. Un écart considérable entre les dimensions de CECO et celles des Chinois
. Où sont passés les 30 milliards de prêts contractés auprès d’Eximbank ?
Le bitumage de la route Lomé-Vogan-Anfoin aura été l’un des scandales financiers majeurs qui a éclaboussé le pouvoir de Faure Gnassingbé impliquant de hautes personnalités de la République. Lancés en 2014, les travaux de construction de cette route, longue de 61 km, peinent à aboutir. Après la parenthèse CECO, les Togolais et surtout les usagers de cette route ont repris espoir avec la supposée reprise des travaux par les Chinois de China Road and Bridge Corporation (CRBC). Seulement, bientôt 4 ans que les travaux piétinent. La route peine à prendre forme. Elle présente d’ailleurs actuellement un design unique. Une vraie « chinoiserie » qui ne dit pas son nom. Un tour sur cette voie nous a permis de constater l’autre scandale qui se joue sur cette route, qui paraît subir un mauvais sort…
L’état actuel de la route
Le scandale de la route Lomé-Vogan-Anfoin est toujours vivant dans les esprits des Togolais. Les usagers de cette route le vivent au quotidien. Si aujourd’hui le tronçon Collège Saint Joseph-passage à niveau de Kégué semble plus ou moins praticable, c’est moins le cas à partir de là jusqu’à Vogan. La route présente une curieuse morphologie. Le triste constat est que la nouvelle société qui se charge de la poursuite des travaux, China Road and Bridge Corporation, ne fonctionne manifestement pas avec les dimensions tracées par CECO.
Désormais, on peut dire que la route Lomé-Vogan-Anfoin ou route CECO-Gnofam-Ayassor est une route « multidimensionnelle » et « multicolore ». À plusieurs endroits, la route a été considérablement réduite à telle enseigne que les Chinois ne travaillent que sur la vieille route avant même les travaux de CECO.
Le premier constat effectué sur la nouvelle route, au-delà de son caractère zigzag, c’est qu’il n y a pratiquement plus de rigole. « Nous ne comprenons pas ce que font véritablement les gens-là sur cette route. Ils semblent abandonner les caniveaux alors que ceux qui faisaient les travaux avant avaient déjà tout tracé », s’étonne un jeune homme habitant Klobatèmé, peu après Kégué. Effectivement dans ce petit village, la situation est assez critique, surtout en cette période de pluie. A ce niveau, les rigoles creusées par CECO ont été simplement fermées par qui, l’on ne saurait dire. Certains riverains ont d’ailleurs érigé des boutiques et même des maisons qui ont débouché sur les rigoles.
Le design (la forme) de la nouvelle route est assez particulier. On dirait que les Chinois n’ont pas la notion de dimension ou carrément ils sont restés fidèles à leur règle légendaire : « petit argent, petits travaux ». Sinon, ce qui se joue sur cette route est assez invraisemblable. Les parties que la CRBC a bitumées n’ont pas de rigole. Pire, ils ont avalé par endroit, de 8 à 10 mètres de la route. Pour se rendre de l’évidence, nous avions pris le soin d’en mesurer certaines parties.
Le pont qui est à l’entrée du village de Klobatémé a été finalement fait, mais il est considérablement réduit par rapport à la largeur à la dimension de la route à ce niveau.
Par exemple, les Chinois ont fait parler leur génie au niveau de Djagblé où ils ont réduit la voie du côté gauche pour l’ouvrir un peu vers la droite.
A Avéta, un autre village situé sur cette route, le constat est pratiquement le même. La route est tellement réduite qu’il est difficile pour les usagers de se frayer un chemin. Malgré cela, la Police a encore cru bon d’installer un check point au niveau du marché de cette localité rendant encore plus pénible la circulation.
A la sortie de la ville de Vogan en allant à Anfoin, la route s’est formidablement rétrécie. Il serait difficile à deux gros véhicules de faire un dépassement sur cette voie.
