Vendredi 26 février, 32e chambre correctionnelle de Paris. Vincent Bolloré, assis, regarde fixement devant lui. Il attend tranquillou que la juge revienne pour homologuer la procédure de plaider coupable qu’il a accepté de conclure dans le cadre d’une affaire de corruption au Togo. Pour l’homme d’affaires et ses ténors d’avocats, Olivier Baratelli et Hervé Temime, c’est a priori une formalité.

Mis en examen en 2018, le patron breton a utilisé sa filiale Havas –  Euro  RSCG, à l’époque – pour, notamment, financer en 2010 la campagne électorale du président togolais, Faure Gnassingbé, en échange de la gestion des ports de Lomé. En plaidant sagement coupable à la barre –  «  oui, madame la Présidente » – et en acceptant de payer une amende de 375 000 euros, Bolloré pense échapper à un procès médiatique et à une condamnation plus lourde, pour « corruption d’agent public étranger, abus de confiance et complicité d’abus de confiance ». La négo a été rondement menée. Jean François Bohnert, le chef du Parquet national financier (PNF), qui s’est déplacé à l’audience, a salué des discussions « parfaitement sereines ». Dès lors, pourquoi s’inquiéter ?

Douche comprise

Peu avant, le tribunal a validé une « convention judiciaire d’intérêt public » entre le PNF et la société Bolloré SE, également mise en cause. Celle-ci devra casquer une amende de 12 millions d’euros dans les dix jours. S’y ajoutent les 4 millions du coût du programme de mise en conformité de l’Agence française anticorruption. Chérots, les frais de port (quoique), mais c’est le prix de la tranquillité.

Et puis, patatras ! entrée en scène de la future vedette de la journée : la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui préside habituellement la chambre du « terro » et du banditisme. Aujourd’hui, c’est elle qui est chargée de trancher cette affaire pas banale de plaider-coupable : une bonne histoire de corruption, de gros sous et d’élection présidentielle à la sauce Françafrique. Deux-trois coups d’œil dans la salle, et boum : Prévost-Desprez balaie l’accord d’un revers de manche. Pour elle, les peines de plaider-coupable proposées par le PNF ne sont pas à la hauteur de l’affaire : « i-na-dap-tées ».

Les faits reprochés au « président d’un groupe de réputation mondiale et représentant l’image de la France à l’étranger » sont trop graves pour ne pas être jugés devant un tribunal correctionnel. A la barre, Bolloré ne cille pas. La douche est pourtant très froide. Prévost-Desprez repart comme elle est entrée : en trombe.

Parquet flottant

Avocats et hommes d’affaires se regardent, sonnés, et sont priés par les poulets d’évacuer rapido la salle d’audience. Deux juges d’instruction devront désormais décider de renvoyer ou pas Bolloré en correctionnelle. Dans la soirée, le PNF – lui-même un peu groggy, semble-t-il – s’est félicité de l’accord sur les 12 millions et les « 4 000 000 millions d’euros  » (sic) de mise en conformité. Pas un mot, en revanche, sur le plaider coupable refusé… Un oubli, sans doute.

L’image de la journée restera celle de Bolloré et Baratelli, muets, mitraillés par les photographes devant une maudite porte d’ascenseur du palais tardant à s’ouvrir. Ils viennent de comprendre qu’ils ont perdu le beurre et l’argent du beurre…

Bolloré aime jouer au négociateur commercial de choc, mais, pour la négociation judiciaire, il faudra repasser (au port) !

Source : Le Canard Enchaîné

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