« Nous n’entendons pas céder à ces intimidations car pour nous, aucun sacrifice n’est trop grand lorsqu’il s’agit de libérer tout un peuple »
 
Au lendemain de leur relaxe intervenue plus de 24 heures après leur arrestation par la Gendarmerie nationale via le capitaine Akakpo, Me Raphaël Kpandé-Adzaré, président de la Ligue togolaise des droits de l’homme (LTDH), a bien voulu répondre à quelques questions qui, sûrement, taraudent bien des Togolais. Ils avaient été arrêtés au lendemain des manifestations des 12, 13, 14 et 15 juin organisées par le Collectif « Sauvons le Togo » (CST).
 
Me Kpandé-Adzaré, bonjour ! Vous avez été interpellés samedi dernier ensemble avec deux autres membres du CST et pour bon nombre d’observateurs, votre arrestation a pour but de décapiter le mouvement suscité par le CST. Avez-vous le même sentiment ?
 
Merci, j’adhère à ce que les observateurs disent, c’est-à-dire que le but est de décapiter le mouvement du CST. Ce qui s’est passé mardi dernier, c’est-à-dire le nombre de personnes sorties pour exprimer leur détermination face à l’injustice, face au déni de droit et de liberté, je pense que c’était révélateur puisque nous avons eu dans les rues plus de 500.000 personnes. C’est cela même qui a justifié la répression. Puisque la plupart du temps, le pouvoir avait affaire à 500 ou 1000 personnes mais cette fois-ci, la détermination a prouvé que le peuple togolais aspire à un changement. Notre interpellation, faite dans le but de décapiter l’élan du CST, est une manoeuvre visant à intimider des responsables que nous sommes et qui avons été interpellés. Mais nous n’entendons pas céder à ces intimidations car pour nous, aucun sacrifice n’est trop grand lorsqu’il s’agit de libérer tout un peuple à qui on a refusé des libertés. Je dirai que la détermination y est et le moral est encore plus haut et même si nous sommes dans la hantise d’un procès pénal, cela ne doit pas nous ébranler.
 
Que vous reproche-t-on?
 
Jusqu’à présent, personne ne le sait parce que ce sont les premières questions que nous avons posées au Colonel Défli et au capitaine Akakpo qui nous ont interpellés. Lorsque le capitaine Akakpo nous a appelés par téléphone, nous pensions à autre chose, autrement, nous allions prendre nos dispositions parce que Mes Ajavon, Afangbédji et moi-même appartenons à un corps. Nous avions pensé que c’était dans le cadre des défenseurs des droits de l’Homme et c’est pourquoi nous n’avions pas pris soin d’avertir l’ordre des Avocats, notamment Mme le Bâtonnier quoiqu’elle soit en voyage. Mais on ne nous a pas dit si on nous entendait en tant qu’auteurs, complices, témoins ou si c’est à titre de simples renseignements. Mais ce que nous avons constaté est qu’ils nous demandaient de choisir nous-mêmes en quelle qualité ils voudraient nous entendre, ce qui était vraiment absurde. Et en fin de compte, ils ont dit que c’est en qualité d’organisateurs des manifestations qui ont eu lieu d’abord le 27 avril 2012 à la place de l’Indépendance, manifestation qui a été réprimée, et les manifestations qui ont eu lieu les 12, 13 et 14 juin 2012. C’est à ce titre d’organisateurs qu’ils voulaient nous entendre. Mais ce que prévoit la loi du 16 mai 2011 est que la responsabilité en cette matière est personnelle et le principe de la personnalité des délits et crimes est tel que ne sont responsables que ceux qui ont personnellement participé à la commission de l’infraction. Et en tant qu’organisateurs, la responsabilité n’est automatique que dès lors qu’on prend les organisateurs comme complices, instigateurs ou comme personnes ayant participé personnellement à la commission des délits. Dans le cas d’espèce, nous ne sommes ni commanditaires et n’avons donné aucun ordre de porter atteinte aux biens publics et je pense ici que pénalement les organisateurs ne sont en rien responsables
 
Quelles sont les raisons qui ont conduit à votre relaxe ?
 
Je pense qu’entre-temps, nous avons été appelés au téléphone à venir à la Gendarmerie nationale. Ce que nous avons fait par courtoisie. Mais, arrivés au camp gendarmerie, on nous fait comprendre qu’il y a une procédure dans le cadre de laquelle on veut nous entendre. Et lorsque nous avons contacté le Substitut du Procureur, il dit qu’il n’est au courant de rien. Entre-temps, le conseil des ministres a dit qu’il y aura des poursuites parce qu’il y a eu des casses et c’est plus tard dans la soirée que le Substitut du Procureur, M. Dodzro, a fait son communiqué. Mais ce qui nous a laissés perplexes, c’est que c’était un jour férié et il n’y avait aucune flagrance de délit et le soubassement de l’infraction ne tient pas debout. Je pense qu’étant donné que nous sommes venus de nous-mêmes lorsqu’on nous a convoqués, c’est pour cela que le parquet aurait jugé mieux de dire que nous serons en attente d’un procès mais pour le moment, il faut quand même que nous comparaissions libres.
 
Voilà que vous qui faites partie du corps judiciaire, les Officiers de Police Judiciaire se permettent de vous détenir en foulant aux pieds les règles élémentaires, que pensez-vous que la population puisse se dire quand aux méthodes d’intervention des agents de sécurité ?
 
C’est ce qui nous étonne et qui est regrettable parce que nous sommes dans un pays où les choses ne se font pas dans les règles de l’art, conformément aux lois de la République. Nous l’avons dit à haute et intelligible voix qu’on ne saurait nous mettre en garde à vue parce qu’il n’y a rien qui justifiait cette mesure. C’est dommage et c’est ce qui se passe. Si la justice doit fonctionner comme ça, nous sommes très loin d’asseoir une démocratie et un Etat de droit. C’est inquiétant parce qu’à tout moment, lorsqu’on vous appelle, ou peut vous mettre en garde à vue sans vous notifier de manière claire et précise les charges qui pèsent sur vous. C’est grave. C’est déjà pitoyable que le parquet n’ait pas cru bon de diligenter des mesures judiciaires ou d’ouvrir des informations contre des gens coupables d’actes de tortures mais ait quand même trouvé le moyen d’ouvrir une information judiciaire contre de simples organisateurs de manifestations pour poser des revendications légitimes.
 
Avez-vous été maltraités au cours de votre interpellation ?
 
Non, il n’y a pas eu d’actes brutaux mais considérez que psychologiquement ce n’était pas bien. Le premier jour, ça allait même si après nos auditions ont duré des heures. Mais le second jour c’est-à-dire dimanche, les agents ont commencé à nous suivre partout, même pour uriner, comme des délinquants ; un état de chose contre lequel nous avons protesté avec véhémence. Nos portables ont été arrachés le samedi à 22h et le lendemain il a fallu que le capitaine Akakpo intervienne pour calmer ses agents auprès desquels nous avions protesté avant que les choses ne rentrent dans l’ordre.
 
Réalisée par Godson K.
 
 
source : liberte-togo.com