Une situation qui a ému le Pasteur Edoh Komi, président du Mouvement Martin Luther King – La Voix des Sans Voix, qui a adressé le 09 mars 2020 une lettre à la ministre des Infrastructures et des Transports, Mme Zouréhatou Kassah-Traoré. « Les travaux d’aménagement de la route Lomé-Vogan-Anfoin (Nationale N°34) longtemps abandonnée pour cause de mauvaise gouvernance et de retro-commision ont été repris par la société chinoise CRBC il y a quelques mois (années NDLR). Si cette reprise est saluée par tous connaissant les dégâts causés par le long abandon de cette route, il y a aussi souci de se préoccuper de la forme des travaux notamment la disposition des caniveaux et des ponceaux qui semblent ne pas correspondre à la nature de cette voie souvent utilisée par les gros porteurs de la Société nationale des phosphates du Togo (SNPT). L’autre aspect qui nous intéresse concerne les dimensions qui séparent chacune des voies (la route étant à double voies). Une analyse minutieuse prouve que les dimensions sont trop réduites et restreintes par rapport à la modernisation de notre époque où nous nous projetons dans le futur lointain pour la durabilité des travaux. Nous doutons de l’effectivité des dimensions sur le terrain par rapport à celles conçues initialement dans le cahier des charges. Le contrôle citoyen des actions publiques étant notre devoir, nous venons vous prier de mettre à notre disposition le contrat relatif aux travaux de réhabilitation de cette voie », a-t-il écrit. Mais Mme Zouréhatou Kassah-Traoré qui était la patronne de la Direction nationale du contrôle des marchés publics (DNCMP) au moment des nombreux scandales ayant touché le secteur des travaux publics, n’a pas daigné répondre au Mouvement Martin Luther King.
Une route pratiquement impraticable
Les riverains et les usagers de cette route continuent de payer le lourd tribut par rapport aux « hésitations » des autorités sur ce chantier prévu pour durer quelques mois. C’est de l’amertume qu’on lit sur les visages. Régulièrement, des cas d’accident sont signalés sur cette route. Pas par la faute des usagers, mais beaucoup plus par l’état de la route. « Cette route, nous ne savons pas en quelle année les travaux vont finir, mais ce qu’on vit quotidiennement ici est révoltant. Il faut dire qu’il y a quelques parties qui sont acceptables, mais la majeure partie présente un aspect déplorable. Le côté qui nous fait peur davantage, c’est au niveau des caniveaux. Une si grande route sans caniveau, c’est bonjour les dégâts. L’attitude des Chinois est très incompréhensible. L’on ne sait pas si c’est de leur faute ou celle du gouvernement. Mais quel qu’en soient les cas, ils devront faire un travail potable. Ce qu’ils sont en train de faire, est assez médiocre et cela n’honore pas le pays », affirme un riverain qui, pour rentrer chez lui, a mis une planche sur la rigole creusée par CECO et abandonnée par les Chinois.
Pour les usagers de cette route, c’est un perpétuel chemin de croix. Ils sont obligés de faire des acrobaties pour pouvoir s’en sortir. Mais là aussi, c’est avec tous les risques possibles. « Nous sommes obligés de faire des gymnastiques tous les jours que le bon Dieu fait lorsque nous empruntons cette route. Il faut être extrêmement vigilant, car l’on ne sait plus pratiquement où se trouve la route principale. Tu peux être sur une portion goudronnée et tomber subitement sur une portion non bitumée ou carrément tu tombes dans un trou. Certains par manque d’attention ont fini dans les ravins. C’est très inquiétant et vous nous offrez une opportunité pour interpeller des décideurs. Cette route souffre trop et il est peut-être temps qu’on trouve une solution définitive. Sinon les travaux des Chinois-là, c’est du blaguer-tuer », ironise un Taximan.
De Hahotoé à Anfoin en passant par Akoumapé et les autres villages, les nombreuses déviations constituent un chemin de croix pour les populations. « Pendant la saison sèche, nous avons humé beaucoup de poussière, se plaint un conducteur de taxi-moto à Akoumapé. Les Chinois n’avaient pas l’habitude d’arroser ces déviations pour les rendre moins poussiéreuses. C’était pénible avec les gros porteurs et autres engins de la SNPT. Même si la poussière a un peu disparu avec la survenue des pluies, les trous remplis d’eau rendent impraticables ces déviations. Beaucoup d’usagers s’embourbent et les accidents se multiplient aussi ».
