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Tchassona Mohamed Traoré (photo) est président du Mouvement citoyen pour le développement et la démocratie (MCD), une formation politique membre de la coalition Arc-en-ciel. Les 19 et 20 février derniers, ce notaire « très apprécié » par ses collègues a pris part au dialogue dit « exploratoire » piloté par l’évêque d’Atakpamé, Mgr Nicodème Barrigah Bénissan. Qu’est-ce qui a été dit au cours de cette rencontre qui a réuni des représentants de plusieurs partis politiques aussi bien proches du pouvoir que de l’opposition ? Comment ce juriste de formation vit-il le feuilleton de l’enquête ouverte dans le cadre des incendies des marchés ? Que préconise la coalition Arc-en-ciel pour la tenue des prochaines échéances électorales ?
 
Me Tchassona Mohamed Traoré, apporte des pistes d’éclaircissement à toutes ces interrogations dans une interview que l’homme a accordée à l’Agence Afreepress. Lire l’intégralité de l’entretien.
 
Afreepress : Bonjour Me Tchassona Mohamed Traoré, les 19 et 20 février derniers, vous avez été invités à prendre part à un dialogue dit « exploratoire ». Dites-nous dans quelles conditions cette rencontre a été préparée?
 
Me Tchassona Mohamed Traoré : Je vous remercie pour cette invite à expliquer à nos concitoyens les contours de ces pourparlers. Il faut rappeler que ces discussions ont eu lieu après plusieurs tentatives qui n’ont pas pu être concrétisées avec le gouvernement. Vous aurez remarqué qu’entre temps, tout le monde, même la communauté internationale a semblé se lasser parce que le pouvoir est parvenu à faire partager à une large partie de cette communauté que l’opposition togolaise est assez rétive aux discussions, aux dialogues, qu’on n’aime pas prendre part à ces discussions.
 
Lorsque tout le monde donnait l’impression d’être lassé de la situation togolaise, il y a eu au moins une chancellerie qui a voulu s’impliquer et essayer de nous proposer autre chose. Nous profitons d’ailleurs de l’occasion pour louer les mérites de cette initiative et les autres d’avant, organisées à l’initiative d’autres chancelleries.
 
La démarche de l’Ambassadeur des États unis au Togo est assez originale au niveau du concept et au niveau du schéma. Au niveau de la démarche, il a voulu s’appuyer sur les partis qui ont des députés à l’Assemblée nationale et le gouvernement. Ce qui fait qu’autour du CAR qui est membre de la coalition Arc-en-ciel, les partis de la coalition ont été invités. Également l’UFC et l’UNIR qui ont des députés à l’Assemblée nationale ont été invités de même que l’ANC et le FRAC.
 
Voilà comment l’Ambassadeur des États-Unis a identifié ceux qui devraient prendre part à cette rencontre. Au niveau du concept, il a voulu que cette rencontre s’inscrive purement dans le cadre politique, c’est-à-dire au niveau des partis politiques. L’Ambassadeur s’est dit que la classe politique togolaise a toujours parlé de 29 points qui constituent les préoccupations à discuter au cours d’un dialogue comme c’était le cas du dialogue avorté du mois de novembre. Lui a dit, 29 points c’est trop, cela risque d’être à l’origine de débats houleux. Il a voulu faire cette rencontre autour de 10 ou 11 points. Il a reçu tous les protagonistes, il a reçu le président de l’ANC, il a reçu le président du CAR accompagné de la présidente en exercice de la coalition Arc-en-ciel. Il a également reçu l’UFC, il a reçu les gens du Pouvoir. Au départ, tout le monde a marqué son adhésion avant que l’ANC ne puisse exprimer ses réserves que vous connaissez.
 
Donc voilà comment ce dialogue a été organisé, disons que c’est en concertation avec ceux qui ont pris sur eux de répondre à cet appel qu’ils ont retenu le facilitateur en la personne de Mgr Barrigah que nous saluons pour le travail accompli. Il était en Europe pour se reposer et c’est sur nos insistances qu’il est rentré pour pouvoir accompagner ces pourparlers.
 
Au niveau du schéma également, on a retenu qu’il n’y aura pas de débat frontal. Sur les onze points arrêtés, chaque groupe expose ses exigences, les autres écoutent sans réagir et ainsi on fait un tour de table. Tous les groupes présents autour de la table à savoir, Arc-en-ciel, UNIR, UFC, le gouvernement et le FRAC, qui était représenté au premier jour par ADDI et le PSR et au deuxième jour par ADDI seul, ont fait leur exposé. Il faut faire remarquer que nous avons pu observer une entente parfaite entre l’UFC et l’UNIR au cours de ces pourparlers sur bien de points.
 
