Par  Maryse QUASHIE   et   Roger E. FOLIKOUE

Imaginons qu’en 2016, Barack OBAMA ait décidé de se présenter lui-même à l’élection présidentielle contre Donald TRUMP, il n’aurait alors pas fait campagne pour soutenir la candidature d’Hillary CLINTON ni aux primaires, ni après, il aurait dû passer son temps à faire des pieds et des mains pour changer la Constitution américaine.  Imaginons qu’en 2020, il s’appuie sur la Constitution américaine pour se dire qu’il a encore toutes ses chances : il se serait alors lancé dans la course pour les primaires et se serait trouvé face à Joe BIDEN.

INIMAGINABLE ! N’est-ce pas ? Les Américains, comme les habitants du reste du monde, auraient crié à la folie ! Veut-il détruire son pays dans ce qu’il a de plus sacré, sa Constitution ? Veut-il remettre en question l’équilibre institutionnel auquel tiennent tous les Américains ?  Et que fait-il de son parti des Démocrates,  veut-il le détruire ?

Et Alassane OUATTARA et Alpha CONDE, qui se battent bec et ongles pour un troisième mandat, et Faure GNASSINGBE et tous les présidents africains qui ont déjà dépassé plusieurs mandats et ne sont pas prêts à quitter le pouvoir ? Pourquoi ne crie-t-on pas à la folie à leur sujet ?

Certaines personnalités occidentales vont même jusqu’à les soutenir contre leur peuple dans leur entreprise de rester coûte que coûte au pouvoir. Que signifie ce silence relatif et retentissant ? Qu’un, ou plusieurs mandats de plus, c’est imaginable en Afrique ? Cela veut-il dire que la marque de fabrique de nos présidents, dès qu’ils sont élus, celle qui est accolée sur leur poitrine comme une décoration c’est « UN MANDAT DE PLUS » ?

Oui la question se pose parce que, normalement lorsqu’on est élu, on connait le temps dont on dispose pour un mandat, on devrait alors prendre ses dispositions pour réaliser ses projets en quatre, cinq ou le nombre d’années fixées pour chaque mandat. De plus, lorsqu’on est arrivé à se faire réélire, durant le second mandat, si on pense, malgré deux mandats, avoir besoin de temps supplémentaire, la solution consisterait à préparer au sein de son parti un candidat prêt à porter ce qui reste à faire. Ce serait ainsi un troisième mandat, mais pour le parti  et pas pour une personne.

Si tout cela ne se fait pas en Afrique, quelle conclusion en  tirer ?

– Que sont à la tête des Etats africains des personnes qui ne savent pas ce qu’est un mandat électif : une durée fixe qu’on vous donne en vous déléguant les pouvoirs pour remplir telle ou telle fonction ; – Que nos présidents ne se font pas élire pour réaliser un programme ; du moins un programme au sens où on l’entend au 21ème siècle : un ensemble d’actions à faire avec des moyens donnés et surtout dans un délai donné, le programme comportant un calendrier et donc divers échéanciers.

 Mais alors que penser de l’ensemble du parti d’un président de ce type ? Que les autres membres aussi fonctionnent en l’absence de programme ? Pourquoi se mettent-ils ensemble alors ? Pas sur un projet de société, pas sur une idéologie à faire triompher ? Apparemment se mettent-ils tous en file derrière une personne pour devenir ainsi des hommes de troupes, des sujets au sens latin de subjectus (individus aliénés à un chef) ?

Le terme « sujets » semble plus approprié. En effet, quel est ce personnage qui dirige les destinées d’un groupe humain pour toute sa vie ? Un roi, n’est-ce pas ? Il a donc des sujets. C’est un roi, la meilleure preuve en est que souvent il prévoit une succession de père en fils ! Finalement, on devrait cesser de dire : « Son Excellence…., président de la République du … ».  On devrait  plutôt déclamer : « Sa majesté….. Roi de la République du …. »

Ah oui, vous avez raison, roi ne va pas avec République ! Que pourrait-on faire alors ? Enlever République de la Constitution, des armoiries, etc. ?  C’est inimaginable, n’est-ce pas ? Cela viderait la Constitution de tout son sens ? Oui, encore une fois vous avez raison. Cela nous priverait de la belle phrase de l’article 1er : « La République… est un Etat de droit, laïc, démocratique et social. Elle est une et indivisible ».

