Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, Kofi Yamgnane, homme politique franco-togolais qu’on ne présente plus, réitère ses convictions sans langue de bois. Tout en confirmant son soutien au Front républicain pour l’alternance et le changement (FRAC), il affirme entre autres, « qu’il aurait fallu arrêter les marches du samedi et lancer des manifestations d’une autre nature ». Il conseille par ailleurs de « composer avec les éléments modérés et crédibles du RPT ». Le désormais Conseiller Afrique du candidat François Hollande nous fait partager également la perception du Togo par la Communauté internationale.
MO5-TOGO.COM : Quels sont vos rapports actuels avec le FRAC et Jean-Pierre FABRE, puisqu’on ne vous voit plus aux côtés du regroupement depuis quelque temps cependant, on continue d’associer Sursaut Togo officiellement aux actions du FRAC?
Kofi Yamgnane : Mes relations avec le FRAC sont toujours aussi cordiales qu’au départ. Malgré quelques divergences de vue, je suis régulièrement en contact avec les responsables, Jean-Pierre Fabre notamment pour suivre l’évolution de la situation sociopolitique de mon pays, le Togo. En effet, je pense qu’il aurait fallu arrêter les marches du samedi et lancer des manifestations d’une autre nature. En politique, rares sont les actions qui restent immuablement valables trop longtemps. La fatigue, surtout dans un peuple aussi malheureux que le mien, entraîne généralement la désertion progressive et fait perdre toute crédibilité à l’action. Etre responsable politique, c’est savoir s’arrêter au moment opportun pour faire le bilan. L’expérience de la fameuse «grève générale illimitée» des années 90 doit nous servir de leçon et de référence permanente. Par respect pour la divergence d’opinions qui reste une force démocratique, Sursaut est membre à part entière du FRAC dont nous avons été à l’initiative de la création. C’est donc notre devoir de le maintenir en vie et de le rendre encore plus crédible. Dans ce sens, nous allons bientôt proposer d’autres types d’actions pour faire renaître l’espérance du peuple togolais. Je dois en parler avec Jean-Pierre Fabre comme à tous les autres dirigeants du FRAC.
MO5-TOGO.COM : Que devient Sursaut Togo, étant donné qu’il est arrivé un temps où vous avez envisagé de le transformer en parti politique?
Kofi Yamgnane :Suite aux exigences de l’administration togolaise, j’ai déposé au tribunal de Lomé depuis mars 2011, le dossier pour harmoniser mes différents papiers d’identité ; une démarche courante dans notre pays. Pour le commun des Togolais, le Président Sogoyou signe ce genre de dossier dans la semaine suivant son dépôt sur son bureau. Mais, concernant Kofi Yamgnane… En tous cas, le dossier n’a toujours pas été signé un an après ! Que faut-il en penser ? Que je dérange ? Que je fais peur ? Le pouvoir togolais se vante à qui veut bien l’entendre que Kofi ne vaut même pas 5% de l’électorat. Alors, de quoi a-t-il si peur pour bloquer toutes mes démarches et ainsi m’empêcher de participer à la vie politique de mon pays ? Je pose cette série de questions à Faure Gnassingbé via Pascal Bodjona, son exécuteur de basses œuvres. En l’état actuel de ce dossier et conformément aux textes régissant la formation d’un parti politique au Togo, le RPT m’interdit d’être membre fondateur. Mais, il se trompe lourdement sur mes capacités. Quoi qu’il en soit, avec ou sans parti politique, nous serons présents aux élections législatives et nous avons suffisamment de militants pour aligner nos candidats dans les 81, 83, 85 ou 87 circonscriptions du Togo: le pouvoir de Lomé doit savoir qu’il devra compter désormais avec SURSAUT et son président.
MO5-TOGO.COM : Aujourd’hui vous vous retrouvez avec François HOLLANDE en tant que conseiller aux relations Afrique dans son équipe de campagne présidentielle de 2012, peut-on considérer que votre ambition présidentielle au Togo est à jamais enterrée ?
Kofi Yamgnane : François Hollande, candidat du PS, mon parti, m’a demandé de travailler à ses côtés pour lui faire profiter de mon expérience et gagner la présidentielle française de 2012. J’ai accepté cette mission au nom du militantisme que je pratique depuis 1983, date de mon adhésion au parti de François Mitterrand. Je sais aussi que ma participation à cette campagne me permettra de parfaire moi-même mon expérience politique au service de la démocratie et des droits de l’Homme. Mais, ce travail n’implique en rien mon renoncement au sort de mon pays de naissance. Il n’est un secret pour personne que j’ai milité au PS de 1983 à 2008. Mais, je suis rentré au Togo pour expliquer aux Togolais la prédation de ce pouvoir qui les gouverne. J’ai lancé des appels à la mobilisation et participé aux côtés de mes compatriotes, aux actions visant à nous débarrasser de ce régime anachronique pour goûter à la liberté, la dignité et au développement dont le RPT nous a dépossédés depuis des décennies. Mon présent engagement ne doit donc pas vous faire croire que mon «ambition togolaise est enterrée». Je l’ai récemment lu sur republicoftogo, ce site de désinformation au service du RPT et de ses sbires. Rien n’est plus faux: je reprends simplement mon souffle pour mieux sauter !