Le gouvernement a pu apporter des réponses aux préoccupations de chaque groupe. Après ce premier tour de table, la parole a été donnée à chacune des protagonistes de réagir à la réponse du gouvernement. Nous nous étions convenus que sur chacun des onze points, lorsqu’il y a convergence de vue sur certains, on les considère comme acquis. Mais s’il n’y a pas entente, on fera également observer qu’il n’y a pas eu entente. C’est donc à nous de décider si à la fin, il fallait communiquer autour de la rencontre ou non. Mais chaque parti avait la liberté d’aller communiquer autour de ce qui s’est passé.
 
Ces pourparlers sont exploratoires parce qu’ils devraient nous permettre d’identifier les différentes pistes d’organisation d’un nouveau dialogue. Cela nous permettrait de voir les points de discorde et les propositions de chacun des partis politiques ou les groupes de partis politiques, les réponses du gouvernement ce qui pourra éclairer ceux qui veulent nous accompagner demain à voir sur quel angle ils pourront agir pour nous amener à aller de l’avant. C’est comme cela que nous avons compris la démarche et que nous saluons.
 
Afreepress : Au lendemain de cette rencontre, il y a eu une polémique autour de la participation de l’ADDI du Pr Aimé Gogué. Vous qui avez pris part à ce dialogue, quel a été l’apport de l’ADDI aux débats et en quelle qualité était-il dans la salle ?
 
Me Tchassona Mohamed Traoré : Nous disons que d’abord sur le plan formel, ADDI n’était pas allé à cette rencontre en tant qu’ADDI, mais elle y était au nom du FRAC. Il en est de même du PSR. Les étiquettes qui étaient posées indiquaient bien le FRAC, c’est la première remarque.
 
De deux, les onze points qui ont été identifiés, le collectif Sauvons le Togo et la coalition Arc-en-ciel ont eu à travailler sur chacun de ces points. Ils se sont mis d’accord sur au moins neuf (9) de ces points, il restait deux points, portant sur le découpage électoral, la HAAC et la Cour constitutionnelle sur laquelle on n’avait pas clos le débat.
 
Nous savons également que l’Ambassadeur des États-Unis a reçu plusieurs fois Jean-Pierre Fabre, le président de l’ANC pour ces pourparlers. Nous savions qu’entre temps, il a annoncé qu’il n’allait pas prendre part à ces pourparlers.
 
L’apport des partis qui ont été au nom du FRAC a été un apport assez décisif. Leur apport a été des plus importants qui sont venus appuyer ceux de la coalition Arc-en-ciel. Nous disons que si cet exercice était à refaire, il fallait le refaire même si on est déçu au regard des réponses que le gouvernement a apportées à bien des points. Au moins cela a permis à l’opinion nationale et internationale de savoir qu’au Togo, la classe politique de l’opposition est toujours disposée à discuter lorsque les conditions minimales de discussion et de confiance sont mises en place.
 
Cela a également permis de prouver que l’opposition togolaise ne crie pas seulement, mais veut éellement d’un dialogue. Cela a permis de savoir qu’il y a du contenu dans ce qu’elle dit. En outre, cela nous a permis de faire savoir qu’aujourd’hui, la mauvaise foi n’est pas du côté de l’opposition, mais qu’il faut aller la chercher ailleurs. Ça permet enfin d’éclairer l’opinion internationale sur ce qu’il faut entendre par opposition et pouvoir par rapport à certaines indélicatesses qu’on remarque aujourd’hui par rapport à certaines formations politiques qui ont du mal à se situer dans un camp ou dans l’autre.
 
Afreepress : Nombreux sont ceux qui disent que ce dialogue a échoué. À quoi s’attendre dans les jours à venir ? Va-t-on à nouveau appeler à un autre dialogue ?
 
Me Tchassona Mohamed Traoré : Une des leçons qu’on peut tirer de ces rencontres, c’est que tous les participants sont prêts à reprendre l’exercice s’il était à reprendre. Mais l’opportunité et l’initiative d’une telle rencontre peuvent appartenir à nos amis de la communauté internationale, mais surtout au gouvernement. Il me semble qu’il n’est pas dans son intérêt de faire la sourde oreille et d’aller à ces élections sans pouvoir donner des réponses à toutes ces questions qu’on se pose. Nous avons bien sûr entendu le même son de cloche de la part de l’UFC et de l’UNIR. Ils ont dit qu’ils sont d’accord que les réformes soient faites, mais qu’elles ne peuvent être réalisées qu’après les élections, des élections qui donnerons une Assemblée beaucoup plus légitime, qui aura à se doter du caractère d’une constituante pour faire les réformes nécessaires et idoines qui mettent tout le monde d’accord. Nous disons que c’est peut-être un rêve. Pourquoi nous le disons ?
 
