Par Maryse QUASHIE

A l’occasion de la rentrée 2020-2021
« EDUQUER OU PERIR »

Eduquer ou périr, j’ai emprunté à Joseph KI-ZERBO, le titre d’un de ses ouvrages, comme j’aurais pu citer Nelson MANDELA qui affirme que  « L’éducation est l’arme la plus efficace qu’on puisse utiliser pour changer le monde ». J’aurais également pu évoquer cette pensée  de Confucius qui incite à apprendre à pêcher à celui qui a faim plutôt que de lui donner un poisson, ou enfin ce proverbe africain mettant l’accent sur l’importance de l’éducation comme préparation à la vie : «  ce n’est pas le jour de la chasse qu’il faut élever un chien. »

En fait, vous le savez, de nos jours il suffit de consulter Internet et le premier venu peut trouver des centaines de citations, dictons, déclarations, etc. A cause de cela chacun se croit apte à donner un avis autorisé sur toute question d’éducation, d’autant plus que tout le monde a une expérience en ce domaine. 

Cela a le don de nous agacer, nous autres spécialistes de Sciences de l’Education. Mais aujourd’hui qu’apportons-nous de plus que le commun des mortels à la résolution des problèmes d’éducation dans notre pays ? Je ne veux même pas parler de l’éducation en général mais de l’éducation donnée dans le système scolaire. 

Je me complaisais, je crois bien, dans l’illusion que la situation changerait lorsqu’il y aurait une masse critique de personnes de haut niveau en Sciences de l’Education. 

Je me rends compte de mon erreur : plus d’une trentaine de docteurs en Sciences de l’Education ont été formés ces dernières années en plus de ceux qui étaient déjà en exercice. De plus, la gestion de la crise du COVID-19 a permis d’en faire le constat : c’est le Ministère des Enseignements Primaire et Secondaire qui, comparativement aux autres ministères compte le plus de spécialistes : inspecteurs, conseillers pédagogiques, enseignants et personnes ayant accumulé de l’expérience dans le domaine de l’éducation sont bien plus nombreux que les administratifs purs. Pourtant c’est dans le domaine de l’éducation, qu’il y  a apparemment eu le plus d’hésitations, d’atermoiements et de décisions sans fondements rationnels, etc. Devant cela, on pouvait s’attendre à un tollé de protestations à l’endroit des autorités de l’éducation nationale. 

D’abord de la part des  parents : 

–           parce qu’on n’a rien proposé à leurs enfants pendant les semaines d’interruption des enseignements dans les écoles, à part quelques semaines de préparation aux examens ;

–           parce qu’ après les examens,  on a interdit toute activité de mise à niveau dans les établissements qui pouvaient offrir ce service aux élèves ; 

–           enfin parce qu’on a attendu, le 16 septembre 2020, soit cinq semaines avant la rentrée pour faire une déclaration d’intention, alors que la date de la rentrée avait été annoncée pratiquement dix semaines avant cette déclaration. 

Malgré tout cela, les parents ne se sont pratiquement pas exprimés depuis six mois. Peut-être n’ont-ils pas compris assez tôt ce qu’on voulait faire de leurs enfants ?

Ensuite on pouvait attendre des contestations de la part des enseignants, sollicités pour donner des enseignements en présentiel dans les classes d’examen, employés pour l’organisation et la mise en œuvre des examens dans des conditions exceptionnelles, mais toujours laissés dans le flou, notamment  quant aux exigences pédagogiques pour la rentrée 2020-2021. 

Les syndicats commencent à bouger, même si cela ressemble un peu trop à ce qui se passe à chaque rentrée. Ce qui est dommage, c’est qu’il s’agit pour eux essentiellement de revendications d’ordre financier, c’est normal, étant donné les difficultés que les enseignants vivent au quotidien, mais, ce dont ne disent rien les syndicats, c’est qu’on va encore recruter d’autres enseignants, sous prétexte de réduire les effectifs, à cause de la double vacation et autres mesures peu rationnelles. Par exemple : de quelle taille doit être une classe où on doit avoir 30 tables-bancs (deux  élèves par bancs, soit 60 élèves) avec une distance raisonnable entre les tables-bancs, et une table pour l’enseignant à la distance prescrite des élèves ? Toutes les classes ont-elle au moins cette taille ? 

