Affaire Kpatcha Gnassingbe / Libérations sans procès
Le vendredi 15 avril dernier, cela faisait deux ans jour pour jour que Kpatcha Gnassingbe a été arrêté et écroué à l’Agence nationale de renseignement (Anr) pour une histoire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Pendant deux bonnes années, ce dossier où le grief qualifié de flagrant délit n’a pas connu la moindre suite, malgré les discours de Faure Gnassingbe, le boucan de ses avocats et tous les efforts de ceux constitués du député de la Kozah. Mais à la veille de ce triste anniversaire, il y a eu du mouvement dans l’affaire.
Libération sélective
Le jeudi 14 avril, le Procureur général N’dakéna Atara convoqua la presse pour annoncer la bonne nouvelle : dix coaccusés sur la trentaine dans cette affaire sont libérés, sans pour autant donner les noms de ces heureux élus. Quitte à chaque organe de se débrouiller pour connaître les noms de ces élargis. Et justement les recoupements nous ont permis de savoir qu’il s’agit, entre autres, de Essolizam Gnassingbe et Jaurès Tchéou qui étaient détenus à l’Anr, Julien Gnassingbe, Konzoh Baronam, Papali Abalo, Laré Bitié, Kébéra Kossi et Nayo Eyadémè qui eux, étaient à la Gendarmerie nationale. Selon les mots du Procureur, ils étaient en « liberté provisoire sous contrôle judiciaire ».
Ces libérations ont fait bouger les choses. Il nous revient par ailleurs que d’autres inculpés, en l’occurrence les sieurs Kouma, Dontéma, Moussa et Bagoubadi qui étaient jusqu’ici détenus à l’Anr ont été transférés à la Gendarmerie nationale. Est-ce pour leur future libération ?
Bien évidemment c’est la joie chez les proches de ces détenus élargis, mais il s’agit d’une libération sélective. Sans vouloir remettre en cause leur joie et attenter à leur honneur et amour propre, il faut remarquer que ce ne sont que de « petits calibres », des coaccusés de seconde zone qui n’ont pas grand rôle à jouer dans une éventuelle tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui ont été libérés, et la plupart sont des civils. On y compte entre autres, un journaliste, un chauffeur, des gens qui ne sont donc pas trop utiles dans une affaire de coup d’Etat. Par contre les « gros calibres » sont encore détenus. Parmi eux, bien évidemment le cerveau présumé du complot Kpatcha Gnassingbe et la pléiade de chefs corps, ces officiers supérieurs qui avaient eu à gérer des unités de l’armée. Ces libérations ont été faites donc sur fond de peur.
Et si le coup d’Etat n’avait jamais existé ?
Le grief retenu à l’époque des faits pour pouvoir écrouer Kpatcha Gnassingbé était celui de flagrant délit. Tout un arsenal de guerre a été même présenté à la TVT au lendemain de son arrestation comme le corps du délit. Des «preuves irréfutables» sans doute de son intention d’attenter au fauteuil de son frangin. Selon la législation, un flagrant délit se juge sans attendre. En plus, la victime ratée du coup d’Etat est montée au créneau 72 heures après l’arrestation du député pour clamer une justice qui devrait se faire avec célérité mais dans la sérénité. C’était le samedi 18 avril 2009. Il a fallu plusieurs mois plus tard pour voir ses avocats faire du bruit. Me Archange Dossou, le plus royaliste d’entre eux avait même nié que leur mandant Faure Gnassingbé a demandé une conciliation et réitéré la voie judiciaire comme seule issue dans cette affaire. On pouvait comprendre que le temps mis entre ce discours de Faure et leur sortie était consacré aux besoins de l’enquête et que le procès allait débuter incessamment. Mais depuis la fin 2009, plus aucune trace de ces fameux avocats de l’Etat. Et le procès non plus ne vient jamais.
C’est dans ces conditions de flou artistique que sont intervenues les libérations de jeudi, que le bon sens a du mal à comprendre. Il ne s’agit nullement d’une de ces affaires banales, du genre vol de portable, escroquerie ou abus de confiance. Il est question d’une affaire de coup d’Etat qui visait notre cher (sic) Faure Gnassingbé et devrait sans doute emporter d’autres victimes et créer une insécurité monstre. Une libération d’un incarcéré est toujours une bonne nouvelle, et les théoriciens de l’immoralité diront qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ; mais comment comprendre alors que des gens aient été arrêtés, incarcérés au secret, sevrés de visites de leurs avocats et de leurs proches durant deux bonnes années, sept cent trente (730) jours et nuits, proprement torturés – on parle de gens menottés à un poteau la tête en bas pendant huit jours et soumis à d’autres formes de traitements inhumains et dégradants, complètement défigurés que leurs proches n’ont pas reconnus à leur sortie – et qu’un beau matin sur un coup de tête, on décide de les libérer, fût-il de façon « provisoire sous contrôle judiciaire » ? Pourquoi cette sagesse n’avait-elle pas guidé leurs détracteurs à les assigner à résidence pour les besoins de l’enquête plutôt que de les sevrer de liberté depuis plus de deux ans ? Est-ce une grâce présidentielle pour ces libérés ? Même dans ce cas de figure, le bon sens aurait voulu que la dizaine de personnes qui viennent d’être libérées soient jugées et que leur culpabilité soit prouvée avant que la fameuse grâce présidentielle n’intervienne. Est-ce à dire qu’on s’est rendu compte qu’il n’y a pas grand-chose à reprocher à Essolizam et Julien Gnassingbe, Jaurès Tchéou, Konzoh Baronam, Papali Abalo, Laré Bitié, Kébéra Kossi et Nayo Eyadémè et autres ? Seront-ils dédommagés comme le recommande la Constitution togolaise ?
Ces libérations sont presque un non événement, car nombre d’observateurs s’attendaient à voir le député parmi ces heureux élus. Mais apparemment Kpatcha Gnassingbe en a encore pour longtemps. Il nous revient que le principe de sa libération serait acquis, mais que ce dernier ne donnerait pas toutes les « garanties voulues » par ses détracteurs. A preuve, il lui a été entre-temps proposé une libération à condition qu’il accepte s’exiler à l’étranger ; comme ça il allait foutre la paix à son frangin et on fait une croix sur le dossier. Mais le député n’a pas accepté l’offre, ce qui prolonge son séjour au « Guantanamo » qu’est l’Anr. Pourquoi Faure s’oblige-t-il à offrir une libération conditionnelle à Kpatcha qui aurait tenté de le zigouiller ?
Au demeurant, on se rend davantage compte que cette affaire de coup d’Etat n’est qu’un pur montage pour neutraliser un concurrent potentiel au fauteuil présidentiel. En tout cas, chaque jour, l’argumentaire des détracteurs du député est démonté et le grief manque de consistance.
Tino Kossi
source: liberté hebdo