Par  Maryse QUASHIE   et   Roger E. FOLIKOUE

Les Togolais attendent une solution au « contentieux  » post-électoral qui dure depuis plusieurs mois déjà et semble sans issue. Car à l’affirmation « la crise politique est derrière nous » du Gouvernement, les partis de l’opposition répondent: « Non elle n’est pas derrière nous puisque nous y sommes toujours ». 

De la solution à cette crise dépend le bonheur de tous et pourquoi pas une éclaircie quant à l’horizon du vivre ensemble dans notre pays. Pourtant si on leur présentait un schéma avec une alliance tout à fait improbable aujourd’hui entre telle et telle personnalité totalement opposées, il y aurait sans aucun doute beaucoup de personnes qui l’accepteraient en disant : « c’est la politique ». Et la personne qui essaierait d’émettre un doute en évoquant l’idée d’une alliance contre nature ou d’une possibilité de mensonge serait vite renvoyée à son manque de connaissance de la politique.

Ainsi en est-il des promesses faites et non réalisées, de la parole donnée et non tenue, du divorce entre le dire et le faire, mais aussi des calomnies et des compte-rendu approximatifs,  des résultats truqués de performances nationales et d’élections : « C’EST LA POLITIQUE ! ».

Est-ce à cause de ce compromis fréquent avec la vérité que OUATTARA reproche à KONAN BEDIE et ses compagnons d’agir en dehors de l’ordre constitutionnel auquel il leur demande de revenir, lui qui a justement brisé l’ordre constitutionnel en se présentant pour un troisième mandat ? « C’EST LA POLITIQUE », n’est-ce pas ?  

Toutes  ces situations se verraient-elles décerner un caractère d’acceptabilité  parce qu’on est en politique ? Cela signifie-t-il qu’en politique on peut dire tout ou se montrer rouge aujourd’hui et noir demain sans que cela ne soit choquant ? N’y aurait-il pas de vérité et d’honneur en politique ?

A tous ceux qui osent émettre des doutes sur les liens systématiques entre mensonge et politique, les donneurs de leçons sur la politique prétendent qu’en politique on se doit d’être réaliste. Comment comprendre cela ? 

Cela correspond peut-être à ce qu’on appelle d’après un mot allemand la « realpolitik », terme apparu au 19ème siècle pour décrire la politique de BISMARCK dans sa recherche d’alliances afin de faciliter l’unité de l’Allemagne  et d’assurer ainsi l’équilibre entre les puissances européennes. 

La realpolitik se comprend alors comme une stratégie politique fondée non pas sur des considérations idéologiques ou sur des jugements de valeur mais sur des éléments plutôt économiques ou géopolitiques.     

Mais la politique doit-elle toujours être une realpolitik ? Cette dernière ne doit-elle pas, au plan des nations,  être exceptionnelle au nom de valeurs communes aux peuples qui veulent cheminer ensemble ?  Ainsi les populations de l’espace CEDEAO, peuvent-elles accepter, au nom d’un réalisme falsifié et de la nécessité de préserver on ne sait quelle paix, que ses représentants félicitent chaleureusement Alpha CONDE après les élections du 18 octobre précédées et accompagnées de morts et de blessés, et lui présentent leurs vœux de réussite «dans sa mission pour le bénéfice des Guinéens et de la République de Guinée ». 

Quel bénéfice ? Celui d’un troisième mandat arraché dans le sang des Guinéens ? Est-ce là le  langage recommandé en politique, le réalisme  dont il faudrait faire preuve? Cela ne ressemble-t-il pas plutôt à du cynisme (au sens philosophique de la doctrine  qui prône le retour à la nature en faisant fi des conventions sociales et au sens commun de l’expression d’opinions et de sentiments contraires à la morale) ?

Quand les institutions nationales, sous régionales et internationales perdent leur boussole et ne favorisent plus le vivre ensemble peuvent-elles encore se prétendre être des références et à ce titre être normatives ? Est-ce surtout acceptable ?

Si on répond oui, cela signifie qu’en politique règne un pragmatisme systématique qui n’est jamais limité par la morale ou l’éthique. A quel vivre ensemble seraient alors soumis les citoyens ? La loi de la jungle car si le mensonge devient un élément constitutif de la politique, alors on pourrait utiliser n’importe quel moyen pour justifier toutes les fins politiques, en faisant fi de toute valeur, comme celles défendues dans les Droits de l’Homme. Est-ce là le projet de société que veulent construire tous ces chefs d’Etat qui ne cessent pourtant de nous parler de paix et d’harmonie ?   

Venons-en au plan individuel. Tout citoyen devenu un homme politique devrait donc non seulement accepter le mensonge chez les autres mais s’en donner l’habitude au nom du réalisme ? Quel type d’analyse des faits sociaux produirait-il ? Quel projet proposerait-il pour le vivre ensemble ?  Et dans la cacophonie des mensonges,  à qui le citoyen électeur pourraitil se fier ? A celui dont il peut profiter immédiatement ou à celui qui lui fait des (fausses) promesses ? La graine de la corruption serait ainsi mise en terre et surtout bien arrosée.

Et celui qui devra gérer l’argent du contribuable ne serait-il pas justifié de le détourner dès que l’occasion s’en présentera, plutôt que d’écouter les promesses de ceux qui disent que l’honnêteté finit toujours par payer ?  

Finalement, ne trouvez-vous pas que notre pays ressemble à cet univers effrayant créé et guidé par le mensonge ?

Il manque une seule image à ce tableau : celle du citoyen dont on dit sans gêne  « ventre affamé n’a point d’oreilles ». Cela signifie que la faim constitue une priorité absolue face à la possibilité de  convaincre quelqu’un. Oui le citoyen togolais est pauvre, très pauvre mais estce pour autant qu’il ne serait plus sensible à aucun autre appel qu’à celui de manger ? 

N’y a-t-il pas quelque chose d’insultant dans cette image ? Les citoyens auraient-ils perdu tout attachement aux valeurs que leur ont transmises leurs ancêtres, vérité et solidarité, justice et paix, ne devenant que des ventres à remplir ? 

Heureusement les réactions des Togolais nous rassurent. Beaucoup d’entre eux sont tellement choqués par le mensonge qui règne dans notre espace public qu’ils ont d’abord commencé par s’éloigner des hommes politiques, puis de la politique en général comme nous l’avions déjà remarqué dans notre dernière tribune. 

Comment construire alors notre pays, la CEDEAO sans hommes politiques préoccupés d’honnêteté, d’intégrité et de vérité ? Comment faire croire aux jeunes que l’homme politique qui aime sa nation et veut le bonheur de son peuple ne peut pas asseoir son discours sur le mensonge ? Comment convaincre les jeunes que si un homme politique ne peut pas à un moment donné livrer toute la vérité, ce n’est pas par choix du mensonge mais c’est « à son corps défendant » ? 

Comment leur faire entendre autre chose que ces proverbes démobilisateurs à l’image de « ventre affamé n’a point d’oreilles », « la vérité blesse », « un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras » », « il n’y  pas de petits gains » et autres « Primum vivere deinde philosophari (vivre d’abord, philosopher ensuite)».

La politique n’est-elle pas quelque chose de plus noble que ce qu’on nous présente ? A quand ces hommes et femmes qui auraient compris que le mieux être ensemble dans la justice, la vérité et la co-responsabilité est la finalité de la politique ?     Lomé, le 13 novembre  2020

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