C’est un secret de polichinelle, les corps habillés constituent une institution à part entière dans notre pays, à laquelle sont accordés des passe-droits. Comme le traitement particulier qui leur a été réservé de faire des démentis intempestifs durant la phase des audiences de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation. Ou comme l’élaboration de rapports sur l’état de la Nation. Les Forces armées togolaises n’ont pas dérogé à la règle cette année. Elles ont présenté leur rapport sur l’état de la Nation, plutôt leur allégeance à leur chef suprême, peignant un Togo hyper radieux sous Faure Gnassingbé. Tout le contraire de ce que vivent les populations au quotidien. C’était vendredi matin à Lomé, au lieu de Kara préalablement prévu. Certainement à cause de la contestation estudiantine.
« Depuis votre avènement à la magistrature suprême, vous vous êtes résolument engagé pour la création d’un environnement de paix et de concorde, de sécurité et de stabilité démocratique dans notre pays. Votre vision pragmatique, vos méthodes et votre démarche sans doute singulière, ont permis entre autres, la décrispation du climat politique, renforcement des acquis démocratiques et la reconquête de la confiance des partenaires au développement », trouvent les Fat. Parlent-elles du même Togo, celui dans lequel nous vivons ? Y a-t-il vraiment une décrispation du climat politique ?
On constate drôlement que l’atmosphère est plutôt devenue tendue, bien plus qu’avant. En tout cas Faure Gnassingbé et son challenger à la dernière présidentielle ne sont pas en de bons termes. Le Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac) marche tous les samedis pour contester son pouvoir et fustiger sa gérance. Le parti de Jean-Pierre Fabre, l’Alliance nationale pour la changement (Anc), et la seconde formation de l’opposition, le Comité d’action pour le renouveau (Car) boycottent le dialogue qu’il a initié. Ce qui lui enlève toute légitimité. Cela se dénote d’ailleurs dans les appels constamment lancés aux deux partis afin qu’ils rallient le Cadre permanent de dialogue et de concertation. Ce qui s’y passe est d’ailleurs loin d’un « dialogue franc et sincère », comme le font croire les Forces armées togolaises. Combien de voix ne se sont-elles pas élevées pour fustiger la façon dont les choses se passent ?
Nicolas Lawson était le premier à dégainer. Dans un courrier adressé à Faure Gnassingbé, il a aligné toute une série de mots (infatuation, infamie et autres) pour qualifier le désordre qui y a court. Mais contre toute attente, après quelques semaines de boycott, le voilà qui accourt de nouveau au Cpdc. Difficile de dire si l’homme est sérieux dans sa démarche, mais toujours est-il qu’il a eu une fois à dénoncer la pagaille au sein de ce machin. Agbeyomé Kodjo y est aussi allé de sa touche, menaçant même de se retirer. L’opposition y est mise en minorité et ses points de vue ne peuvent s’imposer sur aucun point, si le Rassemblement du peuple togolais (Rpt) n’y appose pas son cachet. Comment pouvait-il d’ailleurs en être autrement, lorsque les membres de ce Cadre sont désignés par le pouvoir et Faure Gnassingbé, des parties prenantes à la crise, sur des bases que nul autre ne maîtrise ?
Le 22 novembre 2010, neuf (09) élus du peuple ont été exclus de façon inique de l’Assemblée nationale. Une bien belle régression démocratique. L’affaire a été portée devant l’Union interparlementaire qui a planché là-dessus et appelé l’Etat togolais à réintégrer les malheureux députés. La Cour de justice de la Cédéao viendra assener le coup fatal le 7 octobre 2011, en notant des violations en règle des droits des requérants. Ainsi elle a condamné l’Etat togolais à les réparer et à payer à chacun la somme de trois (03) millions francs CFA à titre de dommage et intérêt. Mais depuis lors Faure Gnassingbé et les siens ferment les yeux sur le côté réintégration. L’Anc l’a posée comme condition de sa participation aux discussions au Cpdc. Mais l’organisateur du « dialogue franc et sincère » s’en moque jusqu’à présent. Le hic, c’est en ce moment même qu’on crie à la réconciliation. Cela ne saurait « créer un véritable climat de confiance entre tous les Togolais », et ce pseudo « souci de réconcilier les fils de la nation togolaise » n’existe pas.
N’est-ce pas très cocasse de prendre le dispositif de l’arrêt du 15 septembre dernier de la chambre judiciaire de la Cour Suprême du Togo dans l’affaire du complot contre la Sûreté intérieure de l’Etat et le déroulement même dudit procès, comme la marque d’une « justice juste et équitable » et parler d’intérêt de Faure Gnassingbé pour le «respect des droits de l’Homme » ? C’est malheureusement ce que font croire les corps habillés. Et pourtant tous les Togolais ont suivi le déroulement de ce procès ! Kpatcha Gnassingbé a été jugé sans levée de son immunité parlementaire. Les inculpés ont été soumis à des séances de tortures et autres traitements inhumains et dégradants et les révélations faites au cours du procès. Mais la cour a presque béni les auteurs de ces crimes imprescriptibles en les aidant à évacuer les questions. Malgré toutes les exceptions soulevées par les avocats de la défense, Kpatcha et les siens ont été lourdement condamnés ; non seulement ils sont privés de liberté, mais en plus ils sont déchus de leurs droits civiques et les biens du député confisqués.
La bonne gouvernance criée par les Fat, ce n’est pas un mot, mais un comportement. Cela se vit et se constate. Elle est incompatible avec la corruption. Mais en la matière il se fait que le Togo fait partie des champions. Le récent classement de Transparency International range le Togo dans les quarante pays les plus corrompus au monde. L’Etat togolais a été sommé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (Fmi) de reprendre l’appel d’offres d’attribution du marché d’exploitation du phosphate carbonaté (estimé à une centaine de milliards FCFA) en passe d’être cédé de gré à gré à la Sultan Corporation. Les exemples sont légion.
Est-ce vrai que la méfiance entre les corps habillés et les civils est brisée ? Peut-on brandir comme un trophée de chasse la création d’une Cour des comptes qui n’est pas active ? Au demeurant, il faut constater que la sortie des Fat visait juste à faire allégeance à Faure Gnassingbé. Et cela s’est remarqué tout au long du fameux rapport. L’usage excessif des possessifs « votre » et « vos » et du pronom personnel « vous » les trahit bien. On en a dénombré en tout une bonne quarantaine. Et tout s’est terminé par une réaffirmation de « leur fidélité et leur loyauté » à Faure Gnassingbé.
Tino Kossi
source : liberté hebdo togo