Harare (Zimbabwe), le 18 avril 2017. Le très autoritaire président Robert Mugabe a donné à sa femme Grace un tel pouvoir qu’elle est soupçonnée de vouloir éliminer les uns après les autres les successeurs de son mari qui pourraient lui faire de l’ombre. AFP / Jekesai Njikizana


Il a résisté à diverses contestations depuis sa prise de pouvoir en 1980. Ce sont finalement les ambitions et les excès de sa femme, Grace, qui ont mis en péril l’autorité du tout-puissant et autoritaire Robert Mugabe.
 
L’irruption de l’armée sur la scène politique zimbabwéenne est inédite. Robert Mugabe, plus vieux dirigeant du monde à 93 ans, s’appuie depuis 37 ans sur les militaires pour régner en maître dans son pays. La rébellion en cours est donc une première qui met véritablement en péril les acquis de l’autoritaire président. Au-delà de la crise économique et financière marquée par un chômage de masse, la fronde trouve surtout son origine dans un conflit de succession au pouvoir entre la très controversée femme du dirigeant presque centenaire et les héritiers potentiels venus de l’armée. Portrait de ce couple soupçonné de limogeages au profit de Grace Mugabe, une Première dame fantasque et coléreuse.
 
Seul dirigeant depuis l’indépendance
 
Robert Mugabe est au pouvoir depuis l’indépendance du Zimbabwe en 1980. Le pays n’a donc connu que lui depuis que les Britanniques ont accepté l’émancipation des Zimbabwéens. L’ancien chef de la guérilla devient d’abord Premier ministre, avant une modification de la Constitution en 1987. Entre-temps, Mugabe fait preuve d’une méthode qui deviendra une habitude pour se maintenir au pouvoir : en 1982, il accuse son ancien compagnon de lutte, devenu son ministre de l’Intérieur, Joshua Nkomo, de complot. Il le limoge et envoie dans son fief du Matabeleland (sud-ouest) une brigade chargée de réprimer les partisans de celui qui est désormais considéré comme un rebelle. L’opération fait 20 000 morts. La peur et les réformes du président assoient le pouvoir du dirigeant, alors que son parti fini par réussir à aspirer celui du rebelle Nkomo pour créer un grand parti unique, qu’il dirige. Dans les années 1990, Mugabe est alors tout-puissant.
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En 2000, les premières expropriations de fermes appartenant à des «Blancs» ont lieu, en partie approuvées par une population traumatisée par la domination dont elle s’est libérée. Officiellement, il s’agit de corriger les inégalités héritées du passé colonial. En réalité, c’est une manipulation politique qui va faire beaucoup de mal à l’économie du pays. Le mouvement des ex-combattants de la guerre d’indépendance, soutenu par Mugabe, intervient en fait après le rejet par les Zimbabwéens d’une réforme agraire lors d’un référendum. Ce projet de loi aurait donné toute liberté à l’Etat de permettre l’expropriation de ces fermiers blancs, sans indemnisation. La réforme repoussée, plus de 4000 des 4500 agriculteurs blancs du Zimbabwe sont alors tout de même dépouillés par ce soi-disant mouvement populaire. Les années suivantes, une grande crise agraire découle inévitablement de ces expropriations de fermes, qui nourrissaient le pays. En 2004, l’ancien grenier à blé de l’Afrique ne peut plus subvenir à ses besoins et les deux tiers de la population se retrouvent sans emploi.
 
Irrégularités dans les scrutins
 
Pendant ces années et les suivantes, les dénonciations des fautes de Mugabe n’empêchent pas ses réélections successives. Les observateurs internationaux notent des irrégularités lors des scrutins et tous constatent des violences qui freinent les opposants. L’un d’entre eux arrive toutefois à se distinguer en tant que principal adversaire, Morgan Tsvangirai. Ce dernier et son parti arrivent même à remporter la majorité au Parlement en mars 2008. Mais même lui finira par renoncer à la présidence, malgré un bon score au premier tour, à cause des pressions. Dans le même temps, l’Union européenne a besoin d’interlocuteurs en Afrique et lève peu à peu les sanctions contre le Zimbabwe.
 
