Economie togolaise / Après l’Ambassadeur de l’UE, les services du FMI crèvent l’abcès
Le « Rapport des services du FMI sur les consultations de 2013 au titre de l’article IV» vient d’être rendu public. Dans ce document de 88 pages consacré au Togo, les services techniques du Fonds monétaire international passent au crible les différents secteurs économiques et dépeignent avec des termes parfois crus la réalité sur l’état de l’économie togolaise. Et donné des prescriptions aux autorités. Un rapport qui vient corroborer les appréhensions de l’Ambassadeur de l’Ue au Togo.
A la suite des entretiens qui ont eu lieu entre les autorités et les services techniques du FMI sur les politiques et la situation économique et qui ont pris fin le 10 octobre 2013, un rapport fut finalisé le 20 novembre de la même année. Et le moins qu’on puisse dire c’est que les services techniques du Fonds monétaire international ont fait prévaloir leurs connaissances techniques sans considération pour les réactions que leur travail pourrait provoquer de part et d’autre. Selon le FMI, l’économie togolaise est toujours vulnérable à un ralentissement net de la croissance chez les partenaires commerciaux.
Eu égard aux élections locales et présidentielles à venir qui pourraient donner lieu à des dérapages de la politique économique, les intérêts établis pourraient opposer une résistance aux réformes et la capacité limitée pourrait ralentir la mise en œuvre de la politique. Sans des mesures rapides de correction pour remédier aux faiblesses qui sont apparues dans le secteur financier, la stabilité macroéconomique pourrait être compromise, notent les services techniques. Ceux-ci estiment qu’une léthargie persistante dans le secteur de l’énergie pourrait avoir un impact négatif sur la croissance et le budget, tandis que des partenariats public-privé mal conçus pourraient entraîner des passifs budgétaires. Compte tenu de son ouverture, l’économie est vulnérable aux chocs sur la demande d’exportations à cause du ralentissement de la croissance chez les partenaires commerciaux.
Poursuivant leurs analyses, les services techniques relèvent que les déficits budgétaires et les niveaux de la dette publique se sont accrus en 2011 et 2012. Selon leurs chiffres, le déficit budgétaire global a plus que doublé pour atteindre 7,2 % du PIB en 2012, principalement à cause de l’adoption d’un budget expansionniste dans le contexte des élections à venir. En même temps, le financement provenant de la privatisation – cas de la BTCI et l’UTB – et des appuis budgétaires, a été inférieur aux projections budgétaires. Dans la même période, les factures impayées se sont accumulées à la fin de 2012. Mais entre-temps, le ratio de la dette publique au Produit intérieur brut (PIB) a grimpé et est estimé à environ 45% du PIB à la fin de 2012, notamment parce que l’État a reconnu d’anciens passifs intérieurs des entreprises publiques en faillite et des arriérés des fonds de pension.
Un regard sur le budget 2013 a fait dire aux techniciens que les dépenses d’investissement élevées et peu réalistes, les affectations budgétaires aux élections législatives et municipales de même que des salaires plus élevés ont contribué à un déficit global de près de 11 % du PIB dans le budget adopté. Qui plus est, le financement a été calculé sur la base d’un produit de privatisation trop élevé et irréaliste. Les pressions se sont immédiatement exercées sur l’exécution du budget car la privatisation des banques n’a pas donné lieu aux recettes projetées, les subventions aux produits pétroliers au cours du premier trimestre ont absorbé la quasi-totalité de l’allocation pour l’année et le financement extérieur anticipé ne s’est pas concrétisé. Parallèlement, des dépenses supplémentaires ont été requises pour financer la totalité des élections et les pressions sur le flux de trésorerie se sont davantage intensifiées au milieu de 2013.
Dans le domaine de la relance économique, les autorités ne jurent que par les investissements infrastructurels pour amorcer la relance économique et le développement parce que préoccupées par le fait que la crise des années 1990 a laissé un héritage de sous-investissements dans les infrastructures, ce qui entrave la croissance potentielle. Elles ont avancé que la gravité et la durée de la crise sont à l’origine d’un déficit d’infrastructure plus profond que dans les autres pays de la région et que ce n’est qu’en intensifiant nettement les investissements qu’elles pourront accélérer la croissance économique et le développement.
