Togo, il est enfin temps de corriger l’anomalie. L’anomalie, c’est ce qui s’écarte de la norme, de la règle, de la régularité. Le Togo est vraiment en situation d’anomalie, une posture irrégulière qui ne peut heureusement plus prospérer avec la nouvelle donne. S’il est vrai que notre pays est une anomalie, nous croyons que le moment est venu de la corriger.
Caricature : Donisen Donald / Liberté
Démocratie aux petits soins de la monarchie, économie aux mains des voleurs à col blanc, politique sociale dans le coma, société en perte de valeur, droits de l’homme aux ordres de l’armée, tous les enjeux du développement sont remis en cause par une corruption endémique. Conséquemment, les Togolais sont victimes d’un système absurde, d’un non-sens qui ne peut plus résister. La République est tellement en faillite dans tous ses compartiments que tout est devenu priorité, nulle part la gestion publique ne se porte bien. Au centre de ce schéma, une gouvernance cinquantenaire qui a désormais son avenir derrière elle, un système grabataire, un régime politique qui relève du ‘‘Has been’’ mais qui continue de faire croire qu’il a du sang neuf à vendre. C’est dans ces conditions que le président du géant Nigeria exige au minimum une transition à la sortie de ce dialogue et Mgr Kpodjro d’enfoncer le clou en demandant à, Faure de s’éclipser au moins en 2020.
Pour survivre donc à toutes les viles habitudes qui ont caractérisé le système, aucune méthode n’est trop laide pour l’autorité togolaise. Évidemment, sauf que les dirigeants togolais auraient tout essayé, présentement les voici en face d’un ultime dialogue, un dialogue pas comme les autres.
Faure Gnassingbé une erreur politique ?
Si la gouvernance au Togo est vraiment une incongruité, c’est bien Faure Gnassingbé qui se révèle la première incongruité, une pierre dans la chaussure de la démocratie, du développement, du bien-être collectif. Pour éradiquer l’Afrique de son esprit révolutionnaire qui a réclamé le départ du colon blanc, la plupart des pères de l’indépendance ont été balayé par des coups de forces militaires. Le Togo n’a pas fait exception à la règle. C’est donc le géniteur de Faure Gnassingbé, Eyadema Gnassingbé, que le colon a utilisé pour se débarrasser du père de l’indépendance togolaise, Sylvanus Olympio. Entre monts et vallées, Eyadema a géré le pays 38 ans durant. Foulant aux pieds les rudiments de la démocratie, il a tellement fait une gestion sans partage du pays qu’à un moment donné, l’opinion est tentée de se demander si le Togo n’était pas une entreprise SARL. La SARL c’est la Société à Responsabilité Limité, elle est constituée de 2 associés au minimum et de 100 au maximum. A supposer donc que le Togo était une telle société où le Timonier nationale Eyadema et quelques barons du cercle immédiat étaient des actionnaires.
Eyadema est mort, c’était le 05 février de l’année 2005. Celui qui gère l’entreprise s’en est allé, mais les co-actionnaires n’étaient pas morts. Même si Eyadema était un actionnaire majoritaire, cela n’empêchait pas aux autres partenaires en affaires de diriger l’établissement. Au lieu que l’un des actionnaires prenne la tête pour la survie de l’entreprise, ils s’entendent pour choisir le fils du défunt. Or, ce fils qui se trouve être Faure Gnassingbé n’était rien quand l’entreprise se créait. Certes, il a fait un temps avec son papa, mais les résultats de 13 ans de sa gestion actuelle donnent raison à ceux qui ont estimé très tôt que, souvent entre deux vols, deux SMS, la belle vie et que sais-je encore, l’héritier n’a acquis aucune expérience de feu son père. Le grand danger c’est que, en faisant de lui le successeur de son père, ce fils a eu de belles raisons de penser que l’entreprise appartenait exclusivement à son géniteur. Il n’a pas hésité à le dire publiquement au palais des congrès de Lomé devant 3000 togolais aux premières heures où son héritage était une patate chaude qui le brûlait à la main. Du coup, le Togo est géré par un fils très peu initié dans l’esprit d’une succession familiale. Les erreurs, pour ne pas dire les scandales de parcours, ne pouvaient se corriger par les barrons devenus des figurants depuis que leur lâcheté a fait comprendre au fils que l’entreprise était une propriété familiale.