On va donc encore recruter des enseignants, les « former » quelques jours (ou semaines ?) et les balancer dans les classes. Des classes formées d’enfants qui sont restés hors de l’école  pendant six mois : comment les nouveaux enseignants vont-ils aider ces élèves à rattraper leur retard ? Et comment s’appellera cette nouvelle catégorie d’enseignants qu’on aura du mal à payer (et à titulariser dans quelques années) : Les Enseignants Volontaires COVID ?   

Enfin de la part des Spécialistes en Sciences de l’Education, on était en droit d’attendre l’expression de leurs inquiétudes à cause  de tout ce qui vient d’être dit et donc du désastre auquel il faut s’attendre au plan éducatif  dès cette rentrée et dans les années à venir. Mais de leur part, il y a eu un silence assourdissant ! 

Pourtant sur les réseaux sociaux, sur les plates-formes qui leur sont réservées, parents, enseignants et spécialistes de Sciences de l’Education se déchaînent ! Tout le monde parle de tout, on discute avec passion…

Pourquoi ? Il me semble qu’en tout premier lieu c’est à cause de ce que permettent nos nouveaux moyens de communication qu’on appelle les réseaux sociaux. Il s’agit des platesformes réservées à tel ou tel groupe. Cela correspond exactement à ce qu’on fait lorsqu’on se réunit entre amis et qu’on lance un sujet de conversation. On peut discuter avec passion, ne pas être d’accord les uns avec les autres mais on ne court finalement pas trop de risque ! Il y a un entre soi qui donne une garantie de sécurité. Ce n’est pas la même chose qu’une lettre de protestation adressée à un ministre !   

La seconde raison, et peut-être la plus importante, c’est que de toutes les façons, on ne se sent pas suffisamment concerné pour s’engager à protester qu’il y ait risque ou pas à le faire.  En effet, nous les spécialistes de Sciences de l’Education évoquons une raison fondamentale pour ne pas réagir : cela ne servirait à rien car les autorités de l’éducation nationale tiennent rarement compte des remarques, et en tous les cas, par où commencer, il y aurait trop à faire car rien ne marche mais les autorités ne demandent guère notre avis. 

 Et lorsqu’on nous demande : « Quand allons-nous nous prévaloir de notre expertise pour nous mettre à un travail qui est le nôtre ? » parmi les réponses plus dilatoires les unes que les autres on a parfois une réponse des plus étranges : «On réalise des choses sans se faire remarquer ! », en quelque sorte dans l’ombre. Qu’est-ce que cela signifie ?  Que de nos jours la parole de l’expert doit s’élever dans la clandestinité et dans une certaine solitude ? Quelle chance a-t-elle alors de toucher les citoyens, de les éclairer sur les problèmes et les défis de l’heure ?   

En fait nous spécialistes de Sciences de l’Education pensons que nous pourrons nous en sortir comme tous les intellectuels, peut-être même mieux, puisque nous sommes les meilleurs en matière d’éducation. Nous allons choisir les meilleures écoles pour nos enfants, nous leur assurerons un suivi exceptionnel à la maison, nous les préparerons au mieux aux examens. De plus si quelqu’un nous demande des conseils, nous en donnerons, nous continuerons à discuter éducation sur les réseaux sociaux. Nous aurons fait notre travail de spécialistes en Sciences de l’Education, et serons agacés qu’on ne nous prenne pas au sérieux dans ces discussions !   

