Depuis son livre : Le Togo sous Eyadema aux (Editions Karthala), l’universitaire a continué à suivre l’actualité de son pays par articles et interviews interposés. Ici, il parle de l’opposition togolaise et de la classe dirigeante depuis cinquante-trois ans au Togo. Jean Pierre Fabre est : «… intellectuellement médiocre et politiquement inculte dans la mesure où ne comptent que pour lui son ventre et son compte en banque » lance t-il. Quant à Faure Gnassingbé, sa politique depuis quinze ans au pouvoir parle d’elle-même : « le Togo est devenu un Etat mafieux qui allie des caractéristiques de la voyoucratie et de la mafiacratie ». Lecture ! Entretien avec Camus Ali

Question d’ordre personnelle. Le Franco-togolais Comi Toulabor croit-il encore aux élections et à l’alternance dans son pays le Togo ?

Parce que le régime togolais est une dictature militaro-familiale soutenue par des intérêts étrangers, le vote qui dans un régime démocratique normal sert à désigner les dirigeants devient inopérant. Le Burkina Faso en 2014, la Gambie et d’autres pays africains ont montré la voie que le Togo n’a pu suivre.  

Pour l’universitaire Apedoh Tagoata Amah, on ne chasse pas une dictature par des bulletins de vote. Votre avis ?

Je partage parfaitement l’avis de mon compatriote Apedoh-Amah que je salue au passage. Face à une Kalachnikovs et autres armes de guerre, un vote bulletin de vote se trouve en situation de fragilité et d’inégalité évidente. Dans un rapport de force, le bois (ici le bulletin de vote) a rarement triomphé du fer (ici la Kalanischkov). Mais aussi fragile qu’il soit, il exprime à échéance régulière le degré de culture ou de civilisation politiques d’un pays. Le vote que je compare à une féminité  fragile est prise en otage par  une virilité sauvage et barbare au Togo. Comme pour dire: “Nous, nous sommes kabyê. Chez nous c’est la force brute qui détermine la modalité de dévolution du pouvoir. Prend le pouvoir celui qui a renversé l’autre dans un corps à corps”. Sauf que les Togolais ne sont pas tous kabyê et tous les kabyê ne partagent pas cette idéologie paléolithique où l’homme primitif s’imposait à son environnement hostile à coups de gourdin. La BD Eyadéma : histoire du Togo (Ed. Afrique Biblio-Club, 1976) célèbre jusqu’au ridicule cette idéologie d’un autre âge.

Ministre de l’intérieur en 2005, François Akila Boko quitte le Togo laissant cette phrase : «Le Togo est un Etat voyou ». Votre lecture quinze ans après ?

Oui en 2005, le Togo était un Etat voyou. Il est plus que cela quinze ans plus tard. Il est devenu un Etat mafieux qui allie des caractéristiques de la voyoucratie et de la mafiacratie où la gâchette prime sur la loi comme dans un western spaghetti à la Sergio Leone ! Et des pans entiers de la société se sont “mafiossisés”. Lorsque l’on rentre au pays, on est frappé et écoeuré  de voir comment son pays est tombé moralement si bas. La confiance, ce petit dénominateur commun qui permet le vivre ensemble s’est beaucoup étiolé. L’on vous rigole franchement au nez lorsque l’on se fait avoir. Et on a l’air bête et stupide. Alors que reproche-t-on au pouvoir dès que l’on est prêt à faire pareil soi-même? Les Gnassingbé ont fructifié une morale funeste dont les racines étaient présentes dans une société togolaise qui a, hélas, baissé ses bras.

Toujours en 2005, Jean-Pierre Fabre avait prédit : « Faure fera plus mal que son père. Lui, il est plus intelligent». Quinze ans après, quelle lecture faites-vous ? 

Si Jean-Pierre Fabre a fait cette lecture dont il ne tire aucune conséquence, c’est assez grave. Je me rappelle, avec un ami, Tido Brassier, nous avions critiqué Gilchrist Olympio et lui que nous avions auparavant soutenus. Cela nous avait valu des noms d’oiseaux et des tombereaux d’insultes. L’un et l’autre ont fait et font pire que ce que nous avions écrit. En politique, il ne faut pas suivre bêtement le leader si on ne veut pas être un fanatique borné ou un taliban prêt à l’autodafé. Nous regrettons amèrement d’avoir promu et soutenu un individu vantard, intellectuellement médiocre et politiquement inculte dans la mesure où ne comptent que pour lui son ventre et son compte en banque. Qu’on vienne m’expliquer comment un individu sans grand diplôme et chômeur ait pu avoir son train de vie même si sa maman a été une revendeuse de tissus réputée soutien intime de Gnassingbé père comme toute nana-benz qui se respecte!  

Faure Gnassingbé devant ses militants au soir de la proclamation des résultats : «A mes adversaires malheureux, je veux dire : c’est le jeu de la démocratie». Comment expliquez-vous le manque d’unicité des adversaires de Faure Gnassingbé à chaque élection au Togo ?

