Qu’est-ce qui s’est réellement passé dans la salle du dialogue le 16 novembre dernier et qui a entraîné le départ d’une grande partie des invités en ne laissant autour de la table que les représentants du gouvernement et de certaines formations politiques les plus tolérantes à l’égard du pouvoir de Lomé ? L’un des acteurs et membres de la deuxième plus grande coalition de l’opposition togolaise revient sur le feuilleton du dialogue au micro de l’Agence Afreepress.
« Ce qui s’est passé en fait c’est qu’au début des travaux, le pouvoir n’a voulu parler que du processus électoral. Ce n’est pas le processus électoral qui nous intéressait, mais c’est le calendrier électoral et les conditions d’organisation de ces élections », a indiqué le président national du Parti démocratique panafricain (PDP) qui dit croire dans les chances de l’opposition togolaise de l’emporter lors des prochaines échéances électorales. « Nous sommes prêts à aller aux élections et nous sommes sûrs de les gagner puisque maintenant nous sommes unis », a-t-il fait savoir et de poursuivre en invitant le Président de la République Faure Gnassingbé à prendre la mesure des choses et à « laisser le pouvoir en 2015 ». « Mon frère le pays n’est pas une propriété des Gnassingbé, petit frère et Président de la République jusqu’en 2015, prenez congé vous êtes jeune », conseille M. Kagbara à l’actuel Chef de l’État du Togo. Lire l’intégralité de l’entretien.
Afreepress : Bonjour M. Kagbara, le 16 novembre dernier on vous a vu sortir de la salle du dialogue ouvert par le Premier ministre en colère, qu’est-ce qui s’est réellement passé pour que vous ne claquiez ainsi la porte ?
Bassabi Kagbara : Je vous remercie pour l’occasion que vous m’offrez de m’expliquer sur ce qui s’est passé le vendredi 16 novembre dernier. Ce qui s’est passé en fait c’est qu’au début des travaux, le pouvoir n’a voulu parler que du processus électoral.
C’est vrai que le Premier ministre avait dit qu’on pouvait aborder d’autres sujets. En fait ce n’est pas le processus électoral qui nous intéressait, mais c’est le calendrier électoral et les conditions d’organisation de ces élections.
Il y a des reformes institutionnelles sur lesquelles nous avions travaillé au niveau du Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC) qui ne sont pas encore mises en application et on nous appelle encore pour parler du processus électoral. Nous avions conclu que c’était pour nous tourner en bourrique comme de coutume, c‘est pour cela que nous avons exigé le report de la séance afin que chacun aille revoir le programme de travail avec un agenda et un calendrier bien clairs pour aller aux élections législatives prochaines. Vous savez que les députés actuels n’ont plus leur place au parlement, c’est fini leur mandat.
Nous ne voulions donc pas continuer à traîner et lorsque le pouvoir n’a pas voulu comprendre cela, nous lui avons fait des propositions. La coalition Arc-en-ciel a même proposé une suspension de séance pour qu’on reprenne lundi pour permettre à chacun de revoir ses propositions pour un travail plus efficace. Et comme par miracle, le pouvoir n’a pas voulu accepter cette deuxième proposition. Alors dans ces conditions, nous avons décidé de partir, mais dès qu’ils reviendront à de meilleurs sentiments et nous appelleront, nous serons disponibles et disposés à reprendre le dialogue.
Afreepress : Quel sort la coalition Arc-en-ciel va-t-elle réserver aux élections si ses préoccupations ne sont pas prises en compte par le Gouvernement ? Iriez-vous à ces élections ?
Bassabi Kagbara : Nous souhaitons et nous pensons que le gouvernement a intérêt à tenir compte de nos propositions positives objectives de sortie de crise. Si le gouvernement ne veut pas d’une sortie de crise au Togo, nous, nous la voulons et si un minimum de conditions était rempli, nous irions aux élections et nous savons que nous allons les gagner.
Ce qui fait peur au gouvernement c’est notre union aujourd’hui. On n’était même pas uni depuis que la lutte démocratique a commencé dans les années 1990, mais le RPT n’est jamais arrivé à gagner des élections. Nous sommes prêts à aller aux élections et nous sommes sûrs de les gagner puisque maintenant nous sommes unis. Nous avons décidé au sein de la coalition Arc-en-ciel de faire des candidatures uniques, de présenter des listes communes au niveau de toutes les élections à savoir les locales et les législatives.
Nous exigeons aussi qu’on aille à toutes ces élections en même temps pour économiser de l’argent et du temps, pour que l’on s’attaque rapidement au problème de développement du pays plutôt que de faire la politique politicienne pendant plus de 51 ans.
Afreepress : À qui imputer la responsabilité des différents échecs enregistrés lors des dialogues? Qui est la cause du problème togolais ?
Bassabi Kagbara : Nul n’a jamais raison à 100 % et personne ne détient à lui seul la vérité. Ce qui est vrai c’est que nous avons tous péché et nous reconnaissons nos erreurs parce qu’on n’était pas uni et le pouvoir a exploité notre division.
C’est pour cette raison que le pouvoir continue de tout faire pour toujours nous diviser et lorsqu’il y a quelques difficultés, il l’utilise pour dire que nous ne nous entendons pas. Nous sommes aujourd’hui dans une dynamique de groupe et une dynamique unitaire ce qui fait davantage peur au pouvoir.
