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Plusieurs chefs d’Etat africains travaillent actuellement à leur maintien au pouvoir à partir de 2015 bien que la Constitution de leur pays le leur interdise. Que ce soit au Burundi, au Burkina Faso, en République du Congo (Congo-Brazzaville), en République démocratique du Congo (RDC) ou au Rwanda, aucun président n’a encore déposé sa candidature pour la prochaine échéance électorale. Pourtant, les signes avant-coureurs ne manquent pas. Après le Cameroun, le Tchad, l’Angola, l’Ouganda et le Sénégal, une nouvelle vague de modifications constitutionnelles, par référendum ou par voie parlementaire, est annoncée sur le continent africain. Les arguments utilisés pour justifier ces mesures sont invariables : le besoin de stabilité, la nécessité de poursuivre une oeuvre inachevée et la réponse à une demande populaire.
 
Le premier de cordée dans la série de scrutins qui débutera l’an prochain est un cas à part. Pasteur et ex-chef rebelle, le Burundais Pierre Nkurunziza n’est pas arrivé à briser le verrou constitutionnel des deux mandats mais l’interprétation des textes lui offre l’espace nécessaire pour concourir à un troisième quinquennat en 2015. Sa première élection en 2005 s’est faite devant les parlementaires et non au suffrage universel comme l’impose la Constitution. Près de dix ans plus tard, le climat politique au Burundi est orageux. L’opposition, la presse et la société civile sont soumises à un harcèlement continu.
 
Au Burkina Faso, le débat est descendu dans la rue et tourne autour d’un chiffre : 37, comme l’article qui empêche Blaise Compaoré de garder les clés de la présidence après 2015. « L’homme qui sait se rendre incontournable auprès des Occidentaux », selon l’expression d’un de ses opposants, a déjà fait amender la Constitution une première fois pour conserver le pouvoir qu’il avait conquis par un putsch en 1987. Désormais il se prépare à organiser un référendum pour briguer un cinquième mandat. L’opposition est parvenue à mobiliser de grandes manifestations contre ce projet de consultation populaire mais son chef de file, Zéphirin Diabré, admet « que les signaux ne sont pas bons, car le pouvoir joue sa survie ».En réponse à Barack Obama qui, en 2009, avait lancé que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes », M. Compaoré a rétorqué, dans un entretien accordé en août à Radio France Internationale, qu’«il n’y a pas d’institutions fortes, s’il n’y a pas d’hommes forts… Il n’y a pas, aussi, d’institutions fortes, s’il n’y a pas une construction dans la durée ».
 
Cette vision, nul doute que Paul Kagamé pourrait la reprendre à son compte. Le président rwandais, en fonction depuis 2000, ne s’est pas encore prononcé sur ses intentions pour 2017, mais ses déclarations, en avril, dans une université américaine, ouvrent la porte à un référendum lui permettant de reporter sa retraite. « Nous devons laisser les pays et leurs populations décider par eux-mêmes de leurs propres affaires », a-t-il dit. En pointe dans le combat contre les révisions constitutionnelles, les Etats-Unis semblent faire un cas à part de M. Kagamé. « Il ne lui sera pas demandé de se retirer, mais il y aura des pressions pour qu’il ouvre le jeu démocratique », prédit une source proche de l’ambassade américaine à Kigali.« Le temps est au reflux »
 
Washington est en revanche moins conciliant avec le chef d’Etat de la RDC, le grand voisin occidental du Rwanda. Lors de son passage à Kinshasa en mai, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a clairement signifié à Joseph Kabila, élu en 2001, qu’une nouvelle candidature en 2016, après deux mandats, serait malvenue. L’opposition, l’Eglise catholique, et même certaines personnalités proches du pouvoir, contestent également les velléités affichées par le clan présidentiel, mais seront-elles entendues ? Les derniers développements laissent présager du contraire.
 
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Joseph Kabila a réuni ses proches pour leur dire qu’il n’a pas de dauphin mais, jusque-là, la révision constitutionnelle n’était fondée que sur des rumeurs. Maintenant, le projet de loi a été déposé par le gouvernement devant le Parlement où il dispose d’une majorité mécanique. «La bataille est engagée », prévient l’opposant Samy Badibanga, qui promet une lutte devant les institutions, mais aussi dans la rue, si le pouvoir ne fait pas machine arrière. De l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, ne pouvant réviser la Constitution qui l’empêche de concourir en 2016, projette, selon plusieurs sources, de faire adopter une nouvelle loi fondamentale. Une nouvelle République pour permettre au chef d’Etat, dont la première entrée à la présidence remonte à 1979, de conserver les rênes du pouvoir.
 
Après la vague démocratique des années 1990, marquée par les conférences nationales, le temps est au reflux. «Les compromis trouvés à une époque sont renversés au profit des dirigeants qui ne subissent plus la même pression internationale », analyse Robert Dossou, l’ancien président de la Cour constitutionnelle du Bénin. « La lutte antiterroriste, la crainte de l’instabilité, la nécessité de protéger des alliés rendent la communauté internationale vertueuse avec certains, mais beaucoup moins avec d’autres », ajoute Roland Marchal, du Centre d’études et de recherches internationales (CERI), qui voit dans les pratiques actuelles un échec des processus de démocratisation.
 
La France, qui avait soutenu et même en partie lancé, avec le discours de La Baule de François Mitterrand en 1990, le mouvement de démocratisation en Afrique, se montre désormais très timide sur cette question des présidents agrippés au pouvoir. Avec un brin de désarroi, un opposant africain raconte au sortir d’une rencontre avec des responsables français que « la seule chose sur laquelle ils ont insisté, c’est d’éviter les violences».
 
 
Source: Le Monde du 15 octobre 2014
 

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