Le mal de l’opposition, c’est son morcellement extrême par mouvements de scissiparité avec comme corollaire l’absence de regroupements dynamiques. On a à l’heure actuelle plus d’une centaine de partis politiques où parfois le nombre de lettres qui composent leur sigle dépassent de loin le nombre de leurs militants et adhérents. Et le paysage politique est un immense cimetière de ce point de vue. Grosso modo quand on veut régler son problème de chômage, l’usage encourage à créer SON propre parti politique qu’on cherche à rentabiliser de préférence auprès du pouvoir. L’Etat mafieux incite à cette politique du ventre ou politique abdominale dans un pays où une jeunesse est au chômage et abandonnée à elle-même. En fait c’est une stratégie qu’affectionnent particulièrement les pouvoirs dictatoriaux et panoptiques comme George Orwell l’a bien démontré dans son ouvrage 1984. Diviser pour régner, une vieille règle que tout prince dictateur connaît par intuition par coeur.  Pour bien tenir sa population dans la soumission et la docilité, toute dictature a intérêt à l’affamer et à  conditionner sa pitance. Un sandwich, une canette de coca-cola  et un billet de 2000 fcfa suffisent à tenir en laisse une bonne une partie d’une jeunesse affamée. Plus il y a de division et plus il y a de bouches! Et l’on est prêt à faire du coup de poing avec tous crocs dehors contre le voisin. Cette démocratie à la Faure aura le vent en poupe dans un Togo de plus en plus appauvri et affamé.  Il faut ajouter une chose très importante: on parle de partis politiques. Mais très peu parmi eux existent véritablement sur le terrain. Au Togo, “on joue la comédie” pour reprendre le titre d’une pièce à succès de Nestor Agbota Zinsou.

Le Pr Aimée Gogué du parti ADDI dit lui que, l’union des partis politiques contre Faure Gnassingbé est un faux problème…

Aimé Gogué dit cela parce que très certainement profondément dépité par les médiocres performances de son parti ADDI (Alliance des démocrates pour le développement intégral)aux dernières élections où les scores sont attribués de façon arbitraire et très “évala” c’est-à-dire dans le terrassement et l’anéantissement complets de l’autre. Pour un parti dit d’alliance, si l’alliance ou l’union est “un faux problème”, c’est qu’il y a problème et un gros problème. L’implantation territoriale de ces partis est très différenciée. Pour les partis politiques qui aspirent au pouvoir, ce n’est que dans l’addition de leur implantation différenciée qu’ils peuvent espérer un jour accéder au pouvoir. Le RPT a cet avantage sur les autres dans le fait qu’il est adossé aux structures de l’Etat. En effet, ce sont les préfets qui dans les territoires font sa substance alors même qu’il n’existe pas de façon autonome de l’Etat.

En 2010 (61%), 2015 (59%), 2020 (70%). Comment expliquez-vous ces scores dans un pays où les habitants disent manquer de tout ?

Ces scores, que nous avons tous suivis de près, sont trop fantaisistes  pour qu’on leur accorde une quelconque crédibilité. Si le ridicule tuait, la famille Gnassingbé serait décimée depuis belle lurette par le “fauronavirus”. Quinze ans de pouvoir sans aucune construction de routes, de centres de santé, d’enseignement et s’octroyer de tels scores, Faure et les siens prennent les Togolais pour des débiles mentaux ! Le ridicule a la vie plutôt longue que dure au Togo, c’est bien cela je crois.

Le pouvoir dit vouloir commettre par une commission que dirigent des officiers supérieurs de l’armée la vérité sur la mort du lieutenant-colonel Bitala Madjoulba…

S’il n’y avait pas mort d’homme, on rigolerait aperto naso ! Faure et les siens se moquent éperdument du monde, en incorporant dans cette commission des individus potentiellement assassins du lieutenant-colonel Bitala Madjoulba. Il faut le faire! Dans un Etat voyou et mafieux, attend-on vraiment autre chose? “Je l’ai tué, venez me chercher si vous en êtes capables”! Il y a un parallélisme de fond et de forme avec un autre propos d’un ancien ministre des Finances : “Oui, j’ai détourné des milliards de francs, que celui qui n’est pas content et est capable vienne me défier ”. C’est très évala, ça non?

Lynxtogo.info : Au Togo, on a l’impression que l’opposition aura tout essayé avec les dialogues et les négociations. Finalement, c’est le peuple qui n’est pas suffisamment motivé pour sa libération ou c’est le pouvoir qui est si fort ?

Entièrement d’accord avec vous. Cependant j’introduis un bémole: le peuple doit se dire si je me permets de parler à sa place : “Depuis 1989, on a assez donné. Chaque fois, on se fait avoir par les loups, les béliers et les hyènes : les Gilchrist Olympio, les Yawovi Agboyibor, les Edem Kodjo, etc.  Marre, marre! On nous tue, alors que leurs femmes adipeuses et leurs enfants bien dodus sont sous climatiseurs engloutissant des plats de macaronis, de cuisses de dinde et sirotant des glaces au chocolat ou à la vanille devant des téléviseurs LCD et ne manifestant jamais. Nous portons la faim et la misère en bandoulière depuis le temps de nos ancêtres. Zut alors! ”  

Entretien Camus Ali pour Lynxtogo.info