Aussi, ces barons n’avaient plus moralement la voie pour corriger les écarts du fils héritier qui semble estimer que ceux qui l’y ont poussé connaissaient ses limites avant de l’investir. Mieux, ceux parmi eux qui se montraient dérangeants s’étaient vite fait taper sur les doigts. Le Gal Tidjani Assani aurait appris la leçon à ses dépens. C’est ainsi que le fils prodigue a géré le pays de façon villageoise au point de le mettre en faillite sans qu’il ait une autorité morale forte pour le remettre sur les rails. L’entreprise familiale dispose d’une armée qui a pu imposer le silence et la peur dans les populations. Ce climat de crainte a aussi fait croire à l’héritier qu’il était admiré dans sa gestion. Mais le temps a passé et les lignes ont beaucoup bougé, la peur semble changer de camp. Ce n’est plus la population qui a peur de l’armée, mais le contraire, les populations se sont organisées pour faire comprendre à l’héritier usurpateur que sa gestion était nulle et qu’il n’avait plus sa place à la tête de la Société.
Faure Gnassingbé déstabilisé par son peuple
La peur a vraiment changé de camp, mais la politique, c’est aussi le jeu des apparences. Faure Gnassingbé joue réellement à l’apparence pour faire croire qu’il tient encore debout. Certes, il finance la médiatisation pour faire croire qu’il a repris la main. Ses griots n’hésitent pas à s’attaquer à ceux qui ne le caressent pas dans le sens des poils, Mgr Kpodjro et le président du Nigeria ont déjà eu leur dose. Mais réellement, l’homme passe des nuits blanches, il est déstabilisé à tel point qu’il n’arrive même plus à être lucide pour défendre les positions de son régime dans les grandes rencontres. Ce fut le cas la dernière fois en Éthiopie où il était devenu méconnaissable même aux yeux de son beau-frère Marcel de Souza. Quand celui-ci le reprochait de n’avoir pas assez défendu le dossier du Togo, il a avoué être « déstabilisé ». Il disait en coulisse être surpris par l’ampleur des protestations. Au fil des évènements, le régime tremble et tente, après coup, de reprendre la main, mais le miracle est encore loin.
Après les évènements du 19 août 2017, les nuits des 6 et 7 septembre 2017 auraient été les plus terribles et instables pour le clan dont une bonne frange était sur la plante des pieds. Les répressions de ces deux dates, à la colombe de la paix à Lomé principalement, auraient été les plus terribles des répressions après celles de Sokodé, Bafilo et Mango. Seul l’avenir évaluera, à leur juste valeur, les dégâts humains causés par les milices et les militaires sur le plan national depuis les contestations du 19 Aout. Deux associations de défense des droits de l’Homme que sont le Regroupement des Jeunes Africains pour la Démocratie et le Développement (REJADD) et le Réseau Africain pour les Initiatives de Droits de l’Homme et de Solidarité (RAIDHS), dans un rapport préliminaire annoncent déjà plus de 100 morts. La crainte et la peur imposées par l’armée pour sauver le soldat Faure ne tiennent plus. Mieux, quand la population a compris qu’ensemble elle peut se débarrasser de la peur, celle-ci s’est mise effectivement ensemble et la peur a donc changé de camp. Certes les enlèvements, les tortures, les traitements inhumains, des arrestations cavalières, voire des exécutions extrajudiciaires, ont encore de l’avenir, mais ce ne sont plus les Togolais qui ont peur, c’est l’armée et son chef suprême qui ont peur de la population.