Mais il y a un problème : tout le monde peut le constater, notre système scolaire continue à se dégrader. Non seulement la qualité diminue selon le type d’école mais les ravages s’étendent à des secteurs où on ne les trouvait pas avant. Bref, il devient de plus en difficile de trouver les « meilleures » écoles pour nos enfants (les plus coûteuses ne sont d’ailleurs pas les meilleures), les envoyer à l’étranger dès leur plus jeune âge ? Difficile à envisager avec nos revenus ! 

Alors que faire ? Apparemment tout le monde, donc nous aussi, en sommes réduits à subir un système de formation avec lequel dans le fond nous ne sommes pas d’accord mais auquel nous pensons que nous ne pouvons rien changer. 

S’il en est ainsi qu’allons-nous devenir alors que tant d’analyses débouchent sur ce constat : aucun changement ne peut advenir sans trouver son fondement dans des questions d’éducation. En fait si ce constat contient ne serait-ce qu’une part de vérité, alors, nous les spécialistes d’éducation sommes doublement responsables de ce qui se passe dans notre pays : en tant qu’intellectuels qui ne se préoccupent pas d’être des veilleurs, et en tant qu’universitaires dont le domaine de spécialité est l’éducation. 

Voilà pourquoi, je me sens obligée d’écrire cette lettre ouverte. Allons-nous accepter de porter cette lourde responsabilité ? Doit-on attendre que celui qui est en face de nous promette de tenir compte de ce que nous allons dire avant de nous exprimer ? Dans ce cas qui informera les citoyens parents d’élèves ? 

Est-ce que finalement cela nous arrangerait, nous aussi, qu’il n’y ait aucun vrai questionnement sur l’éducation dans notre pays, pas de débat citoyen qui permette de répondre aux questions axiales suivantes : 

–           Sur quelle éducation de base du citoyen pourrait-il y avoir un consensus ? Qu’attendons-nous de l’école ? Quelles valeurs doit-elle transmettre ? Quel profil de citoyen doit-elle favoriser? 

–           Qui est le premier responsable de cette éducation de base ? L’Etat au nom du droit de tous à l’éducation ? Si oui, quelles relations avec ceux qu’on nomme pudiquement les partenaires techniques et financiers (PTF) qui tentent d’imposer leurs choix à cause de leurs financements ? 

–           Pour la suite de l’éducation de base comment répondre à la question cruciale de la professionnalisation ? Quels liens entre les options politiques d’ordre économique et les choix pratiques d’ordre éducationnel ?

–           Quelle est la finalité de l’enseignement universitaire dans ces choix politiques : tout le monde est-il destiné à entrer dans l’enseignement supérieur ?

–           Quel traitement réserver aux professionnels de l’éducation à qui on confie la responsabilité de mettre en œuvre les réponses à toutes ces questions ? 

Les hommes politiques qui briguent le pouvoir ont-ils une réponse claire à toutes ces questions ? Or, ces interrogations doivent être continuelles car elles permettent à tout citoyen d’avoir prise sur le système scolaire auquel il contribue financièrement en payant des impôts. Il faut donc veiller aux mécanismes qui garantissent la participation de tous aux orientations données à l’éducation. Ainsi il ne saurait être question d’une décentralisation mal pensée et travestie en « déconcentration ». 

Qui va avoir le courage d’ouvrir ce débat essentiel pour que l’école togolaise redevienne le lieu de la recherche de l’excellence au lieu du repaire de tous ceux qui considèrent l’éducation comme une simple source de revenus ?  

Qui va prendre la parole pour que l’école installée au Togo devienne NOTRE ECOLE, celle qui nous ressemble, celle à qui nous faisons confiance pour former nos enfants bâtisseurs de notre avenir ?

Spécialistes en Sciences de l’Education, je vous fais appel pour que nous n’ayons pas partie liée avec les médiocres et les corrompus, les peureux et les planqués, le devenir de notre profession en dépend, mais surtout l’avenir de toute notre jeunesse est entre nos mains !   

Par Maryse QUASHIE

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