« Le chien aboie, la caravane passe ». Ce proverbe, le clan Gnassingbé au pouvoir en rabâche et à loisir, les oreilles des Togolais en quête de démocratie. Lundi dernier, il a fait procéder au renouvellement partiel des membres de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), preuve que le processus électoral est engagé, n’en déplaise aux fronts contestataires.
 
Le pouvoir Faure Gnassingbé reste sourd à tous les appels à la raison lancés en sa direction par l’opposition togolaise. En effet, faisant fi des revendications des fronts contestataires à savoir le CST (Collectif Sauvons le Togo) et la Coalition Arc-en-ciel sur le nécessaire consensus autour des règles du jeu électoral en perspective, il imprime à l’opposition, la marche forcée vers les législatives. Preuve de cette logique implacable, il a amorcé depuis des mois, des réformes taillées sur mesure, destinées à lui assurer une victoire électorale, dans un mépris total de la transparence, de l’équité, bref des règles conventionnellement admises. L’illustration de ce coup de force de plus reste le renouvellement partiel lundi dernier de la CENI, l’organe en charge de l’organisation des prochaines élections législatives. Six membres de cette instance ont effectivement été élus. Trois pour les partis extraparlementaires et autant pour la société civile.
 
Au titre des formations politiques extraparlementaires, sont désignés MM. Adanu Kokou Akpotsui de ID (Initiatives et Développement), Kolani Lardja du PDR (Parti pour la Démocratie et le Renouveau) et Sébabi Boutou de la CDPA (Convention Démocratique des Peuples Africains). Les représentants de la société civile désignés sont Issifou Taffa Tabiou, Mme Aguigah Dola et Daté Yao. L’Assemblée nationale procédera prochainement à l’élection de 11 autres membres, relevant des formations parlementaires, pour boucler cette phase de nomination des membres de la CENI. Présent à cette session parlementaire, Gilbert Bawara, ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales estime d’une grande portée l’élection des six membres de la CENI. Car selon lui, elle permet d’une part la recomposition de la CENI et au processus électoral de se mettre en branle, d’autre part. Le processus électoral semble donc engagé. Le chien aboie, la caravane passe.
 
Pour rappel, le CST et la Coalition Arc-en-ciel dénoncent depuis quelques mois déjà, les conditions iniques et unilatérales que Faure Gnassingbé et ses affidés tentent d’imposer à la classe politique tout entière, dans la perspective des législatives à venir. Mais ils font face à un mur dressé par le pouvoir RPT/UNIR qui a opté pour un refus d’accéder aux moindres préalables qu’ils posent et pour des séances de dialogues avec des membres cooptés et le plus souvent sans la moindre représentativité, comme l’a concédé l’allié du siècle de Faure Gnassingbé, nous avons nommé Gilchrist Olympio. Le code électoral « révisé » à la hussarde, un jeu de va-et-vient sur la question de fixation du nombre de sièges que devra compter l’hémicycle au terme des prochaines législatives, toujours le flou autour du redécoupage électoral, bref beaucoup d’imprécisions et de désaccords apparaissent autour des règles du jeu. Deckon 1, Déckon 2, Déckon 2 bis et autres manifestations de protestation organisées çà et là par les forces démocratiques ont valeur d’exemples à ce propos. Dans cette logique, le CST martèle que sans les réformes prescrites par l’APG et les missions d’observation électorale de l’Union Européenne en 2007 et 2010, gage d’un scrutin crédible, il n’y aura pas d’élections. Mais le pouvoir fait la sourde oreille et fonce droit dans le mur, quitte à provoquer un autre holocauste, après celui de 2005. Bien sûr, sous l’œil ô combien bienveillant et complice de la Communauté internationale incarnée par les Etats Unis, l’UE et le PNUD, qui attend encore de venir faire le décompte macabre et éventuellement, de faire encore d’autres recommandations de réformes au pouvoir en place. Pis, c’est que ces mesures du tandem UNIR-UFC interviennent à moins d’un mois de la date constitutionnelle des prochaines législatives et viole le protocole additionnel de la CEDEAO qui subordonne toute réforme de la loi électorale à six mois d’une élection, à un consensus entre les acteurs majeurs de la vie politique.
 
L’iniquité de la répartition des sièges à la CENI
 
Les sièges à l’hémicycle sont répartis comme suit : trois pour les partis extraparlementaires, trois pour la société civile, cinq pour le pouvoir, cinq pour l’opposition et un pour l’administration. Cette répartition est donc restée identique à celle d’il y a cinq ans et ne prend nullement en compte l’évolution et la nouvelle configuration du paysage politique togolais. Les nouvelles formations politiques de l’opposition ont été carrément ignorées tandis que d’autres réputées proches, sinon ailes marchantes du parti au pouvoir, conservent leurs sièges à la CENI. Que représentent ID et le PDR sur l’échiquier politique national pour avoir des représentants à la CENI? La réponse est évidente.
 