Toutes les méthodes ont été utilisées pour imposer le silence et le respect par la peur. État de siège sur les villes de SOKODE, BAFILO et MANGO, dans ces villes ce qui s’est passé est un génocide qui finira par être reconnu comme tel. Mais cela n’a pas empêché aux populations de ces localités de rester debout. La preuve, ce peuple est tellement resté debout que le dictateur a jusqu’ici peur de lever l’état de siège sur ces villes de peur que leurs manifestations deviennent encore monstres. Dans les autres villes dont la capitale, la répression, l’intimidation militaire, l’usage des milices ont aussi fait la loi. Malgré tout cela, rien n’a changé dans la détermination du peuple. D’ailleurs, si la peur existe encore au Togo, elle habite à l’Etat-major des FAT, le centre le plus névralgique de la force nationale. Par peur d’être envahi par les manifestants, la traditionnelle entrée principale de l’Etat-major des FAT à Lomé est fermée. Une voie de contournement est désormais ouverte jusqu’à nouvel ordre. La force a ses limites devant la détermination collective. C’est dans ces conditions que Faure Gnassingbé est obligé de lâcher un dialogue qu’il ne voulait pas faire, car il croyait que la force et l’argent pouvait tout. Faure a tout essayé, le peuple reste toujours debout et la dernière mobilisation en dit long.
Faure Gnassingbé dans le giron des grands Règnes
Les longs règnes en Afrique, il en a eu avant le RPT-UNIR. Toutes les viles habitudes qui ont assujetti les Togolais, allant de l’animation populaire au culte de la personnalité à travers la propagande politique, c’est du Zaïre de Mobutu que ça a été copié. Où est Mobutu ? Il a fini son règne, la queue entre les pattes, le 07 septembre 1997 à Rabat (Maroc). Le jour où il atterrissait au Togo dans sa fuite vers le Maroc, c’est en catimini qu’il est exfiltré de notre aéroport. Un cameraman de la TVT, Télévision Togolaise, qui voulait filmer son atterrissage a été pris à parti par un baron militaire. Dans la voiture vers sa résidence, il interrogeait son chauffeur en ces termes : « as-tu vu ce qui s’est passé entre un général et les cameramen de votre chaîne publique » ? « Oui », répond le chauffeur. « C’est toujours moi, Mobutu, c’est moi qu’on sort de l’aviation en cachette comme ça, moi dont la venue faisait trembler votre capitale ».
En effet, à chaque fois qu’il arrivait au Togo, son chauffeur était souvent le même. C’était un Togolais parlant couramment les langues congolaises pour y avoir séjourné longtemps.
A un moment donné, ce chef d’État avait un charisme qui a fait parler de lui. Il n’était pas seulement admiré par son peuple mais aussi son continent. Ce journaliste de formation a marqué sa gestion d’une empreinte indélébile à l’Assemblée Générale de l’ONU. Ses sorties médiatiques font tâche d’huile. Le voici pourchassé par une rébellion et la maladie. Il finira à être inhumé par quelques derniers fidèles comme un chien errant. L’autre cas de figure, c’est Robert Mugabe, ‘‘oncle BOB’’.