MO5-TOGO.COM : Jusqu’à preuve du contraire, la France a une forte influence sur la vie politique togolaise; pensez-vous que si votre candidat François HOLLANDE venait à être élu, cela pourrait favoriser le changement en Afrique francophone et en particulier le Togo ?
Kofi Yamgnane : Il ne faut jamais perdre de vue que, contrairement à l’image que renvoient certains chefs d’Etat africains, un président élu milite d’abord pour la prospérité de ses concitoyens et de son pays. Cela vaut autant pour Barack Obama que pour François Hollande ! Par le biais de la colonisation, la France et l’Afrique entretiennent des relations particulières sur plusieurs plans. L’étroitesse de cette relation fait que le sort de l’une ne peut laisser indifférente l’autre et réciproquement. François Hollande Président de la République française n’a pas vocation à imposer un dirigeant à un pays ami de la France. Tout au plus, dans le cadre des actions concertées avec l’Union européenne, veillera-t-il scrupuleusement au respect du droit des peuples à choisir librement leurs dirigeants: scrutins transparents, liberté d’expression, diversité de candidatures… Les exigences formulées pour la France le 26 janvier dernier par M. Hollande, sont également valables pour l’Afrique et pour le Togo: volonté, lucidité, transparence et avant tout clarté et justice. Le changement est à ce prix-là, et nous y veillerions rigoureusement si François Hollande venait à être élu, ce que je souhaite de toutes mes forces.
MO5-TOGO.COM : Que répondriez-vous à ceux qui seraient tentés de vous considérer comme un homme instable, tantôt prêt à abandonner sa nationalité française pour incarner la lutte politique au Togo, tantôt retournant pour œuvrer au sein du PS (Parti Socialiste) en France ?
Kofi Yamgnane : La lutte politique se mène sur tous les fronts possibles ! Les actions menées au pays ont aussi besoin d’être relayées en Europe, en Amérique, en Asie et partout ailleurs. L’illustre Nelson Mandela nous l’apprend bien dans son livre Un long chemin vers la liberté. Qu’importe le lieu d’où je mène le combat pour la libération du peuple togolais ; seules mes idées et mes convictions comptent. Et, je puis vous assurer qu’elles n’ont jamais variées ! Je suis un homme foncièrement de gauche. Je me bats donc pour la liberté des hommes sur tous les plans, l’égalité entre tous, la fraternité entre les hommes et la solidarité entre les peuples. C’est un message universaliste et humain, raison pour laquelle nous devons combattre le RPT, un parti totalement hermétique à toute valeur toute éthique. En effet, j’étais prêt à renoncer à la nationalité française si cela était nécessaire pour briguer un mandat au Togo. Souvenez-vous que c’était le premier argument que m’avait opposé le RPT. C’eût été un crève-cœur pour moi, mais j’y étais prêt. Mais, d’autres responsables politiques togolais étaient dans la même situation que moi. Et, comme ils ont su que je le savais, ils se sont précipités pour changer la loi. Grand bien leur a fait, car on aurait rigolé un peu ! Je suis au courant, mon entrée en campagne auprès de François Hollande a désappointé le RPT qui se perd en conjectures. Mais les Togolais, eux, ne sont pas désappointés, car je sais ce que je fais et eux aussi le savent. Je suis au combat à leurs côtés, de près comme de loin.
MO5-TOGO.COM : Certains de vos militants sont encore en prison au Togo, quelles démarches avez-vous faites en vue de leur libération ?
Kofi Yamgnane : Oui, Innocent Kokou Assima et Narcisse Azanléko, très proches collaborateurs, sont toujours dans les geôles togolaises, sans motifs, sans inculpation et sans jugement, depuis le 2 juillet 2010 ! J’ai d’abord tenté de négocier avec le pouvoir togolais. Mais comment négocie-t-on avec un pouvoir si arbitraire et sans foi ni loi ? J’ai saisi le gouvernement français, y compris par une question orale à l’Assemblée nationale… De guerre lasse, j’ai déposé une plainte devant la Cour de justice de l’UA. Je veux que l’Union Africaine prenne conscience du machiavélisme du pouvoir togolais pour ne plus lui accorder la crédibilité dont doit jouir tout membre d’un organisme panafricain. C’est un domaine où le changement de pouvoir en France nous sera vraiment d’une grande utilité. D’ores et déjà, et sans attendre cette échéance, toutes les organisations de droits de l’Homme françaises et européennes sont parfaitement informées de cette situation : c’est en conjuguant nos efforts que nous arriverons à tirer de ce mauvais pas Innocent et Narcisse.
MO5-TOGO.COM : Quel message avez-vous pour le peuple togolais en ce début d’année 2012 ?