Un scandale qui en cache un autre
Pendant qu’il est toujours à la tête du gouvernement, profitant de l’Etat d’urgence sanitaire, il est peut-être opportun que les Togolais demandent des comptes à Selom Klassou, à défaut de son chef. En effet, en décembre 2016, il s’est pointé sur ce chantier qui venait d’être repris par les Chinois suite à un prêt de 30 milliards de francs CFA contracté auprès d’Eximbank en Chine. A l’époque après son « One man show », il avait appelé le bureau de contrôle à jouer sa partition de sorte que la qualité y soit. Par ailleurs, M. Klassou avait estimé qu’il y aurait des comptes à rendre si jamais il y avait des défaillances notoires dans l’exécution des travaux de la route. « Nous sommes venus voir comment la nouvelle entreprise a commencé les travaux. Nous avons également donné les instructions nécessaires au respect du délai afin de permettre à nos populations de retrouver l’usage aisé de cette route vitale pour notre pays. Cette route relie des zones avec beaucoup de ressources agricoles et minières. Le souci du chef de l’Etat est que cette route soit aménagée dans les normes requises. Nous encourageons à cet effet l’entreprise chinoise, mais aussi et surtout le bureau de contrôle qui doit jouer sa partition. Car il y aura des comptes à rendre s’il y a défaillance notoire dans l’exécution de ces travaux », avait-il laissé entendre.
Pour M. Tao, le premier responsable de l’entreprise chinoise qui exécute le marché, la première étape des travaux consiste à réparer la route et à finaliser les travaux qui étaient déjà en cours afin de faciliter le passage aux usagers. La seconde étape consistera à la réalisation complète du projet prévu sur 2 ans et demi. Quant au responsable du bureau de contrôle « Top Ingénierie », Banakinao Sinko, il avait pour sa part rassuré que la réalisation section par section, en commençant par les tronçons les plus urgents, permettra de tenir dans le délai.
Initialement confiés à CECO, les travaux de réhabilitation de cette route dont le financement était de 37 milliards CFA, n’ont pas pu aboutir. Les rétro-commissions avaient eu raison de cette route. « CECOGROUP : La victime-coupable de l’impossible bitumage de la route Lomé-Vogan-Anfoin. Pour un chantier de 26 milliards, les ministres AYASSOR et GNOFAM ont encaissé une retro-commission de 10 milliards », avait titré « Le Rendez-vous N°259 du jeudi 17 Septembre 2015. Liberté N°2032 du lundi 21 Septembre 2015 y avait remis une couche avec le titre : « Crime économique contre la voie Lomé-Vogan-Anfoin : Une méga commission de 10 milliards sur un marché de 26 milliards à l’origine du retard des travaux. Ninsao Gnofam, Adji Otèth Ayassor et un 3ème larron sont les retro-commissionnaires ». Suite à la publication de ces articles, les directeurs des deux journaux avaient été longuement auditionnés à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) avant d’être présentés au doyen des juges d’instruction qui les avait inculpés pour « diffamation » et « publication de fausses informations ». Une plainte déposée par les deux ministres qui, en même temps, avaient saisi la HAAC. Mais comme on ne peut pas cacher le soleil avec la main, les faits finiront par donner raison aux deux journaux. Les 26 milliards débloqués s’étaient évaporés et les travaux n’avaient jamais repris. Et répondant plus tard aux questions des députés, le ministre des Infrastructures et des Transports, Ninsao Gnofam, avait déclaré : « Le coût du projet, c’est 37 milliards, 26 milliards ont été débloqués, donc ça veut dire qu’il reste 11 milliards à débloquer. Donc les dispositions sont prises pour permettre à l’entreprise de reprendre rapidement les travaux […] Des 26 milliards débloqués, l’entreprise a utilisé une partie des fonds pour s’équiper ». Le chef-comptable de CECO avait donc parlé ! Chose curieuse, c’est le même ministre qui était aux affaires avant que la société chinoise ne reprenne le marché et qui, dans une interview accordée à la radio Pyramide FM le 17 juillet 2017, avait annoncé que la China Road and Bridge Corporation avait « en principe 24 mois » pour boucler les travaux.
Seulement, plus de trois ans après les litanies de bonnes intentions, rien de concret sur le terrain. Les travaux se déroulent dans un cafouillage indigeste. Tantôt ils sont arrêtés, tantôt ils reprennent par endroits et dans ces conditions, rien n’avance. Il est peut-être temps que ce dossier revienne au-devant de la scène pour que les acteurs impliqués puissent répondre. Mais il est légitime de se demander : où sont donc passés les 30 milliards des Chinois ?
Shalom Ametokpo
Source Liberté