D’abord on nous l’avait servi en 2006 qu’il fallait attendre les élections de 2007 pour mettre en place les réformes qui étaient commandées par l’Accord politique globales (APG). On est aujourd’hui en 2013 et ça n’a pas été mis en place. On nous propose à nouveau le même schéma pour l’après-élection de 2013. Qui nous dit que promesse sera tenue ? Malin celui qui pourra répondre par l’affirmative.
 
De deux, si par extraordinaire on se met d’accord pour aller à ces élections, par quelle magie les partis politiques pourront prédire la configuration de la prochaine Assemblée ?
 
De trois, qui peut nous dire que c’est possible que demain, par la volonté d’un seul parti, l’Assemblée a le droit de se muer en constituante ? Qui peut nous dire que les sujets que les gens veulent voir être traités par la constituante vont être pris en compte et que d’autres questions ne sont pas là qui devront venir s’ajouter ?
 
Toutes ces questions nous amènent à dire à nos amis qu’ils sont en train de faire une fuite en avant, qu’il vaut mieux que nous nous attardons pour régler les problèmes aujourd’hui. Nous avons une Assemblée aujourd’hui, qu’on l’aime ou pas, elle est là, elle existe, elle prend des lois comme la dernière concernant la HAAC. Utilisons la même Assemblée, élargissons le cercle des discussions, mettons ce qu’il faut pour se mettre d’accord sur les réformes nécessaires. Nous devons mettre à profit l’existence de cette Assemblée dans sa composition actuelle pour faire toutes les réformes. Il faut que nous dégagions l’avenir, que nous libérions l’avenir aux questions de développement. Ce n’est pas au cours des cinq (5) années à venir que nous allons encore penser aux réformes. Alors quand allons-nous penser réellement aux problèmes de développement de notre pays ?
 
On parle de la question du régime politique. Nous sommes dans un régime semi-présidentiel. La constitution de 1992 qui a été votée à 97 % l’a institué comme régime politique avec des prérogatives propres au Premier ministre et Président de la République. Les modifications intervenues en 2002 l’ont été de manière unilatérale par le pouvoir en place qui en a bénéficié de manière exclusive jusqu’ici. Or, ces modifications ont emporté les compétences et les prérogatives du Premier ministre qui doivent être redéfinies. Si on nous dit aujourd’hui d’aller aux élections avant de parler de toutes ces questions, demain une autre majorité pouvait se constituer. On a le CST et la coalition Arc-en-ciel. Si demain ces coalitions sortaient majoritaires après les élections, est-ce qu’on ne va pas nous jouer le coup de 1994 ? Un parti charnière ne viendra-t-il pas dire que moi j’ai un certain nombre de députés, donc c’est en mon sein qu’il faut prendre le Premier ministre ? Il faut donc clarifier ce jeu, il faut redonner une lisibilité à la procédure de nomination du Premier ministre avant qu’on aille à ces élections.
 
De deux, par rapport au programme autour duquel cette majorité s’est constituée, si les prérogatives du Premier ministre actuel restent intactes, comment pourra-t-il gouverner demain s’il n’est que le simple collaborateur du Président de la République qui le nomme et alors qu’il est d’un autre bord ? Comment cette cohabitation pourra-t-elle être mise en place ? Voilà des questions essentielles qui méritent d’être éclairées avant qu’on aille aux élections, elles sont importantes, on ne peut pas aller à l’aventure. À moins que les gens soient sûrs que les élections qu’ils veulent organiser ne sont pas sincères, que tous les moyens sont mis en œuvre pour sortir une majorité purement UNIR-UFC. Au quel cas, qu’on nous dise la vérité et qu’on ne nous dérange plus, que chacun vaque à ses occupations et qu’ils continuent seuls.
 
Afreepress : Parlons un peu de la question des incendies des marchés. Lundi tard dans la nuit, l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo a été remis en liberté. Comment avez-vous accueilli l’information à la coalition Arc-en-ciel ?
 