Kofi Yamgnane : Peuple togolais, mes chers compatriotes, Je me suis battu à vos côtés pendant 16 mois pour préparer avec vous l’alternance politique dans notre pays. J’ai été ensuite dans la lutte pendant 3 mois pour revendiquer la victoire de Jean Pierre Fabre, notre victoire. Nous n’avons pas eu gain de cause face à un adversaire qui ne respecte pas les règles et qui en est à nous considérer comme des ennemis. Mon éviction de la course à la présidentielle est une injustice caractérisée, un vrai déni des droits de l’homme. Une plainte a été déposée en ce sens devant la Cour des Droits de l’Homme de l’UA. J’attends toujours le verdict de cette Cour. Je me félicite que Gnassingbé Eyadema ait pu diriger ce pays pendant 38 ans sans que personne ne lui ait opposé le fait qu’il ne connaissait ni le jour, ni le mois, ni l’année de sa naissance. Sinon, dans ce pays sans état-civil, plus de la moitié des Togolais ne pourraient jamais participer à la vie publique. En tout état de cause, ce fut pour moi une grande épreuve, même si elle est insignifiante à côté des injustices que vous subissez depuis près d’un demi-siècle. L’autre grande épreuve qui nous est commune, c’est la chaîne des trahisons de ceux qui, hier, se faisaient appeler «mentors»…et qui, aujourd’hui, ont capitulé en rase campagne, toute honte bue. Il y aura d’autres trahisons…ne vous en étonnez plus ! Les épreuves doivent grandir ceux qui les subissent et je sais qu’on grandit moins vite et moins bien «le nez sur le guidon». C’est la raison pour laquelle je me suis un peu éloigné du théâtre immédiat des épreuves et donc de vous, physiquement.
Cette longue absence m’a permis aussi de rencontrer beaucoup de dirigeants de ce monde. Ils m’ont livré leur analyse et leur vision de la situation de notre pays. J’ai tiré les justes leçons de cette analyse et de cette vision que l’étranger a de notre pays et de notre combat. Je vous les livre résumées dans les quatre conclusions ci-dessous. Faure Gnassingbé est perçu comme un homme qui ne s’intéresse ni à son pays, ni à son peuple. Il n’a du pouvoir qu’une conception de «consumérisme jouissif» personnel. Il faut donc qu’il quitte le pouvoir. Mais en même temps, l’opposition est bien trop divisée, trop émiettée pour être en capacité de proposer une alternative crédible. C’est pourquoi il est nécessaire et urgent de:
◦ Construire une opposition forte et crédible, parce qu’unie.
◦ Trouver une candidature de consensus en interne, rassurante à l’intérieur comme à l’extérieur, pour piloter l’alternance et opérer en douceur le changement ;
◦ Composer avec les éléments modérés et crédibles du RPT ;
◦ Comprendre que tous les acteurs traditionnels sont «au bout du rouleau»: le RPT perd ses cadres et la confiance de l’armée. Il se pose réellement la question de sa survie et son intérêt est de préparer une alternance pacifique. L’UFC n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ses militants et sympathisants sont désappointés par la trahison et la capitulation en rase campagne de leur mentor. Le CAR, la CDPA, le CPP, le PDR… pour ne parler que des principaux, ont perdu toute crédibilité. Seul le FRAC incarne aujourd’hui l’opposition.
M’appuyant sur ces quatre conclusions, je me propose de rassembler l’opposition au sein d’une seule et même formation politique. L’association SURSAUT, grâce à son projet de société popularisé lors de la campagne, grâce à ses réseaux tissés à travers tout le pays, peut être le socle naturel de cette nouvelle formation. Ses cadres, ses militants et ses sympathisants, qui se comptent déjà par centaines de milliers, seront organisés et formés pour aller convaincre tout le pays de la justesse de son projet pour le Togo. SURSAUT n’est pas seulement un parti d’alternance, c’est avant tout l’alternative que le Togo attend sur les plans politique, institutionnel, économique, social, environnemental… C’est pour cela que je lance en ce début d’année un appel en direction de tous les responsables politiques nationaux, y compris au-delà du FRAC, aux fins de leur proposer de se rassembler derrière moi dans l’intérêt supérieur de la nation. Nous bâtirons alors ensemble une nouvelle stratégie de conquête du pouvoir. Je vous l’exposerai le moment venu. D’ores et déjà, je reste convaincu, ma conviction en sort même renforcée, que l’alternance n’a jamais été aussi proche. Je le sais. Le RPT et ses alliés AGO le savent aussi. Cette alternance peut et doit se faire par la voie pacifique et démocratique. Je vous appelle à concentrer vos efforts sur cette voie-là et sur cette voie-là seulement.
Il nous faut encore beaucoup de courage et d’abnégation. Mais jamais il ne faut baisser les bras.

Vive la République, vive le Togo!
Bonne et heureuse année à toutes et à tous.
Propos recueillis par BONÉRO pour MO5-TOGO.COM
mo5togo.com

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