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Le regard tourné vers Le Togo, où il briguera à nouveau la magistrature suprême en 2015, Kofi Yamgnane vient de publier « Afrique, introuvable démocratie ». Un récit sans complaisance où l’ancien secrétaire d’État à l’Intégration de François Mitterrand décrit ce qui mine le continent et son pays natal.

 

Télégramme : À qui s’adresse ce livre ?

 

Kofi Yamgnane : Je veux mobiliser les Africains afin qu’ils comprennent que ce qui se passe chez eux n’est pas normal. Partout, les peuples réfléchissent à la démocratie. Pas les Africains. J’en veux aussi aux intellectuels africains qui, cinquante ans après, sont toujours plus préoccupés à dénoncer le colonialisme qu’à inventer un autre avenir pour le continent. Mais je m’adresse aussi aux pays occidentaux. Pour être corrompu, il faut un corrupteur. Que les gouvernants occidentaux arrêtent de soutenir les dictateurs corrompus !

 

Télégramme : Justement, sur ce sujet, on vous sent déçu par le président Hollande.

 

Kofi Yamgnane : Pas déçu mais je reste en demande. Lors de la campagne 2012, il avait déclaré que c’en était fini de la Françafrique. Si l’intervention au Mali se justifiait, ailleurs sur le continent, la realpolitik nous a rattrapés. Je suis le premier à dire que la démocratisation de l’Afrique est avant tout une question africaine. Mais le président français devrait être plus pugnace avec les gouvernants qui ne respectent pas leur peuple.
 

Télégramme : Vous dîtes que les Africains doivent prendre leur destin en main mais, en même temps, vous décrivez une société togolaise totalement paralysée par la peur…

 

Kofi Yamgnane : C’est fou, tout le monde a peur de tout le monde ! C’est ce qui m’a le plus frappé en débarquant à Lomé pour la campagne précédente. L’espion est partout, en tenue militaire ou en civil. Tous les téléphones sont sur écoute. Les chauffeurs de taxi sont les serviteurs du pouvoir et lui rapportent, le soir venu, les conversations. Le chef traditionnel tremble devant le préfet qui a peur de son ministre. Ce dernier a la trouille du président qui a lui-même peur de ses généraux, lesquels ont peur les uns des autres. Le Togo, c’est, sous les tropiques, le régime soviétique dans ses jours les plus sombres !

 

Télégramme : Plus surprenant, vous remettez en cause la « sécurité sociale » africaine, ce système d’entraide au sein des clans familiaux, dont vous dîtes qu’il freine le développement.

 

Kofi Yamgnane : Oui, j’ai fait ma révolution sur ce sujet. Longtemps, j’ai pensé que cette organisation était l’un des atouts de l’Afrique car elle empêchait des millions de gens de mourir de faim. Cela reste vrai mais aujourd’hui, je constate surtout qu’elle est l’un des principaux freins à la modernisation économique et politique du continent. Ce système bride l’envie d’entreprendre et empêche les individus de prendre en main leur propre destin. Les masses d’argent expédiées par les millions d’Africains de la diaspora n’arrangent rien. Cette culture de l’assistanat tue l’Afrique.

 

Télégramme : Vous semblez très sceptique sur la possibilité de renverser le gouvernement togolais par la voie des urnes. Pourquoi y retourner alors ?

 

Kofi Yamgnane : Il m’arrive de me dire que je suis maso. Il y a un tel système de prébendes que le défi semble, en effet, voué à l’échec. Mais en 2010, on a fait bouger les lignes. Des gens se sont levés, pendant des mois, il y a eu des manifestations à Lomé, malgré la répression. J’ai participé à l’éveil des consciences et aujourd’hui, plus personne ne veut des gens en place. En 2015, il faudra que le président Gnassingbé et ses partisans trouvent une autre excuse que la dernière fois puisque j’ai réglé le problème de ma date de naissance. Si j’arrive à faire que la prochaine élection soit bien contrôlée, ils seront battus !

 

Télégramme : Vous misez aussi beaucoup sur les femmes.

 

Kofi Yamgnane : Quand tu arrives dans un village, tu as une photo instantanée. Il n’y a pas de femmes, elles sont aux champs, elles sèment, elles sarclent, elles récoltent, pour nourrir la famille, pendant que les hommes palabrent à l’ombre des manguiers. L’avenir du Togo et de l’Afrique tout entière passe par les femmes. Quand elles auront compris qu’elles peuvent s’organiser et entraîner les jeunes, l’affaire sera gagnée. Je vais bientôt repartir au Togo et je compte organiser ma campagne autour d’elles.

 

Télégramme : Comment réagissez-vous aux injures racistes à l’encontre de la ministre Christiane Taubira ?

 

Kofi Yamgnane : Ma maison de Saint-Coulitz est remplie de lettres anonymes insultantes à mon égard. Elles viennent toutes de la région Paca ou de Paris. Tout ça pour dire qu’il y a toujours eu des Français racistes mais la différence, c’est qu’ils avançaient masqués. Aujourd’hui, ces gens-là ont pignon sur rue et croient pouvoir banaliser un délit en opinion. On ne peut tolérer ça !

 
source : Télégramme
 

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