Mais c’est toute la phrase qu’il faudrait enlever alors, ne le voyez-vous pas ? Il faudrait enlever aussi Etat de droit et démocratique. En effet l’Etat de droit et la démocratie supposent avant tout la transcendance de la Loi. Un Etat de droit démocratique moderne implique la limitation des mandats et se définit fondamentalement comme le règne de la nomocratie. Et puis autant on comprend une république une et indivisible, autant c’est malaisé de parler d’un pays un et indivisible !

On s’en rend compte, nous avons juste voulu toucher à un seul mot, et cela a entraîné  des conséquences inouïes sur l’ensemble du texte. Alors lorsqu’on enlève la limitation des mandats électifs, ou on ajoute l’impunité des anciens  chefs d’Etat, si on change une trentaine d’articles, a-t-on pensé que cela remet en question l’ensemble de la Constitution ? Ou bien penserait-on que finalement la Constitution n’est pas si importante que cela, que  nous n’en aurions presque plus besoin ?

En 2020, un Etat sans Constitution, dirigé par un roi, non de droit divin, non désigné par la tradition, mais arrivé au pouvoir grâce à un truc qu’on a appelé des élections, dont lui-même définit les règles, un roi qu’on ne peut pas démettre, un roi à vie !

INIMAGINABLE ! N’est-ce pas ? Mais c’est ce que nous vivons en Afrique.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Si encore, il n’y avait qu’un ou deux cas de ce genre ! Non ils sont nombreux surtout parmi les présidents francophones à vivre leur fonction comme une monarchie. On dirait qu’on les a recrutés avec ce profil. Pourtant, la plupart d’entre eux ont un haut niveau d’instruction.  Finalement leur cas ressemble à celui de ces personnes qui ont été scolarisées un certain temps mais qui retombent après dans l’illettrisme. Ainsi, il semble qu’on puisse ajouter une mention à l’étiquette qu’ils arborent sur leur poitrine :

SA MAJESTE ……….

ROI A VIE

« UN MANDAT DE PLUS »

« ILLETTRE EN DEMOCRATIE »

Il faudrait d’ailleurs laisser une ligne supplémentaire à ceux qui aimeraient ajouter quelque chose d’autre, un grade de Maréchal, ou un titre affectueux du genre Guide suprême éternel.

On nage en plein délire, n’est-ce pas ? Et pourtant c’est ce que nous vivons en Afrique ! Même la dernière ligne sur l’étiquette est une réalité : après BOKASSA de Centrafrique, ou MOBUTU du Zaïre, aujourd’hui Idriss DEBY du Tchad est Maréchal. Et c’est Pierre NKURUNZIZA qui se faisait appeler le Guide Suprême Eternel !

Allons-nous accepter encore longtemps de participer à ce qu’on devrait dénommer une énorme farce, si elle ne nous coûtait pas tant : pays ruinés par la corruption et l’évasion fiscale, systèmes éducatifs et de santé à terre, chômage endémique, citoyens étouffés, molestés et tués pour avoir manifesté leur désaccord ?  Allons-nous accepter que le monde se torde de rire devant le spectacle que nous donnons citoyens faméliques face à ceux qui se remplissent la panse et les poches depuis dix, vingt, cinquante ans ? 

Le temps de la rééducation des « illettrés en démocratie » est arrivé ! Vous le savez bien : c’est le moment de la comédie où celui qu’on prenait pour un gros bêta sort tout d’un coup de son apathie pour se retourner contre le tyran d’hier.

Ce moment c’est l’occasion que nous donne la CEDEAO, en montrant au grand jour son vrai visage : un rassemblement de chefs d’Etat prêts à se tenir les coudes pour rester au pouvoir le plus longtemps possible ;  « un mandat de plus », les « rois à vie » doivent trouver en face d’eux, le rassemblement des citoyens de leurs pays. Et ces citoyens doivent puiser leur force  dans la philosophie de la non-violence de GANDHI et de Martin Luther KING.

Finie la grosse farce, finie la comédie !

citeauquotidien@gmail.com

Lomé, le 18 septembre 2020

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