
Et même avec cette somme, un haut cadre de la justice trouve que c’est trop. « Vous savez, le cannabis est une drogue douce qui est légale aux Pays-Bas, ce qui veut dire qu’il y aura toujours des gens cherchant à l’exporter vers ce pays. Et pour 352 kilos de cannabis, exiger 5 millions de caution, c’est trop ; normalement, même 1 million devrait suffire, surtout que la culpabilité du prévenu n’est pas établie », explique-t-il.
 
Mais depuis, le prévenu n’a pas recouvré sa liberté, n’ayant pas les moyens de payer la caution ramenée à 5 millions. Ce qui devrait remettre les enquêteurs en selle pour rechercher le garagiste en fuite à ce jour et qui devrait constituer une preuve de plus que l’homme ne serait pas la personne à rechercher, sinon il aurait rassemblé cette caution et confirmé aux enquêteurs qu’il est bien le coupable. Et c’est ici que l’entrée en scène du ministre de la Justice doit s’avérer judicieuse, au risque de voir cette affaire passée par pertes et profits.
 
En effet, ce sont des hommes qui disent le droit, et cette affaire risque de se terminer par une culpabilité « imposée » du prévenu. Trente-six mois que M. Gakli qui serait un élu local de l’autre côté de la frontière est détenu à la prison civile de Lomé. A quand son procès ? Seuls les dieux le savent. Et il est fort à craindre que la justice togolaise fasse en sorte que cet homme soit reconnu coupable, une manière de se soustraire à des poursuites de sa part auprès d’instances supranationales. Car, trente-six mois – et certainement plus – pour s’entendre déclarer qu’on n’avait rien à voir dans une affaire de trafic de cannabis, ce peut être suffisant pour exiger des dédommagements. Et ça, le Parquet n’en voudrait pas, étant le prolongement de l’exécutif au sein du judiciaire. Donc on voit mal cette justice-là prononcer l’innocence du citoyen ghanéen, bien que les faits obligent à reconnaître une procédure viciée.
 
Un procureur s’est demandé pourquoi le juge d’instruction en charge de l’affaire ne renvoie pas l’affaire en audience en urgence pour situer le prévenu. Question à laquelle l’Inspecteur général des services judiciaires et pénitentiaires devrait apporter une réponse, étant donné qu’il maîtrise mieux que quiconque les arcanes du droit en général et du droit pénal en particulier. Et quand ce procureur relève : « La pratique est connue dans les affaires de drogues ; chacun en tire profit et une fois la caution déposée et le prévenu libéré, on n’en parle plus jusqu’à la saint glin-glin ». D’où l’obligation de l’Inspecteur général de démentir les propos de ce procureur au moins.
 
Même si la caution judiciaire pénale sert à garantir le paiement des réparations civiles et des frais de justice ou la représentation de l’inculpé, il semble que la caution exigée dans le cas de Gakli Franck ne soit pas adaptée à ses ressources, contrairement à la décision de la Cour de cassation de la Chambre criminelle du 4 novembre 2008. Les juristes comprendront.
 
En rappel, Gakli Franck serait un élu dans Ketu-South Volta Region au Ghana, représentant de Kpodzi-Agbogbome dans Ketu-South Municipal Assembly. L’Ambassade du Ghana au Togo a-t-il été informé de la situation ?
 
Source : [06/06/2016] Abbé Faria, Liberté n°2208
 




 

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here