Mais ces services ont souligné qu’il était plus important de hiérarchiser et de réaliser avec efficacité les dépenses d’investissement, moyennant une amélioration de la planification et de la capacité de mise en œuvre des projets, que de relever les dépenses consacrées aux projets. Par conséquent, il serait prudent de créer une marge de manœuvre budgétaire plus importante et d’accroître progressivement les dépenses d’investissement, pour tenir compte de l’amélioration de la capacité des autorités à planifier et exécuter les projets. Les services ont fait remarquer que la pratique qui consiste à émettre des garanties sur l’amortissement programmé du préfinancement bancaire des entrepreneurs contractants de l’État pour des projets d’infrastructures, avait réduit la transparence et de fait, absorbé une portion importante des affectations budgétaires aux dépenses d’investissement des futures années, et qu’il était donc plus difficile de procéder à une hiérarchisation dans les budgets futurs.
Les services ont aussi recommandé une meilleure gestion des finances publiques (GFP) qui devrait permettre d’améliorer l’efficacité et la transparence de l’administration publique. A cet égard, l’analyse de viabilité de la dette (AVD) montre que le risque de surendettement du Togo reste modéré. Toute fois, une dette considérable s’est accumulée au cours des deux dernières années alors que la situation budgétaire se dégradait. L’augmentation de la dette extérieure est principalement imputable à de nouveaux prêts auprès des multilatéraux et des créanciers bilatéraux hors Club de Paris. Il est essentiel, recommandent les services, de renforcer la gestion et les politiques de la dette pour assurer sa viabilité et réduire les vulnérabilités. A ce propos, le Togo devrait continuer à emprunter à des conditions concessionnelles jusqu’à ce que sa capacité de gestion de la dette se soit nettement améliorée; le pays devrait également suivre de près la dynamique de la dette intérieure. Malgré tout, à environ 45 % du PIB, la dette publique totale du Togo à la fin de 2012 est supérieure au niveau moyen des groupes de pays comparables d’Afrique subsaharienne, à savoir les États fragiles qui ont bénéficié de l’initiative PPTE (39,1 % du PIB) et les pays à faible revenu (34,4 % du PIB).
L’absence de solidarité de la croissance n’est pas passée inaperçue aux yeux des services du FMI. Selon le rapport, la pauvreté est importante et l’indice de développement humain du pays reste faible. Même si la récente accélération de la croissance économique a débouché sur une réduction d’environ trois points de pourcentage de l’incidence de la pauvreté à environ 60 % entre 2006 et 2011, la répartition des revenus s’est détériorée, alors que la consommation réelle dans les quatre déciles les plus faibles a baissé. La pauvreté a une forte connotation géographique selon les analystes, car elle est plus élevée dans les zones rurales et plus l’on s’éloigne des zones côtières plus dynamiques économiquement. De fait, la pauvreté dans les zones rurales a augmenté au cours de cette période, alors que la migration interne a contribué à environ un tiers de la réduction totale de la pauvreté.
Ces réalités suggèrent que les politiques destinées à réduire la pauvreté devraient mettre l’accent sur les mesures destinées à rehausser la productivité dans les zones rurales et à améliorer l’accès au marché et les transferts ciblés de liquide. De même, eu égard à l’importance de la migration interne qui constitue une échappatoire éventuelle à la pauvreté, la planification urbaine devrait jouer un rôle plus central dans la stratégie de réduction de la pauvreté des autorités. Les politiques devraient insister sur l’amélioration des transports urbains et périurbains, de même que sur l’élargissement de l’enseignement primaire et des soins de santé.
Parmi les goulots d’étranglement qui entravent le partage de la croissance, se dressent les déficits en infrastructures, notamment l’énergie et les routes, de même que les coûts élevés des télécommunications et – plus généralement- la faiblesse du climat des affaires. Les indicateurs structurels reposant sur des enquêtes suggèrent que l’élimination des goulots d’étranglement de l’infrastructure et l’amélioration du climat des affaires restent cruciaux pour débloquer le potentiel de croissance du Togo.
Le nouveau document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) se propose de rendre cette croissance plus ferme et plus solidaire. Mais comment, et quelles mesures décisives pour doper la croissance seront-elles requises ? La suite dans la parution de demain.
Godson K.
Liberté Togo