L’ignorance à dessein de la nouvelle cartographie des partis politiques crée un malaise au sein de l’opposition. Par une alchimie digne du RPT/UNIR, l’UFC qui a pactisé avec Faure Gnassingbé, le 26 mai 2010 et qui, depuis lors, est au gouvernement, se retrouve cataloguée dans l’opposition pour partager les cinq sièges réservés à cette dernière. Hallucinant ! L’UNIR serait-elle gourmande au point de vouloir la part léonine dans cette répartition et d’exclure son alliée du partage des cinq sièges réservés à la mouvance présidentielle ? Même Me Djovi Gally, ex-conseiller de Gilchrist Olympio, est assez honnête pour dénier à l’UFC son qualificatif de parti d’opposition. Aucun parti ne peut être au gouvernement et en même temps se réclamer de l’opposition. Cela est une antinomie, tout simplement. Comme l’ explique Me Dodji Apévon, président du CAR et coordonnateur de la Coalition Arc-en-ciel, lors d’un point de presse animé lundi dernier, « Est considéré comme un parti de l’opposition, tout parti ou coalition de partis politiques n’appartenant pas à la majorité parlementaire ou ne soutenant pas l’action du gouvernement ».
 
Or, mis à part l’ANC et le CAR, tous las autres partis parlementaires, non seulement soutiennent l’action du gouvernement, mais en sont membres, indique-t-il. C’est dans le but d’amputer l’opposition d’une partie de ses représentants à la CENI que le « pouvoir » a attribué à des partis de « la majorité gouvernementale », des postes revenant à l’opposition au sein de la CENI. « Si cette manœuvre réussit, cela donnerait dans le meilleur des cas 5 représentants pour l’opposition contre 12 pour le pouvoir, ce qui est inacceptable », a-t-il fulminé. Sa colère se justifie en ce que « l’Accord politique global (APG) stipule dans son annexe 1 que la CENI doit être composée de façon équilibrée entre la mouvance présidentielle, les partis de l’opposition et la société civile ». « Nous dire que dans la CENI l’opposition a droit à 5 représentants est vraiment scandaleux », a-t-il dénoncé. Tous les ingrédients semblent réunis pour que le pouvoir organise le prochain scrutin dans les conditions unilatérales par lui fixées. Or, dans le camp d’en face, c’est-à-dire du CST et de la Coalition Arc-en-ciel, on jure qu’il n’y aura pas d’élections dans de telles conditions.
 
Pour désamorcer cette bombe qui risque d’exploser à retardement, le CAR demande donc l’ouverture de discussions pour régler la question de la répartition des sièges à la CENI. Le pouvoir entendra-t-il cette fois-ci la sonnette d’alarme que tire le parti dirigé par Me Paul Dodji Apévon ?
 
Avec un peu de recul, il s’avère difficile de parier un centime sur l’affirmative. Voilà qui promet des lendemains tumultueux au Togo.
 
Magnanus FREEMAN
 
La CDPA dit « prendre acte de l’élection de son représentant » à la CENI
 
Suite à l’élection de son représentant par l’Assemblée nationale au sein des partis extraparlementaires devant siéger à la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), la Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA) a animé une conférence de presse hier au siège du parti. Le but était de prendre acte de l’élection d’un des leurs pour siéger à la CENI.
 
Dans la déclaration qui a été lue par la Secrétaire Générale, Mme Brigitte Adjamagbo-Johnson, la CDPA dit « prendre acte de l’élection de son représentant Monsieur Sibabi Boutchou, dont la candidature a été déposée à l’Assemblée nationale en juin 2012, au rang des partis extraparlementaires ». Mais elle a déploré le fait que ce renouvellement se produise à un moment peu propice. « Cependant, elle s’étonne que ce renouvellement intervienne alors qu’il n’y a pas de consensus sur la composition de la nouvelle CENI. Cette situation est d’autant plus surprenante que le CAR a suspendu ce même jour sa participation à la CENI, tout comme l’ANC, n’a envoyé aucun nom de ses représentants à la CENI ». La déclaration poursuit en estimant que seule une commission électorale consensuelle et équilibrée peut organiser des élections équitables et transparentes, non génératrices de violence, parce que gages de résultats issus des urnes non contestés et acceptés par tous.
 
A ce propos, la CDPA renvoie la balle dans le camp du pouvoir en place afin qu’il crée les conditions objectives d’un franc et utile dialogue en vue de procéder aux réformes constitutionnelles et institutionnelles qui prennent en compte entre autres sujets, la composition de la CENI.
 
Commentaires
 
Sans vouloir tirer des banderilles sur le parti, il est un peu dommage que les responsables n’aient pas anticipé en retirant comme leurs amis du CAR, leur représentant en ce moment charnière de la lutte pour l’alternance au Togo. La fébrilité qui guide les actions du régime en place est à la mesure de l’union sacrée que l’opposition véritable est en train de réaliser et ce n’est plus le moment de prêter le flanc au régime si tant est que la CDPA tient à la mise en place des réformes devant conduire à des élections pacifiées.
 
Cela fait plus d’un mois que les manifestants de l’opposition ont été molestés à coups de gourdins, de cordelettes, et d’armes blanches. Et cela fait moins d’une semaine que les responsables du Collectif « Sauvons les Etudiants » ont échappé à une tentative d’assassinat. Entre exiger qu’une enquête conduite par une institution indépendante fasse la lumière sur les événements suscités dans un délai sous peine d’une série de manifestations, et laisser son représentant se faire élire par une Assemblée monocolore, laquelle de ces deux actions est-elle prioritaire pour la CDPA ? La CDPA ne serait-elle pas en phase avec elle-même si elle suspendait la participation de son représentant à la CENI ?
 
Godson K.
 
liberte-togo