Lui n’était pas un simple chef d’État, il est aussi pour les Zimbabwéens ce que feu Sylvanus Olympio est pour les Togolais, c’est-à-dire le père de l’indépendance. Robert Mugabe est arrivé au pouvoir en 1980. Il n’est pas devenu président parce qu’il est fils de président qui aurait tout préparé pour lui comme le cas de la succession chez les Gnassingbé. Oncle Bob, idéaliste dans sa jeunesse, est connu comme un élève assidu et non comme un élève paresseux dont les prestations sont en déphasage avec les diplômes. Né en 1924 dans ce qui est à l’époque la Rhodésie du Sud, après une enfance difficile, en 1960 il s’engage dans la lutte contre le pouvoir rhodésien blanc-ségrégationniste. Arrêté en 1964, il passe 10 ans en prison. Peu après sa libération, le voici à la tête de la lutte armée pour l’indépendance de son pays. En 1980, c’est lui qui donne au Zimbabwe son indépendance. Robert Mugabe est accueilli en libérateur et devient Premier Ministre. Figure encensée du nationalisme panafricain aux ambitions réformistes, il finit par être président de la République. Ce fut un homme avec un parcours révolutionnaire impeccable, un combattant de la liberté. Il fut un formidable dirigeant à un moment du parcours, mais le pouvoir a dégénéré au point de mettre le Zimbabwe à genoux, l’image de Mugabe avec. « Mugabe s’est maintenu au pouvoir en écrasant ses opposants, violant la justice, piétinant le droit à la propriété, réprimant la presse indépendante et truquant les élections », estime Martin Meredith, un de ses biographes. Malgré ces critiques, il a toutefois gardé jusqu’au bout son aura de libérateur, mais le temps est venu où il fallait qu’il cède. « Il est temps qu’il cède son fauteuil à une nouvelle génération », dixit le président ivoirien Alassane Ouattara. Toutes ces qualités et vertus n’ont pas empêché qu’en 30 ans de règne du même système, Mugabe soit vomi par son peuple comme une peste. Trente ans avec un même régime ne pouvaient accoucher que de l’usure.
Nous ne voulons pas nous étaler sur la démission du désormais ancien président ZUMA de l’Afrique du Sud alors qu’il est en plein mandat. Ceux qui pensent que c’est provoquer un tremblement de terre que de demander à Faure Gnassingbé de se retirer du pouvoir en plein mandat ont la réponse à leur menstruation intellectuelle et juridique. Ce monsieur vient de partir pour des soupçons de corruption, au Togo, le chef de l’Etat et son cercle sont versés dedans, la corruption est devenue une vertu républicaine au sommet de l’ETAT, dans les plus grands scandales étouffés, le prince a sa part du gâteau. En termes de compétence intellectuelle, d’ambition citoyenne pour la patrie, de charisme, existe-t-il quelque chose de commun entre un Faure Gnassingbé et l’un de ces trois anciens présidents ? Loin s’en faut. Alors sur quoi le prince Faure compte-t-il en continuant à penser que les Togolais peuvent encore aimer son système vieux de 51 ans ?
Si Mugabe du haut de son charisme n’a pas pu coloniser éternellement le cœur de son peuple, sur quel alchimie compte Faure Gnassingbé pour croire qu’une classe politique cinquantenaire a encore de l’avenir? Le pire est qu’il trouve encore quelques esprits faibles pour cirer ses souliers au prix de quelques billets.
Aujourd’hui s’ouvre l’ultime dialogue, le peuple joue la sentinelle, la médiation internationale aussi. Nous avons espoir que la ruse, le dilatoire et la roublardise, qui ont permis au RPT-UNIR d’enfariner tous les Togolais à travers les mille et un dialogues, n’auront plus droit de cité. La moindre des choses que ce dialogue peut offrir aux Togolais, c’est une transition politique composée de façon à poser les bases d’un vrai changement pour que les Togolais tournent la page des Gnassingbé avec l’arbitrage des parrains qui sont au chevet de notre pays en ces moments délicats.
Le Président Buhari a déjà, en bon major de la classe, annoncé les couleurs. Il estime que le minimum c’est de mettre sur pieds une transition au Togo, que cela n’est pas négociable, ça s’impose. Cette annonce donne la trouille à Faure et ses ‘’Agbassivi’’, qui courent de gauche à droite. Après cette sortie du Géant Nigérian, même s’ils veulent faire croire que le Togo est un Etat souverain qui ne saurait accepter ce que propose Buhari, Lomé II fait des ‘‘salamalek’’ vers Abuja. La coalition est consciente qu’elle n’a pas droit à l’erreur au risque de s’attirer la vindicte populaire. Donc les amuseurs publics qui jouent la carte du RPT-UNIR en se disant opposants alors qu’ils sont des agents de renseignement du régime, sont avertis. De toute façon, le dialogue s’ouvre ce jeudi 15 février
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Abi-Alfa
Source : Le Rendez-Vous N° 322 du 15 Février 2018

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