Me Tchassona Mohamed Traoré : Nous profitons de l’occasion pour dire notre soutien et notre compassion à notre ami et frère Agbéyomé Kodjo pour tout ce qui lui est arrivé. Nous nous félicitons de ce que la justice a cru devoir entendre raison pour ce qui le concerne et le mettre en liberté, même dite provisoire. Nous avons espoir que d’autres libérations vont suivre.
 
Nous ne pouvons pas porter un jugement critique par rapport à la démarche judiciaire en cours, mais nous pouvons néanmoins être étonnés de ce que les enquêtes préliminaires n’ont visé qu’un seul camp. Dans tout le pays du monde qui se veut respectueux, il y a un principe de responsabilité qui est la première piste à explorer lorsque de telles infractions se posent. Le responsable du marché c’est ceux qui en assurent la garde, quelles sont les mesures de sécurité qui étaient prévues ? Comment en sommes-nous arrivés là ? De sorte que les premières personnes à être normalement mises en examen, avant d’aller chercher ailleurs les auteurs, les complices, doivent être ceux qui ont en charge ces marchés. Le directeur ou la directrice des marchés, quelles sont les mesures de sécurité qui ont été prises pour ces marchés ? Tout cela aujourd’hui nous laisse un peu interrogateurs et puisqu’on ne nous dit pas pourquoi ces personnes ne sont pas mises en examen, ou interrogées au niveau actuel de la procédure, nous avons tout lieu de croire qu’il y a là en dessous, une démarche de règlement de comptes vis-à-vis d’une opposition qui gêne. Il ne faut pas qu’on utilise l’appareil judiciaire à des fins de règlement de comptes. C’est cela que nous déplorons, nous espérons que la lumière sera faite dans ce dossier. Nous faisons confiance à cette batterie d’avocats qui se mobilisent chaque jour pour pouvoir éclairer l’opinion. Nous ne sommes pas de ceux qui croient qu’il faut taire la vérité, le peuple a besoin de savoir les vrais auteurs, les pyromanes, ceux qui ont mis le feu aux marchés parce que ce sont des actes criminels qui doivent être punis, mais il ne faut pas profiter de cette occasion pour régler des comptes à des adversaires politiques.
 
Ce n’est pour rien si aujourd’hui Amnisty internationale, le PS et le SPD au niveau de l’Allemagne sont montés au créneau pour demander qu’il faille libérer les gens parce que là, la démarche n’a pas été très bonne. Nous savions que le gouvernement au lendemain de ces incendies a commandité une enquête à des experts français, quelles sont les conclusions de ces enquêtes aujourd’hui ? Comment peut-on mener une instruction normale au niveau de nos juridictions si on n’a pas des conclusions de ces experts-là ?
 
Nous profitons pour souhaiter bon rétablissement à notre ami Agbéyomé Kodjo qui doit être sorti très affaibli par rapport à ce qu’il a subi que nous ne souhaitions à personne. Nous espérons que tous nos amis qui sont encore en prison puissent recouvrer rapidement leur liberté.
 
Afreepress : Pour terminer, dites-nous comment se porte la coalition Arc-en-ciel aujourd’hui.
 
Me Tchassona Mohamed Traoré : La coalition Arc-en-ciel a été mise en place avec des gens d’une très bonne volonté qui travaillent chaque jour pour établir la confiance des membres et élaborent chaque jour les pistes sur lesquelles ils doivent pouvoir aborder les principales causes de sa mise en place c’est-à-dire d’aller à ces élections avec toutes les chances de les remporter.
 
Nous voulons mutualiser nos moyens matériels qu’humains pour mettre en place des listes communes. La coalition Arc-en-ciel est composée de cinq (5) formations politiques, nous pensons qu’à cinq c’est déjà bon, mais ce n’est pas suffisant. Nous cherchons à faire savoir à toute la classe politique qu’on ne peut mettre véritablement les chances de notre côté que si cette entente électorale s’élargit à plusieurs autres formations politiques de l’opposition.
 
Ceux que nous avons en face ont tous les moyens, ils ont beau promis tout ce qu’ils veulent, mais nous savons comment ça se passe dans notre pays. Si nous voulons donner une chance à ce pays d’émerger, à ce pays de connaître au moins une fois l’alternance, donnons cette chance à cette entente pour pouvoir faire des listes communes à tous les niveaux pour faire barrage à ceux qui nous gouvernent.
 
La coalition est à l’œuvre sur le terrain. Nous envoyons tous les jours des directives à nos fédérations pour faire le travail sur le terrain.
 
Propos recueillis par Olivier A.
 
afreepress
 
 

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