Nous irons aux élections parce qu’ensemble nous allons créer les conditions de contrôle des résultats. Vous savez, le problème du Togo est un problème d’élections et de publication de leurs résultats.
Le pouvoir veut nous abuser et actuellement et cela est sûr, ils doivent avoir déjà fait leur compte avec des résultats déjà préparés et ils veulent nous amener à faire un simulacre d’élection pour nous ridiculiser encore. Nous n’accepterons plus cela et si le pouvoir continue à s’entêter, ce qui est arrivé aux autres pourra lui arriver aussi ce que nous ne souhaitons pas et c’est pourquoi nous acceptons le dialogue.
Nous ne voulons pas que le Togo devienne la Tunisie, l’Égypte ou la Libye c’est pourquoi nous voulons prévenir tout risque et nous mettons en garde le pouvoir, il sera responsable des désagréments. Après 50 ans de gouvernance, il ne peut plus s’excuser ; s’il pouvait faire le bonheur du pays, du peuple, il le ferait en 10 ans, en 20 ans voire 40 et 50 ans. Aujourd’hui le Togo est pauvre et il recule alors que les autres pays avancent. On parle de pays émergent et du Togo on parle du pays en recul parce que le pays est pris en otage par une clique qui s’entend pour piller ses richesses.
Les Togo est riche, sur l’ensemble du territoire de Lomé à Cinkassé nous avons de l’or, du diamant, du manganèse, des ressources minières comme le phosphate qui est d’ailleurs l’un des meilleurs en Afrique. Nous avons le café et le cacao alors que le Bénin n’a que le coton, mais il paye mieux ses fonctionnaires qui sont souvent au double des nôtres. C’est pour cette raison qu’au PDP, nous avons toujours demandé au gouvernement de doubler les salaires des fonctionnaires, qu’ils l’augmentent de 50 à 100 %.
Le minimum acceptable c’est 50 % parce que nous avons les plus bas salaires de la sous-région alors que nous avons un coût de vie qui est très élevé et qui fait que les gens deviennent de plus en plus pauvres.
Nos écoles sont à l’abandon et si ce n’était pas les écoles privées et universités privées, tout serait par terre.
Afreepress : Membre de la coalition Arc-en-ciel, vous avez effectué une tournée à l’intérieur du pays il y a quelques jours. En quelques mots, expliquez-nous les raisons ?
Bassabi Kagbara : Habituellement le PDP est sur le terrain toute l’année, mais c’est de façon discrète que nous travaillons. Vous avez vu comment de façon spontanée la population s’est mobilisée ? Je vous informe qu’on est allé leur distribuer de l’argent pour ne pas répondre à notre invitation, mais elles sont sorties et curieusement ce sont elles-mêmes qui nous ont donné toutes ces informations que je vous livre.
Elles sont sorties mobilisées derrière le PDP et derrière Arc-en-ciel.
Arc-en-ciel vient d’être crée, elle n’est pas connue partout, il fallait expliquer au peuple ses objectifs, sa vision, sa composition, et ses relations avec les autres organisations. Voilà les raisons qui ont motivé la tournée da la coalition à l’intérieur du pays.
Afreepress : Dans votre village à Solla et à Kétao on a vu une grande mobilisation des populations derrière la coalition malgré toutes les difficultés rencontrées, peut-on dire qu’Arc-en-ciel est sûr d’avoir les sièges au niveau de la préfecture de la Binah grâce à Bassabi Kagbara et au PDP ?
Bassabi Kagbara : Oui, je vous ai dit tout à l’heure que le PDP était suffisamment implanté dans la Binah. Évidemment, le pouvoir même dit que la Binah est acquise à presque 100 % au le PDP et depuis 2007, la Binah a fait sienne l’opposition.
Au cours de notre tournée, toute l’opposition était allée à Dapaong, à Bassar, à Mango, à Dankpen. Le PDP avait déjà fait des pas de géant vers cette unité de l’opposition si bien que lors de cette tournée, c’est toute l’opposition y compris même celle qu’on croit être au côté du pouvoir qui est sorti.
Les populations ont compris qu’il ne fallait pas se laisser prendre au piège des luttes de leadership, que l’opposition doit s’entendre. C’est ce qui fait la dynamique de notre coalition qui a déjà réalisé son unité.
Donc si seul le PDP a pu faire en 2010, comme l’ont dit les médias et les observations, une bonne campagne qui a fait que nous avons même menacé le président dans le septentrion, avec la coalition nous sommes sûrs de faire encore mieux parce que nous sommes plus forts et avec le CST, nous serons deux fois plus fort et si les élections étaient propres, alors nous sommes sûrs de les remporter à tous les coups.
Afreepress : À supposer que vous vous retrouviez en face de Faure Gnassingbé, que lui direz-vous pour une sortie de crise au Togo ?
Bassabi Kagbara : Je lui dirai comme j’ai l’habitude de le dire tout haut, votre père a fait plus de 30 ans vous faîtes 10 ans maintenant, ça suffit. Mon frère le pays n’est pas une propriété des Gnassingbé, petit frère et Président de la République jusqu’en 2015, prenez congé vous êtes jeune, si le pouvoir vous plait vous pouvez revenir, mais pour le moment penser que d’autres Togolais peuvent diriger plus que vous pour qu’on sorte de la crise.
Propos recueillis par Olivier Adja
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