Nous ne nous lasserons jamais assez de continuer à nous demander si l´honneur et la dignité font vraiment encore partie du vocabulaire des différents dialectes togolais. Il y a trop de situations, où trop de Togolais, surtout ces dernières décennies, ont perdu les deux valeurs cardinales dont nos ancêtres étaient fiers: l´honneur et la dignité. Combien sont-ils, ces barons, civils comme militaires, depuis Éyadéma, à avoir été arrêtés, persécutés, emprisonnés, humiliés, et à avoir repris du service auprès du même dictateur, la queue entre les pattes, comme si de rien n´était? Entre-temps des espèces sonnantes et trébuchantes, qui n´effacent jamais le déshonneur et l’humiliation, ont joué leur rôle dans cette réconciliation rabaissante. Et c´est ce manque du sens de l’honneur, de la dignité et du patriotisme qui est à la base du comportement traître et égoïste de beaucoup de nos leaders de l’opposition ces dernières années.
Au lendemain de l’assassinat du Colonel Madjoulba, beaucoup de Togolais avaient naïvement cru que le régime togolais serait fortement ébranlé par exemple par la colère d’un Gilbert Bawara contre la hiérarchie militaire, donc contre Faure Gnassingbé. Rappelons que le Ministre de la fonction publique est l’un des principaux fidèles du président togolais et frère de village de l’officier défunt. Mais apparemment les intérêts personnels et l’amitié avec Faure Gnassingbé du Ministre originaire de Siou seraient plus forts qu´un quelconque lien familial avec Toussaint Bitala Madjoulba. L’attention était surtout portée sur le frère aîné de l’officier assassiné. Comment allait réagir Calixte Batossié Madjoulba, l’indétrônable ambassadeur du Togo en France et dans beaucoup de pays d´Europe? De ce côté aussi, ceux qui espéraient voir le courroux du diplomate contre les assassins de son frère, sont restés sur leur soif. Il serait même, avec Bawara, ceux qui auraient conduit la délégation des autorités politiques Nawdeba et surtout originaires de Siou pour aller calmer les populations en colère qui réclamaient bruyamment la dépouille de leur parent. Aujourd’hui, presque trois mois après le tragique événement ayant coûté la vie à ce père de famille dans son bureau au camp, la fumée provoquée par ceux qui ne veulent pas que la vérité soit sue, devient de plus en plus épaisse; et l’humiliation de la mémoire du défunt, de la famille se fait de plus en plus insistante.
La manière même dont le Colonel Nawda fut assassiné dans son bureau dans le camp qu´il dirigeait était déjà une humiliation. Le silence du gouvernement, de la hiérarchie militaire, de l´État-Major, du Ministre de la défense qui n´est autre que Faure Gnassingbé himself, n’est pas de nature à honorer la mémoire du défunt et à lui reconnaître un mérite quelconque de son vivant. Donc les Togolais ne sont pas du tout informés de la disparition tragique de Toussaint Bitala Madjoulba par les autorités compétentes du pays. C’est sur les réseaux sociaux et tout dernièrement sur Radio France Internationale (RFI) que quelques bribes d’informations parviennent au grand public.
Selon la radio française à audience internationale, deux mois et demi après l´assassinat de l´officier supérieur personne ne semble pouvoir dire qui a commandité ou tué Madjoulba. Nous nous demandons quel rôle a joué ou joue la commission d’enquête mise sur pied par Faure Gnassingbé et dont le Ministre de la Sécurité, Yark Damehame est le président. Aucune conférence de presse pour informer ou situer la population sur les premiers éléments ou sur les difficultés éventuelles liées à l’enquête, comme ça se passe dans les pays où la transparence s’écrit avec majuscule. D´après l´élément diffusé sur RFI, les autorités togolaises auraient demandé l´aide de la France pour procéder à des analyses balistiques afin de trouver le ou les assassins du Colonel Madjoulba, dont la dépouille serait toujours à la morgue. Toujours selon le journaliste de Radio France Internationale, si le corps n´a pas encore été restitué à la famille, c´est que personne n’a, jusqu’à ce jour, formulé une demande en ce sens.
Ce comportement des autorités togolaises, pour soi-disant faire la lumière sur l´assassinat de l´officier natif de Siou, pose beaucoup d´interrogations:
Pourquoi avoir attendu presque trois mois après la mort tragique de Toussaint Madjoulba avant d’avoir cette « lumineuse » idée de recourir à l´expertise française? Ce tapage qui consiste à saisir 75 pistolets au camp, de les joindre à la balle, supposée être retirée du corps du malheureux est un travail qui devrait se faire les premières heures après l´annonce de l´assassinat pour que personne n´ait l´idée et le temps de brouiller ou de faire disparaître les traces. Pourquoi avoir alors perdu tout ce temps en annonçant la formation d’une commisssion nationale d’enquête, en sachant que ladite commission n´aurait pas l´expertise nécessaire pour faire le travail à elle confiée? Quelle est aujourd’hui l´authenticité des objets saisis et d´après quels critères a-t-on sélectionné les militaires qui devraient remettre leurs pistolets? Et à propos de demande d´aide à la justice française, qu´en est- il de l´enquête française concernant les incendies des marchés de Kara et Lomé en 2013? Les enquêteurs français ne nous ont jamais livré les résultats de leur travail. Qui a incendié les deux grands marchés? Nous attendons toujours.
Nous avons notre petite idée: les membres de la fameuse commission d´enquête dirigée par Yark Damehame connaissent tous celui ou ceux qui ont assassiné Madjoulba Toussaint Bitala, mais n’ont pas le courage de le dire. La hiérarchie militaire, composée majoritairement de kabyès, en premier lieu Faure Gnassingbé et Abalo Kadanga, sait très bien comment s’appellent l’assassin, le ou les commanditaires, et à qui le crime profite. Certaines autorités françaises, qui sont les sponsors du régime vomi de Faure Gnassingbé, ont décidé d’entrer dans la danse pour sauver leur protégé, en voulant brouiller davantage les pistes. Sinon aucun enquêteur sérieux n´accepterait jamais de faire le travail pour une affaire d’assassinat qui remonte à presque trois mois, et dont il n´est pas sûr des conditions dans lesquelles les objets en sa possession ont été saisis et préservés jusqu’à leur acheminement.
Ce comportement des autorités togolaises, surtout militaires, qui n´ont jamais annoncé officiellement la disparition tragique de l’officier supérieur, qui n´ont jamais présenté de condoléances à la famille Madjoulba, humilient, et insultent davantage la mémoire du défunt, sa famille et le caractère sacré de la vie tout court. Et Là où la bât blesse, c´est celui qui, normalement, par sa position, devrait tout essayer pour sauver ce qu´il reste de l´honneur de la famille Madjoulba, est justement celui-là même qui accepte de se rabaisser, de se faire humilier et manipuler pour aider à verser encore plus de déshonneur sur la dépouille de son frère assassiné. On nous dit que Calixte Batossié Madjoulba, qui a acheminé les scellés contenant des pistolets, des douilles et la supposée balle du crime, aurait les mains liées et serait obligé de faire ce que ses supérieurs lui demandent. On peut avoir les mains liées, certes, mais peut-on lier un esprit? Peut-on empêcher notre officier de super-ambassadeur de démissionner avec fracas en restant en Europe et en dénonçant celui ou ceux qui ont commandité la mort humiliante et brutale de son frère, et qu´il connaît certainement bien? Au moins pour sauver l’honneur de la mémoire de son jeune frère, celui de sa famille et son honneur à lui.
Samari Tchadjobo
23 juillet 2020
Allemagne