« Le Togo n’est pas en crise », avait déclaré à son corps défendant, Arthème Ahoomey-Zunu, Premier ministre du Togo, lors d’une interview sur Africa numéro un. Mais voilà qu’à la fin de la législature issue du scrutin d’octobre 2007, les députés sont maintenus à leurs postes, par avis de la Cour constitutionnelle. Car les élections devant renouveler les membres de l’Assemblée nationale n’ont pu se tenir à temps, la faute à cette crise profonde qui secoue le paysage politique togolais.
 
« Le Togo n’est pas un pays en crise » ! Cette assertion pour le moins inexacte, c’est son excellence Arthème Ahoomey-Zunu qui l’a prononcée lors d’une interview aux allures d’une joute oratoire, qu’il a accordée à la radio Africa n°1. Tentant vaille que vaille de déconstruire tous les raisonnements du journaliste qui accréditent la réalité de la crise qui sévit au Togo. Crise, ce mot était visiblement tabou chez lui. Le Togo traversait tout sauf une période de crise. Et dans son zèle à nier une évidence, il concèdera au prime abord que le Togo était en conflit, avant de se raviser, lorsque le journaliste lui avait fait un petit exercice de vocabulaire au terme duquel il a dû comprendre que le terme « conflit » était plus grave que celui de crise. C’était une véritable guerre sémantique. Un pays où chaque semaine est rythmée par des manifestations de rue qui dégénèrent souvent en affrontements, où le recours à la formule « dialogue » est devenu quasi-permanent, où règne un climat de méfiance prononcée entre les acteurs politiques, et où un front contestataire appelle à une insurrection et, plus tard, au départ du Chef de l’Etat du pouvoir à travers le slogan : « Faure Gnassingbé must go ! Faure doit partir ! » n’est pas crise, selon Arthème Ahoomey-Zunu. Et à sa suite, ses obligés qui s’affublent pompeusement du titre de leaders d’opinion. L’un d’entre eux, devenu champion de l’intox et « porte-parole bis du gouvernement », a d’ailleurs réussi à se faire cuisiner par plus jeune que lui, sur une radio de la place. Comme son patron, il a même demandé les éléments qui entraient dans la définition de la crise et démontré combien un militantisme gueux pouvait altérer la faculté des gens à raisonner, mieux, leur bon sens.
 
Mais tout ce beau monde vient d’être cloué au pilori. La Cour constitutionnelle, saisie par requête du président de l’Assemblée nationale, M. Abass Bonfoh, a rendu un avis, riche en enseignements. Pour certains, c’est un cinglant revers pour Arthème Ahoomey-Zunu et ses « avocats » : « Considérant que l’article 52, alinéa 2 de la Constitution dispose, en ce qui concerne l’élection de nouveaux députés, que : « les élections ont lieu dans les trente jours précédant l’expiration du mandat des députés. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième mardi qui suit la date de proclamation officielle des résultats » ; qu’il en résulte que le mandat des députés de l’actuelle législature a débuté le 13 novembre 2007, date à laquelle s’est tenue la première séance de la session de droit ; considérant, en conséquence, que de nouvelles élections législatives auraient dû avoir lieu dans la période allant du 12 octobre au 11 novembre ; considérant que les élections législatives n’ont pu avoir lieu dans les délais constitutionnels sus-indiqués ; considérant cependant que la Constitution, en son article 52, alinéa 11 dispose que « Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sortants, par fin de mandat ou dissolution, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs » ; que les députés sortants restent sous le régime de l’article 52, alinéa 11 de la Constitution », l’Assemblée nationale « Est d’avis que les députés de l’actuelle législature élus le 14 octobre 2007, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs ».
 
Les députés arrivés en fin de mandat restent néanmoins en fonction car les élections devant renouveler l’Assemblée nationale n’ont pu se tenir entre le 12 octobre et le 11 novembre, délai constitutionnel. C’est l’essentiel à retenir de cet avis de la Cour Constitutionnelle. En effet, l’article 52 de la Constitution togolaise enferme la tenue des élections « dans les trente (30) jours précédant l’expiration du mandat des députés». Même son de cloche du côté du législateur communautaire qui prévoit à l’article 2 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole de la CEDEAO. « Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la constitution ou les lois électorales ».
 
La lecture combinée de ces deux dispositions met donc hors la loi la présente situation. Mais la Constitution a elle-même prévu la formule pour la régler: « Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sortants, par fin de mandat ou dissolution, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs ». Bref, les députés actuels restent en fonction jusqu’aux prochaines élections.
 
Mais le hic, c’est que le bon sens peine à comprendre par quelle alchimie, un pays secoué par de simples tensions politiques comme on en enregistre partout ailleurs, a pu se retrouver dans une telle situation inconstitutionnelle. Comment un pays non en crise a-t-il pu ne pas organiser dans le délai constitutionnel le scrutin devant renouveler les membres de l’Assemblée nationale ?
 
Le fonctionnement normal du Parlement, l’une des institutions clé de la République n’est-il pas entamé par le maintien en fonction des députés dont le mandat a normalement pris fin depuis dimanche, 11 novembre dernier ? Dans quel pays non en crise, le parlement n’est-il pas renouvelé à temps ? Les interrogations de cette nature, on pourrait les multiplier à l’infini. Mais seule la situation de crise permanente au Togo peut justifier ce scénario inconstitutionnel. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’Arthème Ahoomey-Zunu reconsidère sa position si la même question lui est posée aujourd’hui, de savoir si le Togo est en crise ou non. Vendredi prochain, il convie les acteurs politiques togolais à un nième dialogue. Tous les acteurs de l’opposition accepteront-ils d’y prendre part ? Y aura-t-il cette fois-ci la fumée blanche, la recette miracle à cette crise? Pour l’heure, ce sont les grandes inconnues.
 
Magnanus FREEMAN
 
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