Dans les années 2010, le chef de l’Etat organise la propagande autour de sa volonté de moderniser les institutions, au point d’organiser un référendum en 2013 sur la moralisation de la vie politique ! Officiellement, il milite pour le «oui» mais conserve le droit de nommer tous les acteurs importants du pouvoir. En coulisses, sa femme et lui se débarrassent de tous les prétendants au pouvoir encombrants.
 
«Dis-Grace» Mugabe, toute puissante
 
Grace Marufu, elle, se marie avec Robert Mugabe, de 41 ans son aîné, en 1996, quatre ans après la mort de sa première femme, Sally Hayfron. En 2014, le président impose son ancienne secrétaire comme une Première dame presque aussi puissante que lui. Il l’intronise notamment à la présidence de sa puissante Ligue féminine, au sein de son parti. Elle va très vite nourrir des ambitions démesurées et apparaître presque plus violente que son «Vieux Lion» de mari.
 
D’abord, il n’est pas question qu’une autre femme soit si près du pouvoir présidentiel. Dans la foulée de l’ascension de Grace, Robert Mugabe se livre à une vaste purge en limogeant notamment sa vice-présidente, Joice Mujuru, remplacée par un très proche, le ministre de la Justice Emmerson Mnangagwa. Le couple poursuit les méthodes déjà éprouvées par le président, désormais nonagénaire. Le 14 avril 2016, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de Morgan Tsvangirai rassemble plus de 2000 manifestants à Harare, la capitale, lors d’une importante marche contre Mugabe. Mais le 24 septembre dernier, le pasteur Evan Mawarire, un des leaders de la contestation, est arrêté après avoir diffusé une vidéo dénonçant les pénuries de carburant. Il est acquitté pour incitation à l’émeute, mais reste accusé de tentative de renversement du gouvernement.
 
En parallèle, la First Lady, affublée du surnom de «First Shopper» (première acheteuse, ndlr) ou «Gucci Grace» pendant que son peuple meurt de faim, multiplie les frasques. Appelée aussi «DisGrace» (honte, ndlr), la femme du président est connue pour sa violence. Elle n’hésite pas à brandir et utiliser ses poings, surmontés de bagues en diamants, contre ses contradicteurs. Elle est notamment accusée d’avoir frappé une jeune mannequin, Gabriella Engels, cet été dans un hôtel de Johannesburg. Elle soupçonnait la jeune femme, blessée au front à coups de grosse rallonge électrique, d’entretenir une relation avec l’un de ses deux fils, tout aussi décriés.
L’ambitieuse au cœur du conflit
 
Après cet épisode, la Première dame a fui en douce l’Afrique du Sud pour éviter d’être confrontée à la plainte de Gabriella. L’opposition à Mugabe demande la levée de son immunité diplomatique pour qu’elle réponde de ses actes. En 2009, elle avait déjà agressé un journaliste britannique qui avait voulu la prendre en photo à la sortie d’un hôtel de Hong Kong. Ses enfants, Bona, Robert Peter Jr et Bellarmine Chatunga, semblent marcher dans ses pas, s’affichant avec strass et paillettes sur les réseaux sociaux alors que leur mère est accusée d’avoir vendu illégalement des diamants depuis les révélations de WikiLeaks en 2010.
 
La semaine dernière encore, quatre personnes ont été interpellées pour avoir hué l’épouse du président alors qu’elle prononçait un discours. Et la rébellion de l’armée ce mercredi intervient alors en pleine crise ouverte entre Mugabe et le chef des militaires, Sibusiso Moyo, après le limogeage la semaine dernière du vice-président Emmerson Mnangagwa, longtemps présenté comme son dauphin. Ce dernier a été démis et a fui le pays après un bras de fer avec Grace Mugabe. Il l’accuse notamment d’avoir tenté de l’empoisonner pour l’éliminer, suscitant une vive réaction de l’intéressée qui a obtenu son éviction, comme elle s’était déjà débarrassé il y a trois ans de la vice-présidente Joyce Mujuru. Avec ce limogeage, Grace Mugabe s’est retrouvée en position idéale pour succéder à son époux. Avant que l’armée ne décide de se rebeller.
 
source : leparisien
 

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