Pascal Bodjona en lice pour les locales. C’est la grande surprise des candidatures enregistrées par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), et aussi le sujet de toutes les discussions depuis la sortie de l’information lundi. « Bodj » – pour les intimes – candidat à un poste de conseiller municipal, et peut-être de maire, c’est plus qu’une simple candidature, qui ne devrait pas laisser indifférent le pouvoir et surtout son « champion ». Au regard de l’histoire que charrie l’homme, de ses promesses de refaire la politique, des espoirs placés en lui par certains Togolais…

Bodjona candidat

La curiosité, c’était de savoir si l’opposition qui avait boycotté les élections législatives du 20 décembre 2018, allait participer aux locales. Mais il y avait dans l’air une surprise nommée Pascal Bodjona. L’ancien Directeur de cabinet de Faure Gnassingbé, ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales et porte-parole du gouvernement a en effet déposé sa candidature pour briguer un poste de conseiller municipal dans la commune d’Agoè 1, à la tête d’une liste appelée « Ensemble pour le Togo ».

A en croire les motivations avancées, l’homme veut s’employer au développement de tout le Togo à partir d’Agoènyivé où il réside. Il voudrait ainsi mettre ses compétences au service de sa communauté. Certains y voient un signe d’humilité pour un homme qui a occupé de par le passé des postes plus prestigieux dans les hautes sphères de l’Etat.

L’ex-ministre caricaturé de « Grand format » pour sa corpulence, mais aussi et surtout pour les hautes charges assurées autour de Faure Gnassingbé et son charisme, briguer un (simple) poste de conseiller municipal et peut-être de maire d’une bourgade nommée Agoènyivé ? Cela revient à voir un lion, habitué à croquer à satiété des gazelles, des biches, des buffles, bref du gros gibier, pavlover devant un rat.  Il faut être naïf pour le croire et  ne pas voir au-delà d’une envie de briguer un simple poste d’élu local.

Rentrée politique officielle

C’est la toute première fois depuis plusieurs années, notamment sa sortie de prison le 6 février 2016 que l’homme affiche clairement son ambition politique. Pascal Bodjona s’est en effet imposé un silence sépulcral, depuis ses mésaventures dans l’affaire sans tête ni queue d’escroquerie dite internationale où il a subi les pires humiliations de sa vie. Arrêté une première fois le 1er  septembre 2012, il a été libéré le 09 avril 2013, après sept (07) mois de détention à la Gendarmerie nationale, avant d’être appréhendé une seconde fois le 21 août 2014 et faire plus environ dix-huit (18) mois à la prison civile de Tsévié. Son péché (sic), avoir promis reprendre la politique.

« Tout comme on ne peut interdire à un menuisier de scier son bois, personne ne peut empêcher Pascal Bodjona de faire la politique (…) Je n’ai pas de rides, je n’ai pas une tête blanche et, Dieu merci, je jouis d’une excellente santé, je suis donc loin de prendre ma retraite politique (…) J’entends poursuivre mon action politique dans la dignité », avait-il déclaré en conférence de presse le 23 juin 2014. Dès lors, Bodjona représentait une menace potentielle pour le Prince dans ses desseins de briguer un 3e mandat à la présidentielle de 2015, d’où sa seconde arrestation.

Depuis sa libération de droit le 6 février 2016, Pascal Bodjona s’est assigné une diète de la parole. Jamais il ne s’est prononcé sur les péripéties mouvementées de l’actualité sociopolitique, de peur de prendre position. Même lorsque le pouvoir Faure Gnassingbé qu’il a modelé a cru devoir l’atteindre au moral en décidant de la fermeture de sa chaine télé LCF un an juste après sa libération. C’est seulement dans le cadre du dialogue de sortie de la crise initié dès février 2018 qu’il est sorti de sa réserve, sollicité par le Président ghanéen et Facilitateur Nana Akufo-Addo.  Sa  candidature aux élections locales scelle à n’en point douter sa rentrée politique officielle.

2020 visiblement en ligne de mire

Ce serait une illusion d’espérer entendre Pascal Bodjona monter au créneau, jouer l’opposant farouche et s’attaquer frontalement à Faure Gnassingbé qu’il a lui-même façonné politiquement et ses collabos. L’homme n’a pas encore organisé une conférence de presse et parlé de toute l’étendue de ses ambitions politiques. Mais difficile de penser qu’un tel animal politique se contenterait d’un petit poste de conseiller municipal ou de maire d’Agoènyivé et ne viserait pas loin.

Personne n’est dupe, les mésaventures vécues par Pascal Bodjona tiennent de ses ambitions politiques/présidentielles supposées ou réelles. L’homme était identifié dans les milieux diplomatiques comme l’alternative la plus crédible autour du Prince pour présider aux destinées du pays en cas de « qu’est-ce qu’il y a », à un moment de flottement politique au Togo, avec la contestation animée par le Collectif « Sauvons le Togo ». Ses relations affermies avec l’opposition avaient ajouté à la suspicion. Cela avait suffi pour voir en lui un concurrent potentiel, mieux, un danger pour les desseins de régence non stop de son « produit politique ». Illustration, il fut arrêté de nouveau en août 2014, à quelques mois de la présidentielle de 2015 cruciale pour le Prince, pour éviter tout risque.

Une chose est certaine, un homme politique du standing de Pascal Bodjona n’est pas fait pour être coincé dans un bureau de conseiller municipal ou de maire. Et certains observateurs avisés voient en sa candidature aux locales « un apéro ou une entrée, en attendant le plat de résistance qui est 2020 », c’est-à-dire l’élection présidentielle, mais aussi un test pour le pouvoir.  « Bodjona n’est pas fait pour être maire, mais plus que ça. Il aurait pu attendre 2020 pour se présenter à la magistrature suprême. Mais en acteur politique intelligent, il a avancé ses pions pour voir la réaction du régime (…) », confie l’un d’eux. D’aucuns l’identifient comme parmi les rares personnages de consensus pouvant assurer une éventuelle transition nécessaire au Togo, dans un contexte politique où l’apaisement peine à se faire véritablement.

Des manœuvres pour écarter Bodjona ?

« Le prochain obstacle à franchir pour l’opposition », titrions-nous dans la parution n°2931 du mercredi 29 mai dernier, redoutant l’épreuve de la validation des dossiers de candidature au niveau de la CENI. On appréhendait légitimement que pour un petit manquement sur une pièce d’un membre, toute la liste ne soit invalidée et plein d’autres manœuvres. Des observateurs craignaient particulièrement pour le cas Pascal Bodjona, au vu de la singularité de sa candidature. Doit-on y voir déjà un début de manœuvres à cette fin?

Depuis l’officialisation de sa candidature, le nom de sa liste, « Ensemble pour le Togo », en abrégé « e-Togo », suscite une polémique sur les réseaux sociaux. Les responsables d’un pseudo-mouvement baptisé « Ensemble, Le Togo» sont montés au créneau pour entretenir la polémique. « Le mouvement citoyen Ensemble, Le TOGO porte à l’attention de ses membres, membres sympathisants et amis qu’il n’est lié ni de près, ni de loin, au parti Pascal BODJONA. Pour cela, nous sommes en train de mener des actions à l’amiable pour qu’il change le nom de son parti car cela prête à confusion. Nous vous remercions pour la compréhension », relève un communiqué signé de son Président Fondateur Soter-Caïus DOVI. Il faut déjà souligner que les deux structures ne sont pas pareilles. La liste de Pascal Bodjona – ce n’est pas un parti politique, comme l’insinue le communiqué du responsable du mouvement – se nomme « Ensemble pour le Togo » alors que ledit mouvement se prénomme « Ensemble, Le Togo ». Mais depuis, la question revient : le pouvoir va-t-il prétexter de cette confusion, mieux, de cette polémique inutile pour rejeter la liste de Bodjona ? La question reste posée, car avec le régime en place, il faut s’attendre à tout. Les jours à venir situeront l’opinion.

 

Tino Kossi
 
source : Liberté
 

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